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Message Publié : 11 Fév 2004, 07:24
par Barikad
a écrit :Arrivé du Maroc en 1969, Driss a vécu l'espoir du soulèvement des ouvriers immigrés de l'usine Talbot en 1982-1984. Puis son échec. Vingt ans après, il raconte ce combat perdu, le racisme qui perdure, sa désillusion.
Par Cédric MATHIOT

mercredi 11 février 2004


Unn jour d'octobre, l'année dernière, une manifestation ratée devant l'usine automobile de PSA à Poissy (Yvelines). Ce jour-là, 500 intérimaires sont mis à la porte, la CGT a tenté de les mobiliser : trois jeunes sont venus. Parmi les militants CGT présents, un petit homme rond contemple le spectacle d'un oeil triste. Driss Lafdil a 54 ans. Immigré marocain, ouvrier à Poissy depuis 1969, il peste de voir ces intérimaires valser docilement au gré des cycles de production. Il avoue aussi, en père de l'immigration française, son amertume de voir que la plupart de ces précaires sont des enfants d'immigrés. «Leur échec scolaire a été fabriqué. Pendant des années, les patrons ont utilisé leurs parents, main-d'oeuvre quasiment gratuite, jamais malade. Aujourd'hui, ce sont leurs enfants qu'ils utilisent.» Un raccourci, d'une génération l'autre, comme un échec.

«Je voulais voir un 1er Mai en France»

Il y a vingt ans, la même usine de Poissy, alors Talbot (1), était le théâtre d'un des épisodes majeurs de l'histoire de l'immigration française. Entre juin 1982 et janvier 1984, plusieurs centaines d'ouvriers immigrés de la première génération, soutenus par la CGT, levaient la voix pour réclamer le respect. Driss en était : «C'était le 2 juin 1982. Les gens ont quitté leur poste. Ce n'était pas une grève, parce qu'une grève, c'est pour les salaires, des revendications. Non, c'était une révolte. Un accrochage pour la liberté et la dignité.» Ces mots étaient dans l'air du temps. Trois semaines avant Poissy, les immigrés de l'usine d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) s'étaient lancés, eux aussi, dans le «printemps de la dignité». C'était l'époque de la marche des beurs. Le regroupement familial et les enfants nés en France invitaient à s'imaginer un avenir dans le pays. L'arrivée de la gauche permettait de croire qu'il serait plus décent que les années passées à courber l'échine. Poissy connut un an et demi d'effervescence.

Et puis la crise est arrivée. La France, qui se rêvait généreuse, n'a su que faire de ses travailleurs immigrés. Fin 1983, le gouvernement autorise 1 905 licenciements à Poissy. Une majorité d'immigrés. A ceux qui commençaient à s'inventer un avenir français, la gauche répond licenciement avec, au titre de l'aide au retour, quelques dizaines de milliers de francs. Certains ont protesté. Driss en était, encore. Le 5 janvier 1984, après trois jours d'affrontements ­ une des dernières grandes bagarres dans une usine française ; 55 blessés le dernier jour ­, les grévistes de Poissy sortent de l'usine sous les huées de centaines de salariés : «Les Arabes au four, les Noirs à la Seine, nous voulons travailler.» C'est la dernière apparition des immigrés de la première génération sur la scène médiatique. Le 6 janvier 1984, Libération écrit : «Le fossé entre immigrés et Français n'a jamais été aussi grand.»

Vingt ans après, au moment du débat sur le voile, de la radicalisation supposée d'une partie de la jeunesse maghrébine française, nous avons demandé à Driss de raconter ses combats perdus, sa vie de père de l'immigration, son rapport à la France. Ce pays qu'il n'a pu faire sien.

Driss donne rendez-vous devant la gare de Sartrouville, banlieue de Paris où il vit depuis trente ans. Il nous propose de discuter dans sa camionnette, désigne la place du passager et se gare dans un parking en précisant qu'il changera de place après un quart d'heure pour éviter une contravention (ce qu'il oubliera de faire). Il laisse le moteur tourner et le ronronnement sourd devient la toile de fond du récit de sa vie.

Driss est venu en 1969 de Meknès, où ses parents, morts aujourd'hui, étaient commerçants en fruits et légumes. «Du Maroc, j'avais suivi Mai 1968 en France. J'étais content d'aller dans ce pays. C'était la liberté d'expression. Je voulais voir un 1er Mai en France, les manifestations.» Il y est allé. «Je me rappelle la foule, des slogans contre la guerre au Vietnam, le temps de travail.» Driss est rentré à Poissy, un parmi des milliers. «J'ai d'abord été à la cité des Italiens (un des foyers d'immigrés, ndlr) ; aujourd'hui, c'est le B7, là où les robots soudent. Les arrivants restaient là les six premiers mois. C'était des chambres de six divisées par des contreplaqués. Comme un internat. Pas une prison, mais quand même. La direction faisait venir deux camions, de pain, légumes et viande, à la sortie de l'usine. Je sais pas si c'est vraiment eux qui les faisaient venir, mais, bon, ils les autorisaient. Ça les arrangeait, on ne sortait pas. Le soir, dans la semaine, on devait rentrer à 20 heures ; le samedi, c'était plus tard. On allait à Paris. Faire la fête. C'était toujours avec les immigrés. Jamais les Français. Il y avait cette division plantée dans l'usine. Un grillage séparait les Nord-Africains, comme on disait alors, des citoyens français.»

