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"Le cri" coté chez les voleurs
LE MONDE | 23.08.04 | 12h54
Dimanche 22 août, au Musée Munch d'Oslo, "Le Cri" et "La Madone", deux œuvres du peintre norvégien, ont été dérobés, en moins d'une minute, sous les yeux des visiteurs.
Stockholm de notre correspondant en Europe du Nord
Les mains jointes autour du visage, un être humain hurle d'angoisse sur un fond de ciel sanguin, tandis que deux silhouettes masculines se profilent en arrière-plan. Depuis le dimanche 22 août, cette scène saisissante, représentée par Le Cri, le célèbre tableau du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944), n'est plus visible dans le musée consacré au plus renommé des peintres scandinaves. Deux hommes cagoulés ont dérobé le chef-d'œuvre devant des visiteurs ébahis.
Il leur a fallu une minute à peine pour décrocher ce tableau de 91 cm sur 73 cm, ainsi que La Madone (1894), autre œuvre importante de Munch, sortir de l'établissement et fuir à bord d'une berline noire, où les attendaient un ou deux complices. L'opération a été menée sous la menace d'un pistolet, brandi par l'un des voleurs, ce qui explique la passivité des gardes.
Dans la précipitation, les deux malfaiteurs ont laissé tomber par terre leur butin à au moins deux reprises, ce qui laisse penser aux enquêteurs qu'il s'agit d'un travail d'amateurs. Lundi matin, la presse norvégienne publiait des photos prises par des passants montrant les deux hommes courant sur une pelouse, portant les tableaux à bout de bras. Peu après, des morceaux des cadres des œuvres ont été découverts à quelques centaines de mètres de là. C'était ensuite au tour de la voiture d'être retrouvée abandonnée, dimanche après-midi.
CONFIANCE UN PEU NAÏVE
"Aucune alarme n'a retenti. Les tableaux n'étaient pas sécurisés. Les ravisseurs n'ont eu qu'à tirer un peu fort sur les filins qui les retenaient aux cimaises", a raconté à l'AFP François Castang, un témoin français du vol. Celui-ci a eu lieu vers 11 h 10, une bonne heure après l'ouverture du Musée Munch. Selon la police, une alarme silencieuse était installée autour des œuvres visées. Toutefois, d'après des témoignages, les premiers policiers ne sont arrivés sur place que près de 20 minutes après le vol, bien qu'un commissariat se trouve dans les environs immédiats du musée, non loin du cœur de la capitale norvégienne.
Inauguré en 1963, ce bâtiment blanc n'est pas connu pour être un modèle de sécurité. S'il est assuré en cas d'incendie, il ne l'est contre d'éventuels vols de tableaux. Sa tutelle - la municipalité d'Oslo - avait estimé pas que cela reviendrait trop cher. L'absence de dispositif de surveillance à la hauteur de la valeur des chefs-d'œuvre réunis là s'explique aussi par la confiance un peu naïve des Norvégiens envers la société en général.
"C'est effroyable et choquant. Nous n'avons pas protégé suffisamment nos trésors culturels, Nous devons en tirer des leçons", a réagi la ministre de la culture, Valgerd Svarstad Haugland, en promettant des mesures rapides. Ce discours, les Norvégiens l'ont déjà entendu. D'abord après le vol du Vampire de Munch, dérobé en 1988 dans le même musée. Il avait été retrouvé un peu plus tard. Cinq ans après, une étude de portrait réalisée par le peintre avait disparu durant les heures d'ouverture de la Galerie nationale, autre grand musée d'Oslo. Elle n'a jamais réapparu.
En février 1994, dans cette même Galerie nationale, une autre version du Cri avait été subtilisée durant la nuit précédant l'inauguration des Jeux olympiques d'hiver, organisés dans le pays, à Lillehammer. Les voleurs avaient tout simplement utilisé une échelle pour pénétrer dans une salle par une fenêtre. En lieu et place du chef-d'œuvre, ils avaient punaisé un petit mot : "Merci pour la mauvaise surveillance"... Le tableau avait été retrouvé trois mois plus tard et placé dans un endroit du musée plus difficile d'accès. Un ex-footballeur professionnel norvégien avait été condamné à six ans de prison pour recel.
En dépit de cet avertissement, les musées norvégiens restent en général très mal défendus contre ce genre de cambriolages. Le Suédois Sune Nordgren, chef du Musée national à Oslo, ne le regrette pas nécessairement : "C'est une question d'équilibre. Nous pourrions faire comme au Louvre, à Paris, où La Joconde est placée à l'intérieur d'une cage vitrée. Mais alors la sensation face au tableau disparaîtrait. Nous ne voulons pas non plus de gardes armés dans nos musées."
Mondialement connus, Le Cri et, dans une moindre mesure, La Madone ne pourront pas être écoulés sur le marché international de l'art sans passer inaperçus. Ce qui incite les enquêteurs à privilégier l'hypothèse d'un vol destiné à obtenir une rançon. La Norvège n'est-elle pas l'un des pays les plus riches au monde, grâce à l'argent du pétrole extrait du fond de la mer du Nord ? Selon certains experts, Le Cri vaudrait plus de 300 millions de couronnes (36 millions d'euros). Soit plus du double de La Madone.
Antoine Jacob