Suicides sous silence

Message par faupatronim » 04 Fév 2003, 11:30

Ni les collègues, ni les directions, ni les syndicalistes, ni les proches ne veulent en parler.

Suicides sous silence

Des salariés mettent fin à leurs jours sur leur lieu de travail, ou après la perte de leur emploi. Ou sont confrontés au suicide des autres. C'est un tabou dans l'entreprise. A l'occasion de la journée de prévention du suicide, reportage chez Moulinex, qui a fermé ses portes en septembre 2001.

Par Cécile DAUMAS
lundi 03 février 2003


«La première chose que je regarde dans le journal le matin, c'est la rubrique décès. Voir s'il n'y a pas l'un d'entre nous.» Michel, licencié de Moulinex en septembre 2001 Cormelles-le-Royal (Calvados) envoyée spéciale


«C'était un gars qui avait trente ans de maison, il travaillait aux cafetières, explique Claude Renault, ancien syndicaliste CFDT chez Moulinex. En apparence, il n'avait pas de soucis. Quand nous avons occupé l'usine lors de la fermeture, il était là jour et nuit. D'autres, trop fragiles, ne pouvaient pas revenir tellement ça les remuait. On comprenait. Dans tout ce bordel, on s'attendait à ce que certains fassent des bêtises. Pas lui. Il n'avait ni problèmes familiaux ni financiers, il allait bénéficier d'une préretraite. Huit jours avant sa mort, je l'ai rencontré en ville. Je n'ai rien vu. Il n'avait pas l'air dépressif, il rencontrait des gens. C'est lui qui a traduit ça dans sa tête.» Cet ouvrier s'est donné la mort un an jour pour jour après avoir reçu sa lettre de licenciement. Il s'est jeté dans la rivière, il ne savait pas nager. Dans un mot laissé à ses proches, il dit qu'il est un licencié de Moulinex.

En septembre 2001, le groupe d'électroménager arrête ses quatre usines de Basse-Normandie : 3 000 salariés restent sur le carreau. Depuis, la moitié a retrouvé une activité ou va bénéficier d'une préretraite. Les autres cherchent toujours. Trois se sont suicidés. L'un s'est pendu juste après avoir été remercié. L'homme à la rivière l'a suivi. La dernière, une ouvrière, était en congé sans solde quand la fin de l'usine a été annoncée. Oubliée, elle n'a pas été inscrite sur la liste des salariés à indemniser. Elle a mis fin à ses jours avant que l'argent soit débloqué.

Réunion des anciens

Chaque jeudi, sur le site de l'usine de Cormelles-le-Royal, à la sortie de Caen, des anciens se retrouvent pour prendre des nouvelles. En ce mois de janvier, ils sont encore une centaine à venir, un an et demi après la dernière heure travaillée. Le hangar, qui abritait autrefois les pièces détachées des fours micro-ondes, sert de hall de réunion. Le chauffage a été coupé, les chaises flottent dans l'espace, on entend le bruit des dernières machines que l'on démonte. Au bout d'un micro, un syndicaliste fait le bilan d'un plan social arrivé brutalement, le jour où les tours du World Trade Center se sont effondrées.

Sur les 1 272 salariés de Cormelles, une minorité, 113 personnes, est incapable de retravailler dans l'immédiat. La fermeture de l'entreprise a mis à nu des situations sociales difficiles camouflées jusque-là par le plein-emploi : 42 personnes souffrent d'un handicap physique, 20 de maladies professionnelles, 25 de problèmes psychologiques, 20 sont alcooliques, 6 vivent dans un isolement total. Quelques couples ont divorcé, d'autres se sont retrouvés surendettés. «Il n'y a rien de pire que de se retrouver tout seul, explique à l'assemblée Jean-Louis, syndicaliste CGT. Vous avez un rôle à jouer auprès de vos collègues en difficulté. Discutez avec eux, prévenez-nous de ceux qui vont mal. On peut éviter les catastrophes.»

Parmi les catastrophes, il y a le suicide. Mais personne n'ose prononcer le mot. Ne pas faire Cosette dans les médias, ne pas dévoiler des histoires qui touchent l'intime et finissent par la mort. Par gêne ou par culpabilité, on n'en parle pas mais tout le monde y pense. «La première chose que je regarde dans le journal le matin, c'est la rubrique décès, avoue Michel, dit Michou, ancien employé. Voir s'il n'y a pas l'un d'entre nous.» En un an et demi, la mortalité s'est envolée. «Du temps où l'usine tournait, nous avions un ou deux décès par an, explique Lionel Muller, de la CGT du site de Cormelles-le-Royal. Depuis septembre 2001, nous en sommes à six.» Cinq cancers fulgurants, un suicide.