«En 1973, j'ai pris la carte de la CGT. En clandestin»

Dans le flot d'immigrés, Driss était une exception. Parce qu'il avait fait des études et que Talbot préférait les analphabètes. La direction du groupe recrutait des Marocains ­ les Algériens étaient censés être moins dociles ­, de préférence de la région d'Agadir, où la population était surtout paysanne. «Moi, j'avais une culture politique. Je me rappelle que, dans chaque bâtiment, il y avait un délégué CFT (Confédération française du travail, ndlr) installé pour nous surveiller. Il avait les clés de nos placards. Une fois, j'avais pris dans le métro des tracts de la CGT. Et je les avais cachés. C'était un dimanche, à Saint-Lazare, en 1972. Le mardi, j'étais convoqué à la direction. Tu as un tract ? Oui j'ai dit. C'est interdit. Qui te l'a donné ? Je savais bien qui me l'avait donné, il travaillait chez Renault. On avait discuté parce que cela l'avait étonné qu'un jeune immigré prenne un tract. La direction m'a dit que ce serait la dernière fois. En 1973, j'ai pris la carte de la CGT. En clandestin.»

«Ils ont dit: c'est pas grave, virez les immigrés, ils votent pas»

Driss fut un des trois premiers immigrés cégétiste à défier le système postcolonial de la CFT (devenue par la suite Confédération des syndicats libres, CSL), syndicat maison qui fliquait les ouvriers et tabassait les agitateurs. Le racisme de cette usine, une note, rédigée au moment où les immigrés commençaient à protester, permet de le mesurer. On y lit que l'engagement des Noirs africains dans le conflit «s'explique par un orgueil naturel et naïf les incitant à défendre une liberté que nul n'a jamais songé à leur enlever et dont ils ne possèdent pas le mode d'emploi ». (2) «Dans l'encadrement, dit Driss, il y avait beaucoup de pieds-noirs. Ils nous parlaient comme à des chiens. Ils nous attendaient à la sortie. Ils disaient : ratons, bougnoules. La politique, c'est pas pour les Arabes. Une fois, deux nervis de la CFT m'ont cassé une bouteille sur la tête (il incline la tête, écarte deux mèches de cheveux et dénude une cicatrice luisante). Ils l'ont fait devant tout le monde, exprès, pour intimider les autres.»

Cette terreur avait aussi une face marocaine. Le Maroc traquait les agitateurs potentiels jusque de l'autre côté de la Méditerranée. Le consulat avait ses antennes à Poissy. «En 1978, en rentrant au pays pour les vacances, sur le bateau, j'ai été appelé par la police à bord. A Tanger, on m'a bandé les yeux et conduit jusqu'à Rabat. Là, ils m'ont mis sur un lit, menotté. Pendant quatre jours, ils sont venus toutes les deux heures. Ils me disaient : tu es révolutionnaire. J'ai dit : je suis militant de la CGT. Ils m'ont frappé. Ils m'ont frappé dans la tête (il pleure). Ma famille ne sait pas ce que j'ai vécu. Ma femme a prévenu, et l'Humanité a écrit à Paris que j'avais été arrêté. J'ai fini par partir. Je me souviens que je n'arrivai plus à marcher. »

Driss se rappelle de l'élection de 1981 comme d'une promesse. « Pour les immigrés, l'arrivée de la gauche a été une grande victoire. Il y a eu le droit de s'exprimer. Une fenêtre d'air qui s'ouvre. » Durant cette période, la CGT voit les salariés immigrés affluer par milliers. Le syndicat met en place des cours d'alphabétisation. La grève de 1982 débouche sur des mesures en faveur des salariés immigrés. Puis vinrent les licenciements. «On croyait qu'il y avait un espoir. Ils ont dit : c'est pas grave, virez les immigrés, ils votent pas. Ces gens-là, on en a besoin pour le travail. Après, on les jette.» Driss se souvient de la saillie du Premier ministre Pierre Mauroy, en visite au Maroc, dénonçant des grévistes manipulés par les islamistes. «Moi, je ne faisais pas de prières ; mes copains, oui. Mais intégristes, on ne savait pas à cette époque ce que cela voulait dire. Ils ont donné beaucoup d'importance à ce mot. » Puis Driss se rappelle de «l'arrivée du FN» et, avec lui, la nouvelle stigmatisation des immigrés. Les pères sont retombés dans le silence. « Leur vie, ç'a été boulot, dodo. Ils ont toujours ignoré leurs droits. Pendant les vacances, ils ramassent leurs valises et prennent le train. »

Que reste-t-il de cette époque ? Les effectifs ont fondu. Poissy est toujours une des usines françaises qui emploie le plus d'immigrés ou d'enfants d'immigrés. Il reste les salles de prière obtenues après les grèves de 1982. Et un lien qui ne s'est jamais rompu entre les immigrés et la CGT, qui fut un des rares supports de leur intégration. A Poissy, «la CGT, c'est le syndicat des Arabes», entend-on aujourd'hui. En 2002, pour la première fois, c'est un salarié issu de l'immigration qui a été élu à la tête de l'organisation. Il a 35 ans, s'appelle Farid Borsali et, quand il dit «nous», il parle des salariés, immigrés et non immigrés mêlés.

Driss a pris la nationalité française au milieu des années 80, au moment où chacun de ses retours au Maroc lui était devenu insupportable. Il en dit : «Cela ne sert à rien.» On lui suggère que cela lui permet de voter. «Oui, on vote. Oui, moi, je vote. Je vote à gauche. La vraie gauche. Le vrai rouge. Mais, pour le reste, la nationalité ne change rien. Non, vraiment.»

«Ma vie en France m'a déçu»

Dans quelques années, Driss partira à la retraite. Il finira sa vie à moitié en France et à moitié au Maroc. A égale distance des souffrances qu'il a vécues des deux côtés. Terre grise de l'identité. C'est cela qu'il laisse en héritage à ses quatre enfants, entre 21 et 28 ans, tous bacheliers (l'un est comptable ; un autre, technicien de laboratoire, mais il en parle peu). Cela, et la certitude qu'ils auront à leur tour à mener en France le combat que sa propre génération a perdu. A travers la vitre de sa portière, il suit des yeux le trottoir : « Vous voyez, tous les jours je prends ce chemin pour prendre le RER. Il y a des jeunes maghrébins qui passent. Ils sont étudiants. Les policiers les connaissent, les policiers les arrêtent. C'est pour cela que ma vie en France m'a déçu. Nous et nos enfants restons immigrés partout. »

(1) L'usine, ex-Simca, devient Talbot en 1979. A partir de 1985, elle produit des 309 Peugeot pour PSA, propriétaire depuis 1975. Elle assemble aujourd'hui des 206.

