
Libération du 31 janvier 2004
Chez Matra, licenciés à deux vitesses
Les anciens sous-traitants ne bénéficient pas de la cellule de reclassement.
Par Judith RUEFF
samedi 31 janvier 2004
Romorantin (Loir-et-Cher) envoyée spéciale
«Après dix-neuf ans chez Matra, on m'a mis dehors sans même un merci. C'est surtout ça qui fait mal.» Mme G., 55 ans, travaillait à la cantine de l'usine automobile de Romorantin. Dix-neuf ans de plateaux-repas, à partager la vie des ouvriers de l'usine solognote. «On servait 1 300 couverts. Mais quand l'usine a fermé, on n'existait plus.» Mme G. était payée par Sodexho, une entreprise de restauration collective. Quand Matra, le constructeur auto de Lagardère a mis la clé sous la porte, en juin 2003, 18 employés Sodexho se sont retrouvés au chômage. Idem pour 26 salariés de la société OMS, chargée du nettoyage. Mais, contrairement aux «Matraciens» (salariés du groupe), aucun d'eux ne bénéficie du plan social négocié entre les syndicats et la direction.
«Oubliés». Le battage autour de l'échec de l'Aventime, le dernier modèle Matra, et du licenciement en bloc de plus de mille salariés a laissé dans l'ombre le sort des sous-traitants. Juridiquement, les salariés de Sodexho et d'OMS ne dépendaient pas du constructeur. Et même s'ils ont côtoyé pendant des années les ouvriers de l'usine, les largesses de Matra (1,5 milliard d'euros sur trois ans) pour compenser les pertes d'emplois ne sont pas arrivées pas jusqu'à eux. Les 40 000 euros d'indemnités supplémentaires de licenciement, l'antenne de reclassement et ses 45 conseillers, ils ne connaissent pas. Car la loi et les accords professionnels n'imposent aucune obligation à la «maison mère» en cas de licenciements touchant ses sous-traitants.
«On est les oubliés.» Comme Mme G., Mireille, ex-secrétaire, est amère. Après quinze ans de boîte, elle est partie avec 4 000 euros d'indemnités, le minimum légal. Dix fois moins que les salariés de la grande maison Matra. Ses droits à l'allocation chômage sont aussi réduits à la portion congrue : 600 euros par mois, car Mireille était employée à temps partiel, et avec un salaire de base inférieur de 20 % à celui de ses collègues «Matraciennes». Elle a pu dégoter une formation informatique d'un mois, alors que Matra offre un congé reclassement de 4 à 9 mois à ses ex-employés (payé à 65 % du salaire). «Heureusement, mon mari travaille encore», soupire la mère de famille, «parce que je n'ai rien trouvé depuis juin, même en intérim. J'écris, je n'ai jamais de réponse. Pourtant, je suis prête à aller bosser en usine».
Huit mois. «A Romorantin, c'est Matra d'abord», peste Thierry Berlu, représentant CGT du personnel de nettoyage OMS, résumant l'état d'esprit général chez les employés des deux entreprises sous-traitantes. Moins bien payés à l'usine, ils sont aujourd'hui moins bien placés pour retrouver du boulot. L'arrivée massive des ex-Matra a fait bondir le taux de chômage de 50 %. Huit mois après la fermeture définitive, deux tiers des Matraciens restent à caser. Les chômeurs de Sodexho et d'OMS ont encore plus de mal à trouver un emploi dans le coin.
«Une conseillère payée par l'entreprise nous a aidés pendant trois mois, c'était très bien mais trois personnes seulement ont retrouvé un poste», soupire Joël Carré, ancien délégué du personnel Sodexho. Deux gérants ont été aussi recasés dans d'autres restaurants du groupe. Mais les autres ne trouvent rien, faute de pouvoir aller jusqu'à Vierzon ou Blois. Mme G. n'a pas de voiture. Mireille a deux enfants : «Au Smic, si j'enlève l'essence et la garde, il me reste une misère à la fin du mois. On pensait quand même qu'ils feraient un effort pour nous.»
