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Message Publié : 22 Avr 2004, 13:19
par ianovka
Le 21 avril a bon dos

Eric Zemmour
[22 avril 2004]



C'est le devoir de mémoire du pauvre. Le 21 avril, quel séisme, quel événement, quelle histoire ! Pour quelques milliers de voix, Jean-Marie Le Pen passe devant Lionel Jospin et prive le candidat socialiste de second tour. On se souvient de la grotesque mascarade de l'entre-deux-tours. Comme disait Marx, l'histoire se joue toujours deux fois, une première fois en tragédie et une seconde en comédie. Cette fois, on était dans la bouffonnerie. Où étaient le danger fasciste, les milices armées dans la rue, les croix gammées sur les devantures des commerçants juifs ?


En vérité, depuis 1988, le Front national ne progresse guère ; Le Pen a seulement ressuscité son parti après la scission mégrétiste. C'est la gauche qui a permis à Jacques Chirac d'obtenir une élection aussi massive, qui le situe entre Poutine et Bouteflika. A l'époque, seuls deux dignitaires de gauche osèrent poser ce diagnostic-là : Arlette Laguiller et... Lionel Jospin.


Deux ans plus tard, les électeurs leur donnent raison. La droite subit une déroute aux régionales. C'est le moment pour la gauche de réécrire l'histoire. Même une agence aussi objective que l'AFP s'y laisse prendre. Ainsi, contant hier, dans une longue dépêche, l'histoire de ces journées qui ont changé la face du monde, elle n'hésite pas à écrire :


«Sûre d'elle-même et dominatrice, la droite s'installe au pouvoir. La France vire de bord. Jean-Pierre Raffarin est nommé premier ministre. Le gouvernement «le plus à droite depuis Vichy» assure M. Paul Bacot, professeur à Sciences Po de Lyon.» Il faut traduire «sûre d'elle-même et dominatrice» par haineuse et revancharde, comme on disait jadis ; «vire de bord» par : sous Jospin, la France vivait sous les lumières, elle est entrée dans les ténèbres de la droite.


Quant au «gouvernement le plus à droite depuis Vichy», on s'interroge : l'AFP veut-elle stigmatiser ainsi la chambre Front populaire qui porta Pétain au pouvoir, et traîner dans la boue tous les socialistes qui le rejoignirent par pacifisme ? Veut-elle signaler que Raffarin a rétabli la devise «Travail, famille, patrie» ? Qu'il a restauré le statut des juifs d'octobre 1940 ? Qu'il a supprimé les syndicats et rétabli les corporations ? On ne nous dit rien, on nous cache tout. Quant à ce professeur Paul Bacot, qui est-il ? Un pseudonyme de René Rémond qui en avait assez d'être interrogé sur ses fameuses trois droites ? Un pseudonyme de François Hollande qui aime bien les farces ? Un provocateur payé par la CIA qui veut se venger de Chirac et de Villepin ?


En vérité, ce «souvenir du 21 avril», maintenu comme la flamme du temple, est devenu une arme politique majeure du PS. Une assurance tous risques. Une stratégie de culpabilisation des électeurs de gauche tentés de voter en faveur de l'extrême gauche. Les électeurs ont d'ailleurs parfaitement entendu le message, intériorisé leur culpabilité, et déplacé leur vote protestataire vers des mouvements plus «responsables», c'est-à-dire qui se rallient sans conditions au PS entre les deux tours. Cette stratégie efficace a fait des Verts le deuxième parti de la gauche et offert une rémission inespérée au Parti communiste. Elle a par ailleurs ruiné les chances de l'extrême gauche, qui avait pourtant contrarié son penchant séculaire pour la querelle groupusculaire.


Ce «souvenir du 21 avril» a enfin éventé la manoeuvre de la droite chiraquienne, qui avait tenté de faire émerger à la gauche de la gauche un pôle radical qui aurait été au PS ce que le Front national fut au RPR pendant vingt ans : une machine à faire perdre les élections. La chiraquie n'avait pas lésiné pourtant. Le président avait sorti José Bové de prison ; Sarkozy lui avait serré la main devant les caméras ; le gouvernement avait largement subventionné les réunions des altermondialistes.


Le résultat pour le gouvernement Raffarin fut perdant-perdant. «Angélisée», et non «diabolisée» comme le FN, l'extrême gauche put développer ses thèses dans les médias et saper la légitimité de la politique gouvernementale sur les retraites, l'éducation, les intermittents du spectacle ou les chercheurs. Dans le même temps, rejetant sans pudeur son récent passé gouvernemental, le PS relayait ce discours, appelait à la «résistance» contre la «réaction libérale» du gouvernement Raffarin, alors que celui-ci, comme ses prédécesseurs, de gauche ou de droite, s'était contenté d'adapter – ma non troppo – le pays aux règles du jeu de la mondialisation. François Mauriac aurait appelé cela «la maladresse des habiles».

Message Publié : 22 Avr 2004, 16:05
par alex
Ce «souvenir du 21 avril» a enfin éventé la manoeuvre de la droite chiraquienne, qui avait tenté de faire émerger à la gauche de la gauche un pôle radical qui aurait été au PS ce que le Front national fut au RPR pendant vingt ans : une machine à faire perdre les élections. La chiraquie n'avait pas lésiné pourtant.

Le changement de la loi électorale avait pourtant le but de supprimer toutes les petites formations !