(2) in les Sept Vies de Poissy, de Jean-Louis Loubet et Nicolas Hatzfeld (Editions techniques pour l'automobile et l'industrie).

Message Publié : 11 Fév 2004, 12:54
par alex
a écrit :Et un lien qui ne s'est jamais rompu entre les immigrés et la CGT, qui fut un des rares supports de leur intégration. A Poissy, «la CGT, c'est le syndicat des Arabes»,


La CGt les a pourtant bien laissé tomber à l'époque, la responsable envoyé par le syndicat leur demandant de reprendre le boulot ( c'était le premier conflit important après la victoire de la "gauche" et il ne fallait pas géner le gouvernement !);
De nombreux travailleurs ont à ce moment déchirer leur carte syndicale.

Message Publié : 11 Fév 2004, 13:13
par NazimH
merci pour l'article il est vraiment intéressant.

pour alex, quand tu dis:
"De nombreux travailleurs ont à ce moment déchirer leur carte syndicale"

je me demande ce que nombreux représente. Et puis je crois que bon gré mal gré, la CGT a du continuer à syndiquer les plus combatifs.
Moi je tire mon chapeau à ceux qui ont milité des années sans se découvrir et avec le flicage patronal...

un bon livre au passage c'est "L'usine de la peur" (je ne me rappelle plus l'auteur) écrit par un militant PC- CGT sur les années 60-70...

si l'auteur c'est Daniel Bouvet !!

Message Publié : 11 Fév 2004, 15:41
par alex
Non, je n'ai pas de références précises en tête, mais je me souviens de reportages sur le sujet;
Il y a eu une vrai rupture entre la CGT et ses travailleurs là, après le passage de Nohra Trohel (?) bureaucrate venue faire reprendre le travail sous les huées.
Je n'ai pas les chiffres, mais je crois que certains ont essayés de continuer le syndicalisme ailleurs mais que tout c'est délité.
Tu tires ton chapeau à ceux qui ont milités, moi aussi.
Mais ils n'ont pas été aidés et beaucoup écoeurés !!!

Je pense que certains possédent des archives à ce sujet...

Message Publié : 11 Fév 2004, 16:22
par NazimH
la militante PC-CGT en question s'appelait Nora Tréhel. il est exact qu'elle a comme représentante de la direction de la CGT appelé à accepter de reprendre le travail -pendant la grève de 1984 contre les licenciements-sur ce que la direction de la CGT a présenté comme un recul inévitable.

la direction de Talbot Poissy avait annoncé 2700 licenciements. Elle a pendant la grève dit finalement 1900. Les syndicats qui organisaient la bagarre , la CGT pour l'essentiel, ont fini par expliquer que les travailleurs étaient coincés, qu'il n'y avait pas d'autre issue que d'accepter.

A l'époque, le PS était majoritaire à l'Assemblée (tout seul) et le PC a 4 ministres au gouvernement. La CGT -plus importante qu'aujourd'hui!- fait globalement obstacle aux bagarres ouvrières ou alors elle les dirige vers des "patrons réactionnaires" (comme Citroen ou Talbot-Simca justement) et pour la reconnaissance syndicale.
Le conflit Talbot n'était pas tout à fait le premier conflit important du gouvernement de gauche. Par exemple, à Citroen , les ouvriers avaient mené une bagarre victorieuse mais pour la reconnaissance syndicale avec la CGT. (voir la brochure de LO : Citroen , un an de luttes) Ce qui était marquant à Talbot, c'est que là les syndicats se sont mis en travers de la volonté de se défendre de milliers de travailleurs pour la première fois (depuis 81) sous le gouvernement de gauche.

Le problème c'est que de toute façon, la situation était délicate. la CGT a été sifflée mais personne n'était là pour proposer vraiment autre chose. la CFDT de l'usine était plus ou moins contre les licenciements (je crois qu'elle comptait quelques membres d'extrème-gauche à l'époque, Lcr ou proche) mais elle ne faisait pas le poids. L'austérité commençait à s'appliquer dans tout le pays, les licenciements tombaient en rafale (sidérurgie...). Le gouvernement de gauche était anti-grève, la droite, n'en parlons pas. La CGT de l'usine avait quand même des arguments pour défendre sa position et dire que continuer c'était casse-gueule, qu'il n'y avait pas le rapport de force.

Et finalement ceux qui étaient les plus combatifs, je pense qu'ils sont restés à la CGT. (où seraient ils allés ?) . ceux qui s'en sont écartés, ils n'ont pu que se démoraliser.

Si certains connaissent mieux, qu'ils n'hésitent pas à poster... car je peux me gourer

Message Publié : 12 Fév 2004, 12:47
par alex
(nazimh @ a écrit :La CGT de l'usine avait quand même des arguments pour défendre sa position et dire que continuer c'était casse-gueule, qu'il n'y avait pas le rapport de force.


C'est argument peut être repris dans toutes les situations, et la CGT ne s'en est jamais privé dès que ça chauffe réellement !
Tu semble vouloir atténuer la responsabilité de la CGT.
Puisque les travailleurs de Talbot voulait aller à la bataille, si les conditions du rapport de force était défavorable, je ne serai pas choqué que l'on leur dise mais pousser à la reprise comme sait si bien le faire dans ces cas là la CGT, moi j'appèle ça de la trahison; Je préfère être du coté de ceux qui veulent se battre y compris s'ils n'avaient été que peu nombreux, ce qui n'était pas le cas.
Que les militants les plus combatifs restent à la CGT c'est possible mais si c'est sur un tas de cendre je ne voie pas le progrés réalisé.
Je n'ai pas de base pour l'affirmer, mais je pense que la CGT a raté là une occassion de s'enraciner parmi les travailleurs immigrés et leurs descendances, et ce bilan Talbot a dû se répandre partout.

