(Hardy & Elkrief @ RTL a écrit :
Ruth ELKRIEF : Robert Barcia, alias Hardy, bonjour, et merci d'être avec nous. Vous publiez chez Denoël : "La véritable histoire de Lutte Ouvrière". C'est un peu un événement que vous preniez la parole pour la première fois devant un micro ce matin car on vous a souvent présenté comme "le gourou" d'Arlette Laguiller. Vous êtes resté très longtemps dans la clandestinité. Vous êtes un homme très secret, et lorsqu'il y a eu des révélations, d'abord sur votre existence, sur votre profession, on n'a pas pu avoir de confirmation. Vous levez le voile aujourd'hui et vous racontez votre vie. Pourquoi ?
Robert BARCIA : Ce n'est pas vie que je raconte, c'est l'histoire de Lutte Ouvrière. Alors ma vie en fait partie, bien entendu, mais ce n'est pas ma vie. Quant à tout ce qu'on a dit sur moi, je méprise parce qu'on a beau y répondre, ça se rajoute. Par exemple, il y a quatre ans déjà, j'ai fait une longue réponse, un droit de réponse au Monde, et j'ai répondu longuement sur presque toutes ces questions-là, ça n'a rien changé, y compris de la part du Monde. Alors.
Donc vous avez préféré prendre la plume vous-même, et en tout cas avec Christophe Bourseiller qui vous interview dans ce livre, vous décrivez un peu le parcours de cette organisation, qui est tout de même très secrète et qui est très spécifique dans le paysage politique français, y compris le paysage des groupuscules d'extrême gauche. Une question peut-être plus politique, vous disiez : à 75 ans aujourd'hui, j'avais envie quand même de faire le point, de raconter l'histoire et tout. Est-ce que ce n'est pas aussi parce que, finalement, Olivier Besancenot de la Ligue Communiste Révolutionnaire, les mouvements Attac et autres vous dament un peu le pion en ce moment, et qu'il faut que vous reparliez et que vous fassiez reparler de Lutte Ouvrière ?
Non, pas du tout. La Ligue Communiste Révolutionnaire d'Olivier Besancenot nous a damé le pion, comme vous dites, bien des fois dans le passé. Ils ont eu 3.000 militants disent-ils, 3.000 adhérents, plus 3.000 sympathisants, alors que nous n'étions que quelques centaines. Ca n'a rien changé pour nous, nous avons continué à militer à notre façon et pas à la façon de la LCR, et nous nous retrouvons aujourd'hui finalement des organisations au moins à égalité.
Vous, vous militez "à votre façon", c'est ce que vous dites, et c'est vrai que cette façon elle est assez particulière. Certains ont utilisé le mot de "secte", d'autres "d'organisation paramilitaire". Je vous donne un exemple: la clandestinité, pendant des années. Vous-même, vous étiez patron d'une entreprise de formation de visiteurs médicaux et des gens qui vous ont approché, disaient : ils semblaient totalement intégrés à notre univers politique plutôt libéral. En fait vous étiez un peu schizophrène, vous aviez deux vies en une, deux hommes en un ?
Je n'étais pas schizophrène, ces gens-là étaient mes clients. Je n'avais absolument pas à leur raconter ma vie ! J'étais salarié comme visiteur médical pendant des années dans l'industrie pharmaceutique mais je n'allais pas mettre sur mon curriculum vitae en demandant un emploi : je suis trotskiste, je suis révolutionnaire, et mon nom de combat, c'est "Hardy" !
Donc le secret. Le secret permanent.
Le secret, non ! Est-ce qu'un de vos salariés donne ses opinions politiques à son patron ?
Il y a des militants syndicaux qui sont engagés, et on les connaît.
Des militants syndicaux mais des militants politiques ? Qui parmi vos collaborateurs milite au FLN, milite à la LCR, milite à LO, milite chez les Verts ? Les Verts, peut-être qu'ils en parlent mais sachez que, même chez les Verts il y a des pseudonymes.
Quand même il y a des jeunes qui aujourd'hui se réunissent dans les arrières-salles de cafés, comme si la guerre n'était pas terminée. C'est incroyable, non ?
Ils se réunissent dans des arrières-salles de cafés.
Des jeunes de LO je veux dire.
Oui et alors, où voulez-vous qu'ils se réunissent ? Pour se réunir il faut des locaux et des locaux, soit on les paye, soit on va dans des arrières-salles de cafés qui veulent bien qu'on se réunisse dans leurs salles. Ils ne sont pas cachés dans cette arrière-salle ! Ils sont même en vue du public, ils sont en vue de tout le monde ! Ca c'est du vocabulaire : les arrières-salles. C'est comme un journaliste qui écrit : la très capitaliste industrie pharmaceutique.
