«On n'a pas vocation à être la Sécu du pauvre»

Message par Barikad » 25 Sep 2004, 08:28

("Liberation.fr" a écrit :«On n'a pas vocation à être la Sécu du pauvre»

Reportage dans un centre de Médecins du monde, après la réforme de l'aide médicale d'Etat (AME) et l'allongement des délais pour l'obtenir.


Par Matthieu ECOIFFIER
samedi 25 septembre 2004 (Liberation - 06:00)


elle arrive, hagarde, au centre de Médecins du monde (MDM) à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Bien mise dans sa robe en coton africain bleu et or. Clémentine a 45 ans, les cheveux lissés en brindilles. Elle aimerait savoir pourquoi elle tient à peine debout. Pourquoi cette douleur sourde à la tête ? Ce coeur qui bat trop vite ? Pourquoi tant de fatigue après seulement deux heures de repassage, au noir, chez sa patronne ? Pour avoir une réponse, il faudrait une prise de sang, des radios, avoir la Sécu, ne pas être sans papiers et sans un sou.

Derrière le comptoir, Chantal l'accueille : «Vous êtes depuis plus de trois mois en France ?» demande-t-elle gentiment. «Onze ans», répond Clémentine. Depuis le 1er janvier, il faut justifier de trois mois de résidence ininterrompue sur le territoire français pour demander l'aide médicale d'Etat (AME). Et attendre ensuite au minimum un mois pour obtenir ce sésame pour des soins gratuits, le temps que la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) traite le dossier. Avant cette réforme Raffarin, l'ouverture des droits était immédiate. «Vous avez une preuve ? Une Carte orange, un papier avec une date ? Si vous n'avez rien, ne vous inquiétez pas, votre visite ici constitue une preuve. Voilà un carton avec un numéro, on vous appellera», explique Chantal.

Il est 10 heures et la vaste salle du centre est déjà bondée. Ce jour-là, ils sont dix-sept candidats à l'AME. Sans papiers, résidant parfois en France depuis des années. Sept viennent du Maroc, cinq de Roumanie, trois de Côte-d'Ivoire, un d'Algérie et un de Moldavie. La plupart des hommes travaillent dans le bâtiment. La majorité des femmes font des ménages. Ils souffrent d'hypertension, de pathologies respiratoires et infectieuses, de rhumatismes dus à leur labeur. Il y a deux femmes enceintes sans aucun suivi. Des malades du sida sans traitement. Mais aussi «de la gale chez certains à cause du manque d'hygiène. Et, chez tous, une grande souffrance psychique», selon le Dr Raffin Louhou, médecin au centre.

«La carotte». Tous attendent dans un box d'être reçus par une bénévole pour faire une demande d'AME. Et voir l'un des trois médecins ou, l'après-midi, parler à un psychologue. «En mai, on a quitté Gennevilliers (Hauts-de-Seine) pour ces locaux à La Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Depuis, on est passé d'un rythme annuel de 4 400 passages à plus de 6 800, explique Jérôme Pfaffman, coordinateur du centre qui tourne avec trois permanents et une trentaine de bénévoles. Notre consultation médicale, c'est la carotte. L'objectif, c'est de les amener à la consultation sociale pour les faire accéder aux soins dans les structures classiques. Nous n'avons pas vocation à être la Sécu du pauvre.» MDM se bat contre cette réforme adoptée l'année dernière qui, en multipliant les obstacles administratifs, fait régner la loi du guichet. «La plupart n'ont pas de domicile fixe et les amis qui les hébergent sont peu enclins à faire des certificats car ce sont des sans-papiers», rappelle Jérôme Pfaffman. La préfecture a autorisé MDM à domicilier les patients à son adresse. Et la caisse primaire de Seine-Saint-Denis se montre moins sourcilleuse que sa voisine sur la «preuve» : un seul document antérieur à trois mois suffit, quand il en fallait un pour chaque mois. Mais ces petits arrangements permettent juste d'améliorer le parcours de ceux qui font le premier pas parce qu'ils sont malades. «L'accès immédiat à l'AME les incitait à sortir de la clandestinité sanitaire, le délai de trois mois les décourage», explique le Dr Louhou.

Midi. Gabriella, la jeune traductrice roumaine, court d'un bureau à l'autre. Les médecins, bénévoles, parfois à la retraite, s'énervent de ces consultations hachées. Richard, 5 ans, s'agite dans le hall. L'année dernière, une «boule est apparue sous son bras», raconte Vasile, son père, un rom roumain. Diagnostic : maladie de Hodgkin, cancer du système lymphatique. Pour payer la première chimiothérapie, Vasile vend sa maison en Roumanie. Cela ne suffit pas. Le père et le fils migrent et atterrissent en juin dans un bidonville rom situé sous le pont de l'A 86. L'hôpital Robert-Debré refuse l'enfant. A l'hôpital Trousseau, un professeur ausculte Richard et confirme l'urgence de reprendre la chimio. Mais son administration ne veut pas l'admettre avant le délai de trois mois. «On a dû interpeller le ministre contre l'Exclusion pour obtenir une AME humanitaire», dénonce MDM. Résultat : l'enfant n'a été traité qu'avec un mois de retard, mais son père, qui présente des symptômes de tuberculose, doit attendre.

«Rentrée seule».
14 heures. Un homme se lève avec difficulté. «Sur ses jambes, il a des paquets de varices, on croirait une sculpture. Il faut faire une exploration des veines», explique le Dr Louhou. En attendant l'AME, son périmètre de marche se réduit et il «risque une embolie pulmonaire». Aux suivants. «Un cas d'otite qui date de je ne sais combien de temps et qui a provoqué une surdité.» Un couple, qui a la preuve des trois mois, n'obtient pas l'AME de leur petite fille. «C'est vrai qu'à 3 ans la petite est sûrement rentrée toute seule au pays», ironise Chantal. Un homme essuie un refus car il manque la copie des pages 4 et 5 de son passeport.

C'est enfin le tour de Clémentine. «Vous êtes donc arrivée depuis 1993, pourquoi ne pas avoir fait une démarche de régularisation ? ­ Chaque fois que j'envoyais l'argent en Côte-d'Ivoire pour me faire faire un passeport, ils le dépensaient pour autre chose.» Elle n'a jamais revu ses deux enfants restés là-bas. Elle cherche dans son sac. Ne trouve qu'une radio des poumons, payée au prix fort lorsqu'elle toussait trop. Miracle, il y a une date dessus. Cela fera une preuve.
Barikad
 
Message(s) : 0
Inscription : 28 Mai 2003, 09:18

Retour vers Presse et communiqués

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 3 invité(s)