Message Publié : 13 Fév 2004, 12:52
par NazimH
a écrit :Tu semble vouloir atténuer la responsabilité de la CGT


On a mal du se comprendre. j'ai juste essayé de dire comment la CGT locale avait pu faire passer sa politique auprès des travailleurs les plus mobilisés de Talbot (qui étaient souvent ses propres militants).

je suis allé rechercher un article de "Lutte de classe" (publié par LO) de l'époque -janvier 1984.

quelques précisions : Nora Tréhel était la secrétaire du syndicat CGT Talbot. il me semble qu'elle avait fait tout un boulot sur l'usine bien avant la grève.

Dire que :

a écrit : je pense que la CGT a raté là une occassion de s'enraciner parmi les travailleurs immigrés


est plutôt inexact. En fait la CGT s'était implanté avant, dans les usines Peugeot ou Citroen de la région parisienne qui comptaient des milliers d'OS immigrés. La CGT avait obtenu des succès en 81- 82 en réussissant à imposer le syndicat dans ces usines et à y devenir parfois majoritaire. Pour des milliers d'OS, c'était un grand pas en avant et l'ambiance dans ces boîtes y avait changé ( c'est ce que raconte très bien je le répète la brochure Citroen un an de luttes de LO ).

Les ouvriers de l'automobile formaient une force.

Et les licenciements chez Talbot furent justement l'occasion pour la direction de Peugeot et le patronat en général de montrer qu'ils entendaient imposer de lourds sacrifices aux travailleurs et qu'il n'y aurait pas de moyens d'y résister.

Le gouvernement de gauche fut super faux-cul dans l'affaire. A l'annonce des licenciements, il s'y déclara opposé. Le premier ministre Socialiste, Mauroy déclara : "Les travailleurs ont leurs amis au gouvernement, qu'ils le sachent."

Mais il choisit rapidement de dire que les licenciements étaient inévitables (1900 sur 2700) même s'il déclara qu'ils ne seraient pas "secs". il faut savoir qu'à l'époque, les licenciements devaient être autorisés par l'administration (ça ne protégeait pas spécialement les travailleurs. Chirac supprima cette disposition en 1986).
les ministres PC qui étaient montés au créneau avalisèrent ce choix, La direction de la CGT suivit...

A Talbot la grève était partie dans des conditions difficiles (peu avant les congés) mais elle avait d'abord été unanime (même les employés en grève).
Mais les syndicats ne vont pas demander aux grèvistes de devenir des acteurs de leur grève. Talbot sera occupé mais par quelques centaines d'ouvriers et de syndicalistes "seulement" (sur 13000). il y beaucoup de sympathie dans toutes les usines automobiles de la région parisienne, tous les militants ne discutent que de cela, mais aucun appel à se battre ensemble contre l'austérité ne viendra d'aucun syndicat.

la CGT n'appelera jamais au niveau de l'usine à cesser la grève (mais à la fin elle dira : "on fera ce que les ouvriers décideront" ce qui équivaut à un lachàge). Jusqu'au bout elle déplorera les licenciements mais elle soulignera que la diminution de leur nombre est "un acquis, un point positif..."; un certains nombre d'immigrés ayant mis en avant l'idée qu'il fallait une prime de départ (pour l'aide au retour) elle reprendra cette revendication. C'est comme cela qu'elle parviendra bon gré mal gré à faire passer sa politique.

Par ailleurs la direction de Peugeot-Citroen va envoyer sa maitrise (de toute la région parisienne) faire le coup de poing avec les grévistes. des bagarres très dures auront lieu ( la CFDT finira par demander l'intervention de la police et les grèvistes évacueront l'usine entre des rangées de flics). Les patrons apparurent comme très déterminés et cela servit aussi d'argument aux dirigeants syndicaux (ajouté à l'attitude gouvernementale et à "l'isolement" qu'ils n'avaient en rien combattu).

La grève se terminera donc par une défaite -les licenciements passent, chaque travailleur sera convoqué individuellement pour reprendre le travail- sans qu'aucun syndicat n'appelle à la reprise.

Bien sûr la politique des syndicats et de la CGT en particulier (qui était le plus influent et regroupait les plus combatifs) fut finalement de ne proposer aucune perspective aux travailleurs mobilisés et cela parce qu'elle soutenait la politique d'austérité du gouvernement de gauche.

Et cela se vit aussi localement face à la mobilisation des ouvriers de Talbot qui aurait peut-être pu en entrainer d'autres .

Beaucoup de militants ont surement ressenti douloureusement cette défaite, chez les travailleurs immigrés comme ailleurs, et pas seulement à Talbot. Et un certain nombre ont arrêté. Mais pas tous comme d'ailleurs l'article de Libé l'illustrait.

Message Publié : 13 Fév 2004, 13:03
par pelon
(NazimH @ vendredi 13 février 2004 à 12:52 a écrit :
quelques précisions : Nora Tréhel était la secrétaire du syndicat CGT Talbot. il me semble qu'elle avait fait tout un boulot sur l'usine bien avant la grève.


Tout à fait. Elle y était même, à juste titre, très populaire. La fédération de la métallurgie de Sainjon, dans la ligne de la CGT soutien du gouvernement, lui a fait manger son chapeau.