A laquelle vous vous décrivez comme étant intégré.
Mais je ne suis pas intégré. Je n'ai jamais travaillé dans l'industrie pharmaceutique, ni pour l'industrie pharmaceutique. Sauf, lorsque j'étais visiteur médical. J'ai été visiteur médical pendant treize ou quatorze ans, c'est-à-dire tout en bas de l'échelle. Vous savez ce sont ces représentants qui vont tirer les sonnettes des médecins, un travail extrêmement enthousiasmant.
Capitaliste.
Capitaliste, et tout ça pour une paye.
Enfin vous avez aussi créé une entreprise dans laquelle vous travaillez avec vos amis de LO, vous le dites dans le livre, très simplement, bon.
Oui, bien sûr, c'est-à-dire qu'une fois que j'ai dû démissionner parce que, finalement, avoir un patron, ça rendait très difficile de militer en même temps. Alors je me suis mis à mon compte, d'abord comme travailleur indépendant et puis ensuite nous avons créé avec un certain nombre de camarades une petite société, qui n'employait au début.
Qui n'était pas capitaliste, c'est ce que vous dites. Parlons d'autre chose, parce qu'on vous reproche aussi beaucoup d'influer sur la vie personnelle de vos militants. Vous êtes philosophiquement contre le mariage, et vous dites aussi des phrases dans ce livre sur les enfants : "Il n'est guère possible de les élever correctement et de leur assurer la tendresse et la présence voulues tout en menant une vie militante". En gros : si vous voulez être de bons militants, il ne faut pas avoir d'enfants, ça c'est quand même fort, non ?
Mais non. Tout ça c'est des retournements, ou des textes de discussions internes quand on s'engueule.
Ce sont des phrases qui sont dans le livre que vous publiez aujourd'hui.
C'est difficile de militer quand on a des enfants. Vous avez des vedettes de la chanson, les noms ne me reviennent pas.
Vous avez parlé de Céline Dion dans votre livre.
Céline Dion, oui mais il n'y a pas que Céline Dion, il y a je ne sais plus qui encore qui ne veut pas avoir d'enfants tant qu'elle n'a pas assuré sa carrière parce qu'elle trouve incompatible d'avoir des enfants et d'avoir la carrière qu'elle a à l'heure actuelle. Ca arrive et pour les militants ça arrive aussi ! Mais on n'interdit pas d'avoir des enfants !
On ne commande pas quoi.
Bien sûr que non, ceux qui veulent faire le choix le font, ceux qui ne veulent pas le font aussi. Mais nous avons au comité central au moins 40 % de nos camarades du comité central, qui sont des cadres, et qui ont des enfants, voire des petits-enfants.
Robert Barcia, aujourd'hui vous nous paraissez très sympathique, gentil, humain, néanmoins, on a dit que vous tiriez toutes les ficelles, que vous étiez derrière Arlette Laguiller, le gourou, celui qui presque lui dictez ses phrases.
Ce sont sûrement des féministes qui disent ça, vous voyez des gens qui considèrent qu'une femme ne peut pas penser par elle-même, ne peut pas parler par elle-même, ne peut pas avoir des idées, ne peut pas s'y retrouver et qu'il faut absolument qu'il y ait un homme derrière qui tire les ficelles ! Est-ce qu'on dit ça du p'tit facteur ?
"Le p'tit facteur : Olivier Besancenot", je précise.
Est-ce qu'on dit que, vu sa bouille rose, il ne peut pas avoir d'idées par lui-même que c'est forcément les autres qui lui dictent. Non on ne le dit pas, et à juste titre ! Mais on ne le dit pas, parce que c'est un homme, ça serait une femme, on le dirait.
Lutte Ouvrière très féministe.
Oui. très féministe.
Sur le plan de la stratégie politique quand même, vous dites aujourd'hui, "Ca me fait mal au ventre que Sarkozy et Raffarin soient au Pouvoir, j'aurais préféré que l'électorat ne bascule pas à droite. Mais Arlette Laguiller, à ce micro, combien de fois elle a répété : Chirac/Jospin, même combat, ne votez pas à gauche, c'est les mêmes, des bourgeois capitalistes. Alors vous avez changé d'avis ?
Non pas du tout ! Vous m'interrogez de façon, disons pas agressive, mais caustique.
Je fais mon travail.
Mais avec le sourire et puis vous pourriez être, je ne sais pas un autre, je dis "un" exprès qui serait agressif, avec des mots quasiment injurieux je préférerais les mêmes interrogations, avec le sourire, que sans sourire. Et moi ce que je regrette, c'est pas Jospin ! Ce que je regrette, c'est que l'électorat ait basculé à droite ! Ce qui n'est pas la même chose !
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