a écrit :CHRONIQUE D'EVARISTE
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La première victoire laïque depuis 1937
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L'espace Renaudie d'Aubervilliers était pratiquement plein ce lundi
20 septembre, pour accueillir la réunion publique organisée par
l'Ufal et la Coordination Féministe et Laïque (CFL), sur le thème : «
Premier bilan de la loi, et comment combattre l'offensive de tous les
intégrismes religieux contre les femmes ». Présentée par Pierre
Cassen (Ufal) et Anne Zélensky, (présidente de la Ligue des droits
des Femmes), elle fut d'une richesse exceptionnelle, de par la
qualité et la complémentarité des dix interventions qui se
succédèrent à la tribune.
Il est naturellement très réducteur de résumer ces interventions à
quelques phrases.
Jean-Jacques Karman, de la Gauche communiste, maire-adjoint et
conseiller général d'Aubervilliers, ouvrit les débats. Il insista sur
le nécessaire combat idéologique contre toutes les religions, et
regretta que ce concept de Marx ait été quelque peu oublié par la
direction du PCF. L'affaire des sours Levy, dans sa commune, l'a
définitivement convaincu de la nécessité de remettre la laïcité au
cour de la société française, même si ce débat divise le PCF et toute
la gauche. Aux révolutionnaires qui prétendent qu'on ne doit rien
demander à l'Etat bourgeois, il réplique que les concessions
arrachées à l'Etat bourgeois constituent des points d'appui dont il
faut savoir se servir.
Anne Zélensky, lors de la présentation de la soirée, tint à rendre
hommage au combat de Samira Bellil. Elle parla de l'histoire des
combats féministes, et se félicita de leur convergence avec les
laïques.
Annie Sugier, présidente de la Ligue Internationale du droit des
Femmes et animatrice du collectif Atlanta-Sydney-Athènes, expliqua le
combat de collectif, depuis trois olympiades, pour imposer la mixité
dans les délégations. Aujourd'hui, il ne reste que neuf pays au monde
(dominés par l'idéologie islamiste) à refuser cette mixité, alors
qu'ils étaient plus de trente il y a dix ans. Annie fit le parallèle
entre ce combat et celui mené à l'époque contre l'Afrique du sud de
l'apartheid, qui fut isolée sportivement de longues années. Très
investie dans le combat pour ne pas oublier qu'il y a deux ans, la
jeune Sohane, à Vitry, fut brûlée vive, elle fit part des
tergiversations de la municipalité quant à l'apposition d'une stèle
rappelant ce drame, dans la commune. Enfin, elle s'indigna des propos
de cette militante de l'UOIF disant qu'elle ne voulait pas voir son
voile taché de sang, rappelant avec force que ce voile était taché du
sang de toutes les femmes d'Algérie, d'Iran, d'Arabie Saoudite,
d'Afghanistan, lapidées et assassinées par les intégristes
islamistes.
Henri Pena-Ruiz, philosophe, membre de la commission Stasi, rappela
l'évolution, au sein de cette commission, des opinions devant la
multitide des témoignages d'enseignants, de chefs d'établissements,
de jeunes femmes des quartiers, de Chahdortt Djavann ou de Fadela
Amara. Il regretta que la presse ait traduit les travaux de cette
commission comme une loi contre le voile, réaffirma que cette loi
n'était pas contre les musulmans, rappelant que les croix chrétiennes
que portaient les jeunes des JMJ, ou les kippas étaient également
interdites. Il se félicita du ressaisissement laïque qu'il avait
constaté, tout au long de cette année. La laïcité consiste à
affranchir l'ensemble de la sphère publique de toute emprise exercée
au nom d'une religion ou d'une idéologie particulière. Il fait savoir
que pour lui, la laïcité est indissociable du combat social.
Jocelyne Clarke, enseignante à Henri Wallon d'Aubervilliers, expliqua
combien il était difficile, pour un enseignant, de devoir faire cours
devant une élève affichant, avec le voile, ses convictions et son
projet de société. Elle fit savoir que depuis l'adoption de la loi,
elle avait constaté, entre le 15 mars et la fin de l'année scolaire,
une recrudescence des voiles dans l'école, et cita des anecdotes
précises, comme celle des grands frères ou des pères emmenant les
gamines à l'école en belles voitures, et vérifiant si elles
rentraient bien à l'école voilées. Elle énuméra des comportements
scolaires inadmissibles, autour de l'idéologie véhiculée par le voile
(contestation des contenus des cours, refus de l'autorité d'une
enseignantes, refus de la mixité à la piscine et en éducation
physique, etc. Avec beaucoup de passion, elle appela à la vigilance
laïque tout au long de l'année, convaincue que des contre-offensives,
autour du collectif « Une Ecole pour tous-tes », étaient à envisager.
Philippe Guittet, président du syndicat des chefs d'établissement et
adjoints, le SNPDEN, était déjà présent, il y a un an, lors de la
première réunion publique sur ce thème. Il avait alors fait part des
problèmes rencontrés dans les écoles, face à l'offensive des
fondamentalistes religieux. Il était donc favorable à la loi. Il fit
part de sa satisfaction de constater, en ce début d'année, que
seulement une centaine d'élèves, après la période de dialogue,
étaient encore en conflit. Il se félicita donc de l'adoption de cette
loi qui favorise le travail des chefs d'établissement, en refixant un
cadre que des abandons successifs avaient rendu inopérant face à des
groupes fort bien organisés. Il démonta également avec pertinence, à
la suite de Jocelyne, les arguments différentialistes du
collectif "Une Ecole pour tous-tes".