Message Publié : 13 Fév 2004, 14:30
par NazimH
VOICI L'ARTICLE DE LA LUTTE DES CLASSES DE 84 :

TALBOT : UN AVERTISSEMENT DE CE QUE SERA LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT ET DES SYNDICATS



Au moment où l'on annonce des dizaines de milliers de suppressions d'emplois dans différentes branches de l'économie (automobile, chantiers navals, sidérurgie, charbonnages, métallurgie) l'affaire Talbot prend valeur de test. Dans ce premier grand conflit de l'automobile, placé sous le signe des licenciements, on a pu mesurer tout à la fois l'intransigeance patronale, la complaisance du gouvernement, le désarroi syndical et la détermination des travailleurs à ne pas s'incliner devant la situation.
Après plusieurs semaines d'un conflit dur, grave, plein de rebondissements, marqué par les coups de force et le chantage de la direction PSA, l'intervention des CRS du gouvernement "socialiste", la division syndicale et les violents incidents entre grévistes et CSL, les ouvriers de Talbot ont repris le travail, sur la base de l'accord gouvernement-Peugeot entérinant 1905 licenciements. Seules se discutent encore, cas par cas, ambassade par ambassade, les modalités d'une "aide au retour' dont on ne sait pas encore si elle concerne les seuls licenciés de Talbot au si elle sera étendue à toutes les branches visées par les licenciements.
Et pourtant le conflit Talbot n'a pas fini de peser sur la situation politique. les grandes centrales syndicales continuent à s'expliquer, à s'accuser mutuellement, les partis eux-mêmes modifient leur langage, Georges Marchais durcit le ton sinon les actes. Le gouvernement cherche tous azimuts des solutions "douces" à ce que toute la presse baptise hypocritement "les nécessités de la mutation industrielle" et les travailleurs, surtout ceux de l'automobile, des chantiers navals ou des Charbonnages, discutent âprement de ce qui s'est passé à Talbot, du rôle qu'y ont joué les uns et les autres, de la lutte inévitable qu'ils auront à mener et de leurs chances de l'emporter.
Chacun sait désormais que le gouvernement socialiste autorisera les licenciements demandés. Certes, pas des "licenciements secs" selon le jargon de Ralite, ministre communiste délégué à l'emploi, des licenciements avec "accompagne- ment social", mais licenciements tout de même. Pour beaucoup de travailleurs, c'est nouveau. Ils avaient certes connu les licenciements sous Giscard, mais ils avaient espéré autre chose des socialistes, d'autant qu'à l'été 81, le gouvernement était intervenu pour éviter des faillites et des dépôts de bilan, comme chez Boussac. Mauroy s'était engagé à ne pas dépasser la barre des deux millions de chômeurs recensés.

Depuis la situation s'est dégradée. Depuis le patronat réclame à car et à cris la liberté de licencier. Il ne s'agit pas des entreprises qui ferment, mais des entreprises qui fonctionnent et qui entendent rester compétitives. Dans la logique capitaliste, ce terme entraîne inévitablement des suppressions d'emploi. Car moderniser, restructurer, opérer des mutations technologiques, sont des termes commodes, qui ne recouvrent le plus souvent qu'une volonté délibérée d'abaisser les coûts de production en faisant faire plus de travail avec moins d'ouvriers.
Ce n'est pas la robotisation qui met, globalement, les ouvriers à la porte, c'est la crise, ou plus précisément, la volonté des bourgeois en période de crise, de maintenir leurs profits à tout prix, même en augmentant le nombre des chômeurs, même en diminuant les revenus de la population laborieuse.
Cette volonté est dans une certaine mesure entravée par des liens juridiques qui soumettent les licenciements économiques à l'accord des autorités, direction départementale du travail et au-delà, gouvernement.
Or le gouvernement affirme lui aussi la nécessité de "sauver les entreprises", de les aider à être concurrentielles. Le gouvernement de Mauroy, qui épouse la logique capitaliste, sait parfaitement qu'il devra autoriser et donc cautionner les licenciements dans certaines branches industrielles. Il l'a laissé entendre très officiellement, pour ce qui dépend de lui, c'est-à-dire les Charbonnages. Mais, afin d'éviter les réactions ouvrières, et de préserver le calme social, il prenait du temps, le temps sans doute de mettre au point des propositions sociales qui en atténueraient un peu, provisoirement, les conséquences.

PEUGEOT MET LE GOUVERNEMENT AU PIED DU MUR

Le patronat, lui, n'a aucune raison d'attendre. En annonçant le 12 juillet son intention de SUPPrimer Près de 8000 emplois sur l'ensemble du groupe Peugeot-Talbot, et déposant auprès des autorités un dossier, la direction PSA mettait le gouvernement au pied du mur.
Le gouvernement feint la surprise... et se donne deux mois pour examiner le dossier, avec la nomination d'un expert pour évaluer la situation du groupe Peugeot.

Le 11 octobre, la direction du travail des Yvelines, chargée du dossier Peugeot-Talbot, accepte le principe de 451 0 départs en préretraite (dont plus de 1200 à Poissy, le reste à Sochaux). Mais elle refuse les 2905 licenciements demandés chez Talbot, car "le plan social d'accompagnement est insuffisant". Ainsi il apparaît dès lors pour l'administration que les licenciements sont inéluctables, il ne manque que la "sauce" autour. Peugeot est prié de revoir son dossier dans ce sens.
Mais pour les travailleurs de Talbot, c'est l'attente et l'inquiétude. Début décembre, la direction de PSA qui s'impatiente elle aussi et qui négocie avec Bérégovoy, annonce de nouvelles journées de chômage technique. entre le 12 et le 23 décembre, l'usine ne tournera qu'avec la moitié des effectifs (l'équipe du matin, l'autre restera à la maison avec 5011/o du salaire); du 23 décembre au 2 janvier, l'usine sera fermée pour cause de congés (5èrne semaine).
Il faut donc réagir tant que l'effectif est au complet.
Le mercredi 7 décembre au soir, à 20h 30, à l'appel séparé de la CGT et de la CFDT, l'usine Talbot est en grève pour 24 heures reconductibles.

LA GREVE

La grève sera totale, elle concernera toute la production (13000 personnes) et rencontrera, disent les syndicats, la sympathie des employés et même des cadres.

