(Le Monde @ 3 juin 2004 a écrit :LO Oulianov
Une absence énigmatique à la fête de Lutte ouvrière (LO) ne va pas manquer de relancer les spéculations sur l'orientation du parti d'Arlette Laguiller. En effet, un des "musts" de ce rassemblement, qui se tient tous les ans à la Pentecôte dans le Val-d'Oise, est sa librairie, où sont proposés plusieurs milliers de titres, romans et essais politiques et historiques, souvent introuvables ailleurs.
Grande fut la surprise de certains habitués et d'un journaliste du Parisien quand ils constatèrent qu'aucune œuvre de Lénine ne figurait au catalogue. Et aussitôt de voir anguille sous roche : y a-t-il une raison politique à cette absence ? Préfigure-t-elle un aggiornamento de LO, à l'image de la LCR, l'organisation cousine, qui a récemment abandonné la référence à la dictature du prolétariat ?
Les observateurs avertis verront peut-être un indice supplémentaire dans la présence, sur les rayonnages, de plusieurs livres du socialiste autrichien Karl Kautsky, principal leader de la Deuxième Internationale, et que Lénine traita de renégat après son refus de s'opposer à la guerre en 1914. Bien sûr, ces ouvrages datent d'une époque antérieure, où les deux dirigeants étaient encore des camarades d'idées, mais ledit Kautsky étant devenu ensuite un pourfendeur du bolchevisme puis une des éminences du réformisme, sa présence souligne plus encore l'absence d'Oulianov (le vrai nom de Lénine).
Il semble cependant qu'il n'y ait pas d'explication politique à cette disparition : la véritable raison en serait que Lénine fait désormais partie des auteurs introuvables. Les maisons d'édition ne se sont jamais empressées de publier les ouvrages appelant à la subversion du capitalisme, laissant ce soin à l'Union soviétique et à la RDA, qui répandirent aux quatre coins de la Terre, et dans de nombreuses langues, les œuvres des "barbus" (Marx, Engels et Lénine). Après la fin de ces deux Etats, puis l'épuisement des stocks, la pénurie est là. Et voilà pourquoi Lénine est muet !
Le nombre de livres publiés en France ne cesse de croître, et pourtant il est de plus en plus difficile d'y trouver les textes des ancêtres révolutionnaires : dénicher un seul écrit de Lénine, Fourier, Bakounine, Blanqui ou Proudhon, ou même de Jaurès relève de la mission impossible. C'est une sorte de Farenheit 451 mou. En revanche, les œuvres complètes de Steevy ou Loana garnissent les rayons des librairies ; elles sont d'un plus juteux rapport, mais de singuliers mauvais coucheurs prétendront que leur contribution à l'histoire des idées est plus modeste.
Olivier Houdart
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