(l'Humanité @ 20 juillet 2004 a écrit :Temps de travail
Le Père Dodu veut plumer les 35 heures
Après Bosch, le volailler Doux remet en cause les 35 heures, en plein coeur de l’été. Il revient sur l’accord de 1999 en accentuant la flexibilité du travail.
La direction du groupe Doux, numéro 1 européen de la volaille et distributeur de la marque Père Dodu, a annoncé vendredi son intention de remettre en cause, à partir de la fin juillet 2004, un accord interne signé à la fin de 1999 sur l’aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT). 3 500 des 6 500 salariés que compte l’entreprise en France (sur un total mondial de 13 000) seraient concernés par cette brutale remise en question des 35 heures. Un accord intervenu en 1999 dans le cadre des lois Aubry accordait aux salariés 23 jours de repos compensateurs, puisque ceux-ci avaient conservé une moyenne de 39 heures de travail hebdomadaire.
Les salariés devraient perdre ces 23 jours de RTT, ainsi que 500 euros par an du fait de la suppression du paiement du temps de pause. La semaine de travail oscillerait désormais, selon les besoins de la direction, entre 32 et 38 heures, sans compensation. Le tout alors que le groupe Doux avait bénéficié, lors de la mise en place de l’ARTT, d’aides considérables des pouvoirs publics s’élevant à une hauteur de 50 millions d’euros.
Régression sociale de longue date
Il ne s’agit pas de la part de la direction d’un coup d’essai. Il y a un mois et demi, à la fin de mai, le groupe volailler avait demandé à 535 de ses employés de travailler plus, tout en imposant davantage de flexibilité, la semaine de 35 heures étant transformée en une semaine modulable de 31 à 39 heures, en fonction des commandes. La CGT s’était immédiatement élevée contre cette proposition, assimilée à une " régression sociale ".
La CFTC, FO et la CFDT, le syndicat majoritaire, l’avaient par contre soutenu. " Le projet consistait à garantir un minimum de 8 jours de repos compensateur à tous les salariés, voire 13 jours pour ceux qui travaillaient au-delà de 37 heures par semaine ", explique Slimane Khaoui, responsable de la CFDT au sein du groupe, alors plutôt favorable à l’accord. Mais la mobilisation des salariés et de la CGT pour le maintien des 35 heures, a suscité de nombreuses tensions entre ces trois centrales syndicales, qui refusèrent finalement de signer le projet définitif. Jusqu’à cette annonce de vendredi, qui marque une inclinaison sévère de la stratégie patronale, le calme était semble-t-il revenu.
Les salariés essuient les plâtres
En revenant sur l’ARTT, le groupe Doux exploite de manière opportune le débat actuel sur les 35 heures. " La direction veut cet accord pour éviter de payer des heures supplémentaires, elle profite de l’été, au moment où de nombreux salariés sont partis en vacances, pour annoncer la remise en question de l’accord interne. Dans ces conditions, la mobilisation s’annonce difficile ", note Slimane Khaoui, qui renvoie implicitement la balle à la CGT, tenue responsable de l’état actuel des choses par son intransigeance à défendre un accord qu’elle avait pourtant rejeté en 1999.
Michel Le Guelland, délégué de la CGT, fait pourtant preuve d’un certain réalisme. Bien sûr, " la CGT votera non au projet de la direction ". Mais la lassitude et la résignation l’ont emporté : " Aujourd’hui, ce n’est pas comme fin mai, la mobilisation n’est plus d’actualité. Cela fait deux ou trois ans que cette situation dure. Elle est le fruit de la politique de la direction qui a fait le choix de travailler autrement, en privilégiant systématiquement les exportations au détriment de la production nationale. Cela se répercute ensuite sur les conditions de travail. Les salariés sont perdants sur les deux tableaux ", analyse Michel Le Guelland. Surtout la direction du groupe joue avec la peur du lendemain des salariés. L’entreprise est en difficulté, et tous le savent : " On est dans le rouge depuis un moment, et cela crée un sentiment de malaise général. Avant, les salaires étaient crédités tous les 5 du mois, aujourd’hui, c’est vers le 8 ou le 9 qu’ils sont versés ", poursuit Michel Le Guelland. " Un audit financier, au mois de juin, a mené une étude destinée à trouver des solutions pour rentabiliser davantage l’établissement. Ils doivent revenir fin août. Cela ne présume rien de bon ", conclut le cégétiste.
Plan de compression des effectifs ?
Jeudi prochain, un comité central d’entreprise doit se tenir à Château-Lain, dans le Morbihan, sur la nouvelle réorganisation des effectifs. Selon la CGT, la direction pourrait non seulement enfoncer le clou sur l’augmentation du temps de travail mais aussi en profiter pour dévoiler un plan de compression des effectifs qui devrait toucher en priorité des membres du personnel administratif. Devant tant d’incertitudes, les salariés les moins bien payés (80 % d’entre eux touchent le SMIC et ne possèdent pas de qualification) demeurent en première ligne pour essuyer les plâtres.
Geoffroy Fauquier