C'est cette réaction massive, déterminée des travailleurs qui va déranger les manœuvres en cours. Visiblement après le rapport de l'expert, le gouvernement avait accepté le principe des licenciements. Restait à mettre au point, avec Peugeot, une formule de plan social qui ait un peu de tenue. C'était la tâche de Bérégovoy. Mais devant le mécontentement des ouvriers et leur décision, le gouvernement embarrassé, tente de gagner du temps et de retarder sa réponse. Ces tergiversations alimentent les illusions.
Ainsi, Nora Tréhel, secrétaire du syndicat CGT, déclare - "la direction doit prendre en compte la combativité et la détermination des salariés. Le gouvernement doit entendre le point de vue exprimé par les travailleurs et confirmer son refus des licenciements". Poperen, membre du Bureau Politique du PCF, avait écrit dans l'Humanité du ler décembre . "Monsieur Calvet, directeur de PSA, ne peut continuer en toute tranquillité la politique qu'il pratiquait lorsqu'il était chef de cabinet de Valéry Giscard d'Estaing et de narguer les décisions gouvernementales : refus des licenciements. Ce qui lui est demandé, ce n'est pas de faire en douceur ce qui lui a été refusé de faire brutalement, mais d'avancer d'autres solutions, garantissant l'emploi et le maintien de la marque Talbot".

Ainsi, le PCF comme la CGT, prêtent au gouvernement la ferme volonté de "refuser les licenciements". Tactique, ou ignorance ? C'est le moment où Georges Marchais, à propos de SKF, s'en prend au ministre Laurent Fabius, et affirme la volonté des communistes de défendre l'emploi.

L'Humanité du 1 0 décembre précise même -. "Du côté des pouvoirs publics, aucune décision officielle, ni officieuse n'a été prise, contrairement à ce qu'a pu déclarer après une rencontre avec la direction départementale du travail, le syndicat CFDT de l'usine, selon lequel le problème était tranché dans le sens de l'acceptation des licenciements. C'est faux. Rien n'est joué".

Quant à Poperen, il explique clans une interview au Matin. "Elle (la direction) prétend que supprimer trois mille emplois à Poissy c'est permettre d'en gagner douze mille. Tout le monde sait qu'il s'agit d'un mensonge et que l'objectif est de parvenir rapidement à un effectif maximal de 8000 salariés à Poissy". Ce "mensonge" deviendra pourtant l'argument officiel du gouvernement, après la conclusion de l'accord avec Peugeot, il sera même repris par Nora Tréhel début janvier pour expliquer aux travailleurs qu'il n'y a rien de mieux à espérer.

En fait durant cette première phase de la grève, alors que la CFDT dénonce l'intention des autorités de laisser faire les licenciements, la CGT prétend elle, que rien n'est fait, et laisse entendre que le gouvernement peut refuser.

Le lundi 12, la grève est reconduite par plusieurs milliers d'ouvriers et pas seulement de l'équipe du matin. La CGT a appelé, malgré la consigne de la direction, l'équipe du soir - officiellement en chômage technique- à venir aussi à l'usine. Talbot s'installe dans la grève.

Après une entrevue avec Bérégovoy et Ralite, le secrétaire de la Fédération de la métallurgie CGT, André Sainjon, déclare.- "la direction de PSA semble persister dans sa volonté de licencier. Pour la CGT, il n'est pas question d'accepter de licenciements chez Talbot. Il est possible, par la négociation, d'envisager des solutions telles que la réduction du temps de travail, l'avancée de l'âge de la retraite pour les travailleurs sur chaîne, le développement de la formation, le recyclage".

En fait, au gouvernement, on s'active pour trouver une solution mais Peugeot ne veut rien entendre. Il n'a que faire de l'embarras du gouvernement socialiste. Il a fait ce que Bérégovoy et Ralite lui avaient demandé, un peu de "social", il n'ira pas outre. au gouvernement de prendre ses responsabilités. Sinon ...

Sinon, le jeudi 15 décembre, au cours d'un CE extraordinaire, le directeur de Peugeot automobile annonce que vu la situation dans l'usine, les salaires ne seront plus payés à compter du 19 décembre (y compris pour l'équipe de nuit jusque là indemnisée à 50%), qu'elle suspend son plan d'investissement pour la modernisation de l'usine de Poissy et déclare "la présence du personnel sur le lieu du travail est devenue sans objet".

C'est un coup de force et un chantage. Le gouvernement accuse le coup. Mauroy en voyage dans la Somme a beau dire "le gouvernement n'a pas à se presser, n'a pas à dire "mais oui, mais oui" aux patrons. Les travailleurs ont leurs amis au gouvernement, qu'ils le sachent", le week-end va être consacré à régler l'affaire Talbot. Un accord est signé le samedi 17 entre le gouvernement et la direction Peugeot. Le nombre de licenciements est ramené de 2905 à 1905. 1300 licenciés iraient en FPA, une centaine serait formée par Peugeot à la réparation automobile, les autres seraient "reclassés" à l'extérieur de Peugeot, une prime de 20000 francs à tout employeur embauchant des Talbot!, Personne n'irait pointer au chômage.

C'est un accord "exemplaire" estime le gouvernement. C'est un "effort pour une solution humaine" estime Ralite qui juge ces "acquis intéressants".




LES TRAVAILLEURS REFUSENT L'ACCORD

Les travailleurs vont en décider autrement. Le lundi 19 décembre, alors que l'usine est théoriquement fermée (la direction de Peugeot a fait savoir la veille que l'établissement de Poissy était en chômage technique jusqu'au 23, date des congés d'hivers) qu'il n'y a ni car, ni train Talbot, des centaines de travailleurs se rendent à l'usine, les lettres de licenciement sont parties, mais personne ne le sait encore. Et très vite le clivage se fait. La CGT, en la personne de Nora Tréhel, explique longuement le contenu de l'accord gouvernemental . "c'est un acquis de notre lutte. Ce sont des points positifs que nous avons arrachés à PSA : Talbot vivra L.. On annonce 1905 départs de l'entreprise. Nous le déplorons. Ce n'est pas nous qui avons négocié cela".
La CGT déplore, mais ne condamne pas. La CFI)T, elle, dit carrément "non à aucun licenciement". C'est elle qui est applaudie.