Roland Szpirko, membre de Lutte ouvrière, était à Creil en 1989, lors
de la première affaire. Il regretta qu'à l'époque, l'ensemble de la
gauche et de l'extrême gauche n'ait pas compris les enjeux, et ait
toléré cela. Pour lui, le voile, à l'école ou dans la société, est
inacceptable, car symbole d'enfermement de la femme et d'un projet de
société réactionnaire.
Mohamed Abdi, qui remplaça Fadela Amara au pied levé, fit savoir, lui
aussi, combien la nécessité d'une loi lui était apparue rapidement,
face à de nombreux témoignages sur ce qui se passait à l'école. Il
fit le constat que le débat avait traversé toute la gauche, mais
aussi toute la droite, et jugea donc que la laïcité pouvait être, en
France, une question qui fédérait plus largement que les clivages
politiques traditionnels.
Mimouna Hadjam, porte-parole d'Africa 93, expliqua que, partout dans
le monde, les femmes sont les principales victimes de la barbarie
islamiste. Confrontée à leur offensive dans les quartiers populaires
de La Courneuve, elle fit part de son indignation devant les
lâchetés, capitulations et reculs de nombreux élus, gauche y compris,
qui, croyant acheter la paix sociale, ont financé et financent encore
des organisations islamistes déguisées en organisations culturelles.
Elle expliqua que tous les intégrismes religieux, qu'ils soient
chrétiens, juifs, musulmans ou hindouistes, tuent et persécutent
d'abord les femmes. Elle fut impitoyable avec ceux qui, à gauche, au
nom du droit aux coutumes et à la différence, soutiennent les
organisations islamistes. Elle les qualifia de neo-coloniaux. Elle
expliqua, concrètement, ce que signifiaient pour les femmes
polygamie, mariages forcés, viols, obligation de porter le voile pour
pouvoir rentrer tard en toute sécurité, violence conjugale. Affirmant
qu'en 1989 son association était contre l'exclusion des jeunes filles
à Creil, elle expliqua son évolution, et pourquoi l'application de la
loi et la défense de la laïcité étaient des outils indispensables
pour les femmes.
Zazi Sadou, fondatrice en Algérie du Rassemblement Algérien des
Femmes Démocrates, fit l'historique de l'histoire de son mouvement.
Elle parla de cette jeune femme de 17 ans, en Algérie, qui refusait
de porter le voile que les islamistes avaient imposé à tout le monde,
dans les écoles. Cette jeune fille fut menacée de mort, mais refusa
de plier aux menaces. Elle fut exécutée d'une balle dans la tête par
les assassins fanatiques du FIS. Elle expliqua précisément le projet
politique de l'islamisme, projet politico-religieux, qu'elle tint à
différencier de l'islam. Conquérir, partout où c'est possible, de
nouveaux espaces, en tenant compte des rapports de forces, mais avec
un objectif, un seul : devenir hégémonique. Elle fit part, avec
beaucoup de forces, de sa stupéfaction devant l'aveuglement, en
France, de certaines forces de gauche devant la montée en puissance
et l'offensive de ce fascisme. Elle rappela qu'historiquement, le
voile n'appartenait pas aux musulmans, mais qu'il venait des juifs,
et fut repris ensuite par les chrétiens. Elle revint sur le 11
septembre, et l'électro-choc que cela constitua pour le monde entier.
Mais, dit-elle, quel décalage entre trois minutes de silence pour les
victimes américaines, et dix ans de silence sur les victimes
algériennes ? La force de son témoignage restera un des moments forts
de cette soirée.
Bernard Teper, président de l'Ufal, avait, en 1989, organisé un
banquet républicain à Créteil, sur le thème du « non de gauche au
voile islamiste à l'école », et lancé alors la formule : « Le droit à
la différence ne doit pas devenir la différence des droits. Il
décrivit la victoire de la bataille pour une loi comme la première
victoire du camp laïque depuis 1937, et la circulaire Jean-Zay, que
défit un certain Lionel Jospin, en 1989. Il expliqua, à travers
l'offensive neo-libérale de marchandisation des marchés, le besoin,
pour les tenants de la marchandisation de l'ensemble des activités
humaines, de briser toutes les solidarités, et de s'appuyer sur les
communautarisme, qui remplace cela par la charité. Il accusa les
gauchistes qui prétendent combattre cette offensive et soutiennent
dans les faits les communautaristes religieux de se faire, à leur
corps défendant, les meilleurs relais de cette offensive.
Concluant la soirée, Pierre Cassen fit part du chemin parcouru en un
an. S'appuyant sur la richesse de la tribune, sa complémentarité, il
fit part de la responsabilité de l'Ufal et de la CFL devant la
nécessité d'organiser, partout où cela est possible, des réunions
dans toute la France pour réaffirmer que la laïcité est une valeur en
devenir.
A noter, lors de cette soirée, la présence d'un groupe d'une dizaine
de personnes, autour de Pierre Tevanian, inspirateur du collectif «
Une Ecole pour tous-tes ». Bien que souvent malmenés par certaines
interventions, ils surent respecter le débat, et permettre qu'il se
déroule sereinement. Pour cela, nous préférons faire passer sur le
compte du désarroi et de la frustration l'attitude provocatrice,
menaçante et injurieuse de quelques-uns à la sortie, qui se déroula
malgré tout sans incident. L'important, pour les organisateurs, est
que le public soit reparti heureux, et conscient d'avoir assisté,
tout au long de la soirée, à des interventions d'une richesse
exceptionnelle. Voilà qui
donne envie de recommencer.