Epidémie de plans sociaux

Les plans sociaux peuvent être violents. Surtout dans des bassins d'emploi sinistrés, où les ouvriers n'ont connu qu'un seul métier en trente ans. Telle une épidémie, les fermetures se multiplient depuis le début de l'année : Metaleurop, Daewoo, Pechiney, la sidérurgie de Lorraine... Pour l'instant, on parle de perte sèche d'emplois. Mais la mort d'une entreprise bouscule aussi les têtes. Syndicaliste CGT dans le textile, branche sinistrée par les délocalisations, Christian Larose vit au rythme des plans sociaux. «En ce moment, nous en avons trente, explique-t-il. A force d'en voir, je me suis aperçu que des salariés coulaient à pic. Un plan social est une agression. Cela déstructure les gens, pas tous mais beaucoup. Après avoir été licenciée, une salariée qui habitait juste en face de son entreprise sentait toujours le matin, quand elle ouvrait ses volets, la fumée de l'usine. Elle n'était pas folle pourtant.»

Courageux, Christian Larose a dressé une comptabilité que peu de syndicalistes, et encore moins de patrons, osent faire publiquement : «En huit ans, dit-il, j'ai recensé dans ma branche une quarantaine de tentatives de suicide, sans parler des dépressions nerveuses, des conduites alcooliques et de trois suicides de femmes dont deux chez Levi's (le groupe a fermé son usine près de Lille en 1999, ndlr). Je ne pouvais pas rester comme ça sans rien faire.» Il s'est donc rapproché de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS) qui organise mercredi sa septième journée nationale de prévention (1). Dans le programme, «Violence et suicide au travail» occupe une bonne place. Depuis quelques années, des syndicalistes, médecins du travail et chercheurs tentent de faire reconnaître un lien entre suicide et travail (lire page III). Le sujet est délicat. «Quand un salarié met fin à ses jours, dit Christian Larose, on dit toujours que le gars avait d'autres problèmes à côté.»

Pompiers de l'âme

Cela peut être vrai, comme pour l'un des trois suicides de Moulinex. Pour les deux autres, le doute s'est installé dans la tête des syndicalistes. Même s'ils estiment qu'un suicide est toujours une affaire «complexe» qui ne peut se résumer à la perte brutale d'un emploi, ils veulent «faire quelque chose» afin d'éviter le pire. En l'absence de toute cellule psychologique, certains se transforment en pompiers de l'âme, faisant eux-mêmes la tournée des foyers pour ne pas laisser sombrer ceux qui pourraient décrocher.

A Moulinex, ils travaillent en liaison avec les assistantes sociales des collectivités locales, les médecins du travail. Mais rien n'est officiel. Aubry, Guigou, Fillon : Christian Larose a interpellé les ministres de l'Emploi sur le sujet. «Il faudrait des structures indépendantes des directions, estime le syndicaliste, avec des psychologues et des psychiatres. Débloquer des fonds.»

Sans attendre les pouvoirs publics, il a incité l'un de ses collègues de la CGT à créer la première cellule psychologique en France lors d'un plan social. C'était en 2001 à la filature Mossley, dans le Nord. Rouquin à la coupe en brosse, Daniel Steyaert s'est lancé dans le sauvetage psychologique, avec pour seule formation sa force de compassion d'ouvrier syndicaliste. «J'ai pris cinq ou six gars de confiance, dit-il. On a repéré les gens qui n'allaient pas bien ou qui commençaient à boire. Ça a été très dur, très lourd, on était perdus, malgré le soutien de la médecine du travail.» Même si son usine a clos ses portes depuis longtemps, Steyaert continue à faire la tournée des ex-salariés. Un psychiatre l'aide bénévolement. Ils voient «des gens boire et fumer énormément pour oublier», un autre a tenté de se suicider. C'est l'ancien concierge de la filature, il a perdu son logement en même temps que son travail. Depuis, il squatte l'entreprise avec ses chiens, chat et canari. «C'est notre cas le plus dur», dit Steyaert. Comme la fonderie Metaleurop aujourd'hui, Mossley n'a jamais versé la prime qu'il devait à ses 123 salariés. Même après condamnation judiciaire. C'est la région Nord-Pas-de-Calais qui a versé l'argent aux licenciés .
faupatronim
 
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Message par emma-louise » 04 Fév 2003, 11:42

un petit bouquin en a parlé : "le harcèlement moral_la violence perverse au quotidien" (auteure MF Hirigoyen -ed syros) des milliers de travailleurs n'atteindront pas la retraite pour cause de destruction dans le travail , on connaissait très bien les accidents physiques ( cf "paroles de prolétaires" ouvrage collectif LO ou " l'établi " R. Linhart -ex ML) nous cotoyons désormais une nouvelle catégorie de victimes du capitalisme , vivants et peuplant les HP cliniques et autres maisons de repos :bleu-vomi: j'en sors à peine...VIVE LA REVOLUTION!!!
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Message par emma-louise » 04 Fév 2003, 13:49

(EMMA-LOUISE @ mardi 4 février 2003 à 12:42 a écrit :un petit bouquin en a parlé : "le harcèlement moral_la violence perverse au quotidien" (auteure MF Hirigoyen -ed syros)  des milliers de travailleurs n'atteindront pas la retraite pour cause de destruction dans le travail , on connaissait très bien les accidents physiques ( cf  "paroles de prolétaires" ouvrage collectif LO ou  " l'établi "  R. Linhart -ex ML) nous cotoyons désormais une nouvelle catégorie de victimes du capitalisme , vivants et peuplant les HP cliniques et autres maisons de repos :x :oops: :sarko: :somme: :somme: à plus!!!
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