A partir de cette date du 19 décembre, la CGT va remplir son rôle de syndicat "responsable", sans donner l'ordre de reprise. (Officiellement, elle dit qu'il faut continuer la lutte pour obtenir de négocier cas par cas sur les 1905 licenciements). Mais sans parier ouvertement de grève. La CGT demande aux travailleurs de "venir surveiller l'outil de travail pendant le chômage"! Elle dénonce ouvertement l'orientation de la CFDT, les éléments extérieurs à l'usine, les médias et l'intransigeance de PSA. Elle demande une fois de plus l'intervention des pouvoirs publics pour la mise sur pied d'une réunion tripartite auprès du préfet des Yvelines.
Et les travailleurs, eux ? Impossible de savoir ce que ressent l'immense majorité des salariés de Talbot qui ne sont pas venus à l'usine. Mais ceux qui sont présents (peut-être 1000 ou 1500) discutent beaucoup. La plupart dénoncent la pseudo formation qu'on leur propose, ils n'y croient pas, ils ne croient surtout pas qu'après, ils trouveront de l'emploi ; certains parlent ouvertement du "retour au pays", mais avec leurs droits. Tous sont d'accord pour continuer la lutte, il n'y a pas d'autre solution.
Le mardi, les premières lettres de licenciement sont arrivées à domicile. Les grévistes les font circuler. Au fil de la journée des licenciés arrivent à l'usine. L'idée de la "prime au retour" gagne du terrain parmi les émigrés. Quelques délégués des chaînes, "dissidents" de la CGT, algériens et marocains, tiennent une sorte de conférence de presse: "les immigrés de Talbot veulent retourner dans leur pays avec des conditions décentes. Ces conditions, nous les avons chiffrées". Les directions syndicales sont prises de court. La CGT parle de "manipulation". La CFDT ne repousse pas la revendication mais elle ne la reprend pas car elle fixe son activité sur le refus de tout licenciement.
La CGT au fil des jours va s'efforcer de reprendre ses troupes en main. Elle intègre en partie la revendication de l'aide au retour, elle refuse les licenciements "arbitraires" (!), elle multiplie les démarches pour l'obtention de nouvelles négociations.

AUCUNE RIPOSTE D'ENSEMBLE A TALBOT, UNE MINORITÉ BIEN DÉTERMINÉE OCCUPE L'USINE

Durant toute la semaine, dans l'usine occupée, se retrouvent quelques centaines de travailleurs, licenciés ou non, pour beaucoup militants syndicalistes ou délégués de chaîne, les autres travailleurs de Talbot sont restés chez eux, au chômage technique et, à partir du 23, officiellement en congés payés. Dans la journée, certains viennent aux nouvelles.
Mais les Talbot sont seuls. Durant ces interminables journées (les "occupants" passent le réveillon dans l'usine), le conflit, qui pourtant intéresse tous les travailleurs de l'automobile, qui passionne les militants, qui est l'objet de discussions dans les foyers d'immigrés, le conflit reste circonscrit à Talbot et, plus précisément, à quelques centaines de travailleurs et militants syndicalistes. Les syndicats CGT et CFDT sur le plan départemental organisent bien quelques manifestations de sympathie, des collectes, des messages de solidarité. Mais de riposte unitaire et massive des travailleurs de l'automobile, il n'en sera jamais question. Cela aurait pourtant été la seule réponse capable de faire reculer le gouvernement et les patrons de l'automobile.
Mais les confédérations ne font rien. Elles laissent les militants locaux aux prises avec les problèmes, les discussions, les débats, les décisions à prendre. Au sommet, la CGT multiplie des démarches auprès du gouvernement, pour de "nouvelles négociations". La CFDT critique "l'immobilisme et le secret" de la politique gouvernementale. Mais jamais, à aucun moment, il n'est question d'engager la classe ouvrière de l'automobile dans une épreuve de force décisive pour empêcher les patrons de licencier et de faire payer la crise aux travailleurs.
Manifestement, ce n'est ni dans la perspective, ni dans la stratégie des centrales. Elles ne sont pas là pour cela, leur rôle conservateur joue dans l'autre sens, et pas seulement parce que la gauche est au gouvernement. Sous Giscard, les sidérurgistes de Longwy se sont battus seuls pendant de longues semaines. Mais, parce que la gauche est au gouvernement, la CGT s'est trouvée même sur le plan local en porte-à-faux, dans un conflit où elle aurait pu, autrement, sur le plan local, conduire de façon déterminée. Cette fais, entre les travailleurs en lutte et le gouvernement, la CGT, très ouvertement, a choisi le gouvernement. Et cela s'est vu et continue à provoquer des remous dans ses rangs.
Alors à Talbot, ce n'était plus qu'une question de jours. Après plusieurs provocations, la direction obtint du Tribunal un arrêté d'expulsion. Les CRS rentrent dans l'usine et font évacuer les occupants. Peugeot, pressé d'en finir, commence à regrouper sa maîtrise, à faire donner la CSL locale et parisienne. L'ouverture de l'usine est repoussée au 3 janvier.