Chez Matra, licenciés à deux vitesses
Les anciens sous-traitants ne bénéficient pas de la cellule de reclassement.
Par Judith RUEFF
samedi 31 janvier 2004
Romorantin (Loir-et-Cher) envoyée spéciale
«Après dix-neuf ans chez Matra, on m'a mis dehors sans même un merci. C'est surtout ça qui fait mal.» Mme G., 55 ans, travaillait à la cantine de l'usine automobile de Romorantin. Dix-neuf ans de plateaux-repas, à partager la vie des ouvriers de l'usine solognote. «On servait 1 300 couverts. Mais quand l'usine a fermé, on n'existait plus.» Mme G. était payée par Sodexho, une entreprise de restauration collective. Quand Matra, le constructeur auto de Lagardère a mis la clé sous la porte, en juin 2003, 18 employés Sodexho se sont retrouvés au chômage. Idem pour 26 salariés de la société OMS, chargée du nettoyage. Mais, contrairement aux «Matraciens» (salariés du groupe), aucun d'eux ne bénéficie du plan social négocié entre les syndicats et la direction.
«Oubliés». Le battage autour de l'échec de l'Aventime, le dernier modèle Matra, et du licenciement en bloc de plus de mille salariés a laissé dans l'ombre le sort des sous-traitants. Juridiquement, les salariés de Sodexho et d'OMS ne dépendaient pas du constructeur. Et même s'ils ont côtoyé pendant des années les ouvriers de l'usine, les largesses de Matra (1,5 milliard d'euros sur trois ans) pour compenser les pertes d'emplois ne sont pas arrivées pas jusqu'à eux. Les 40 000 euros d'indemnités supplémentaires de licenciement, l'antenne de reclassement et ses 45 conseillers, ils ne connaissent pas. Car la loi et les accords professionnels n'imposent aucune obligation à la «maison mère» en cas de licenciements touchant ses sous-traitants.
«On est les oubliés.» Comme Mme G., Mireille, ex-secrétaire, est amère. Après quinze ans de boîte, elle est partie avec 4 000 euros d'indemnités, le minimum légal. Dix fois moins que les salariés de la grande maison Matra. Ses droits à l'allocation chômage sont aussi réduits à la portion congrue : 600 euros par mois, car Mireille était employée à temps partiel, et avec un salaire de base inférieur de 20 % à celui de ses collègues «Matraciennes». Elle a pu dégoter une formation informatique d'un mois, alors que Matra offre un congé reclassement de 4 à 9 mois à ses ex-employés (payé à 65 % du salaire). «Heureusement, mon mari travaille encore», soupire la mère de famille, «parce que je n'ai rien trouvé depuis juin, même en intérim. J'écris, je n'ai jamais de réponse. Pourtant, je suis prête à aller bosser en usine».
Huit mois. «A Romorantin, c'est Matra d'abord», peste Thierry Berlu, représentant CGT du personnel de nettoyage OMS, résumant l'état d'esprit général chez les employés des deux entreprises sous-traitantes. Moins bien payés à l'usine, ils sont aujourd'hui moins bien placés pour retrouver du boulot. L'arrivée massive des ex-Matra a fait bondir le taux de chômage de 50 %. Huit mois après la fermeture définitive, deux tiers des Matraciens restent à caser. Les chômeurs de Sodexho et d'OMS ont encore plus de mal à trouver un emploi dans le coin.
«Une conseillère payée par l'entreprise nous a aidés pendant trois mois, c'était très bien mais trois personnes seulement ont retrouvé un poste», soupire Joël Carré, ancien délégué du personnel Sodexho. Deux gérants ont été aussi recasés dans d'autres restaurants du groupe. Mais les autres ne trouvent rien, faute de pouvoir aller jusqu'à Vierzon ou Blois. Mme G. n'a pas de voiture. Mireille a deux enfants : «Au Smic, si j'enlève l'essence et la garde, il me reste une misère à la fin du mois. On pensait quand même qu'ils feraient un effort pour nous.»