LE DÉNOUEMENT

Quand, le 3 janvier, les travailleurs de Talbot se présentent enfin, la CFDT regroupée au B3 appelle à la poursuite de la grève. La CGT sans parier de reprise, appelle à la raison "on fera ce que les ouvriers décideront". Tout le monde comprend que la CGT "lâche". Les grévistes ne sont pas très nombreux (1000 ou 1500), mais comme le B3, l'atelier d'assemblage est occupé par eux, toute l'usine ou presque est paralysée, les travailleurs sont dans l'expectative.
Manifestement, les 16 000 travailleurs de Talbot ne sont plus unanimes pour la grève. Ils ne savent pas trop, la plupart ont endossé leur bleu, prêts à reprendre le travail, prêts aussi sans doute à entendre les consignes syndicales. Mais la division entre CGT et CFDT est manifeste. Une tentative de grévistes pour dépasser cette division en s'inscrivant pour un comité de grève fait long feu. Les premiers heurts avec la maîtrise et la CSL se produisent très vite. lis sont violents. Et le jeudi 5 janvier, dès l'embauche, les commandos CSL venus de toute la région parisienne (Citroën et concessionnaires Talbot ou Citroën) ont pris position autour du B3.
L'immense majorité des travailleurs de Talbot ne sont pas dans le coup. La bagarre est circonscrite entre les 1000 grévistes du B3, la CFDT et la CGT et, à l'extérieur, les commandos CSL. Après quelques échanges très durs, la CFDT demande l'intervention des forces de l'ordre. Ce n'est qu'en fin d'après-midi que les grévistes assiégés pourront quitter l'usine. La direction annonce la fermeture de l'usine, pour réfection.
Pour les Talbot, c'est fini. La reprise du travail se fera progressivement à partir du 11 janvier sur convocations individuelles.
Et pourtant. Et pourtant, la lutte des travailleurs de Talbot, même isolée, même défaite, continue à marquer la situation.
D'abord, elle aura mis en évidence la politique du gouvernement.- il ne s'oppose pas aux licenciements, il est d'accord pour permettre aux patrons de faire payer la crise aux travailleurs, il essaie simplement d'obtenir quelques mesures en faveur des licenciés afin d'éviter toute explosion sociale. Et face à un conflit plus dur que prévu, soumis à la pression de PSA, il s'en tient à cette ligne de conduite et envoie les CRS pour évacuer l'usine. Bien plus, il laisse Peugeot se dégager financièrement, en toute liberté, de Talbot, il respecte loyalement les droits des capitalistes. Une fois de plus le gouvernement se montre veule vis-à-vis du patronat, et ferme vis-à-vis des travailleurs. C'est une leçon que les travailleurs, de chez Talbot et d'ailleurs, n'oublieront pas.
La grève Talbot aura mis certainement en lumière l'étroitesse de la marge de manœuvre de la CGT, le syndicat le plus responsable devant le gouvernement, le plus important depuis 1982 sur l'usine de Poissy. A l'aise traditionnellement dans les conflits locaux, qu'elle contrôle aisément, la CGT a été dépassée à Talbot par la volonté de lutte des travailleurs et la détermination du syndicat local CFDT et dès que le gouvernement a rendu son arbitrage en faveur des licenciements, la CGT s'est trouvée en porte-à-faux. Sans désavouer les grévistes, elle s'est employée à justifier le plan gouvernemental, donnant à la lutte un objectif dérisoire "obtenir de Talbot de pouvoir discuter cas par cas, des 1905 licenciés". Jouant à fond la carte de la division syndicale, elle a démoralisé les grévistes même si elle est restée présente dans l'usine jusqu'au bout.
Le syndicat local n'a fait qu'appliquer la ligne de la CGT au niveau confédéral. La CGT elle-même n'a fait qu'appliquer la politique du PCF. Le camarade ministre Ralite qui s'était engagé personnellement à ce qu'il n'y ait aucun licenciement avant le ler janvier 1984, a dû faire le "sale boulot". Il l'a fait sans broncher, sans démissionner. Le PCF aujourd'hui par la voix de Marchais tonitrue "pas de licenciement, pas un chômeur de plus", mais il confirme qu'il est exclu que le parti quitte le gouvernement. En fait, les grandes phrases fermes servent à cacher une servilité qui fait de la CGT le syndicat chargé de faire "passer" parmi les travailleurs la politique du gouvernement.
Si les militants locaux de la CFDT se sont tenus fermement et jusqu'au bout aux côtés des grévistes les plus déterminés, jusque dans les actions violentes et désespérées des derniers jours, Maire n'est intervenu, lui, qu'après la bataille, pour déplorer que le gouvernement ait mené toute l'affaire sans discuter avec les syndicats et notamment la CFDT. La confédération n'a pas désavoué ses militants locaux, elle les a laissé seuls.
En fait, pas plus que la CGT, la CFDT ne souhaite s'opposer au gouvernement et au patronat dans les circonstances de la crise. Elle aussi est partie prenante de cette société où domine la loi du profit, elle aussi redoute les explosions sociales, elle aussi est pour les "mutations industrielles", c'est-à-dire pour que les patrons fassent payer la crise aux travailleurs.
Mais les centrales et les partis réformistes doivent jouer serré. Car les Talbot ont fait peur. Ils ont montré que la classe ouvrière ne se laissait pas faire, qu'on ne décidait pas de son sort, simplement, dans les conseils d'administration des sociétés ou les cabinets gouvernementaux. A Talbot le conflit est resté limité, mais demain dans les chantiers navals ou dans les charbonnages, comment cela va-t-il se passer ?
Les travailleurs ont appris des choses. Ceux de Talbot bien sûr, mais aussi ceux de Peugeot, de Renault, et de toute l'automobile. lis ont vu l'attitude des syndicats et celle du gouvernement. Bien des travailleurs, et surtout des travailleurs immigrés, ont compris qu'ils n'auraient rien sans rien, qu'on était prêt à les jeter à la rue avec une formation bidon et des promesses de reclassement illusoires et que, pour avoir plus ou mieux, il leur faudrait lutter inévitablement. Dans les branches concernées par les licenciements, le climat n'est pas à l'enthousiasme -personne ne croit vraiment pouvoir empêcher les licenciements, personne ne croit que les syndicats sont prêts à l'échelle nationale à lutter pour cela- mais il n'est pas non plus à la démoralisation.
L'exemple de Talbot a montré que la lutte serait difficile, isolée sans doute, risquée certainement, mais qu'elle était inévitable.