Sous-traitants : le cas des centres d'appel
Salariés sous-traités
Les échanges téléphoniques sont de plus en plus souvent sous-traités par les entreprises. Un secteur dans lequel les employés sont très précarisés...
Depuis une dizaine d'années, les entreprises externalisent de plus en plus leurs relations par téléphone, soit en créant des filiales spécialisées, soit en faisant appel à des prestataires extérieurs (les sous-traitants). Cette stratégie économique concerne tous les secteurs d'activité du privé (banque, assurance, télécommunication, vente par correspondance, industrie...), mais également le secteur public. En effet, des conseils régionaux, des cabinets ministériels (celui du Premier ministre, par exemple), ou encore les Impôts, sous-traitent souvent leur "service clientèle". Aujourd'hui, en France, les deux groupes leaders sur le marché des centres d'appels sous-traitants sont Téléperformance et B2S Ceritex.
Bien évidemment, la baisse absolue du coût du travail constitue la principale motivation des entreprises pour externaliser une partie de leur "métier". Pour les patrons, les salariés ne représentent qu'un "coût", une "variable" ajustable à la conjoncture de l'entreprise, mais également à celle de l'économie. La sous-traitance leur permet de préserver, d'augmenter encore un peu plus leurs profits. Elle a permis, entre autres, l'émergence dans le tertiaire des "nouveaux esclaves", ceux du XXIe siècle : les téléopérateurs, les téléconseillers, les hot-liners, autrement dit, les salariés des centres d'appels outsourcers (1).
Des conditions de travail, des salaires et des acquis au rabais
Pendant longtemps, les salariés des centres d'appels sous-traitants étaient des étudiants, mais depuis environ quatre ans, le secteur se professionnalise. Il "vieillit" donc. Et il reste majoritairement féminin. Les salariés sont toujours principalement embauchés en contrat à durée déterminée (CDD). Les contrats de travail sont ultraflexibles : les heures de travail s'étalent du lundi au dimanche de 8 heures à 22 heures. Ces formes de contrats permettent aux patrons d'avoir à disposition une main-d'oeuvre flexible et d'ajuster les plannings selon la production, en toute légalité. Les temps partiels imposés sont également majoritaires dans les centres d'appels, favorisant la recherche des "heures supplémentaires". Dans ces usines du tertiaire, il n'est pas rare de trouver des salariés contraints d'avoir plusieurs emplois pour boucler leurs fins de mois.
Le mot d'ordre des centres d'appels se résume à deux mots : performance et productivité. La productivité est devenue une "compétence" des salariés. L'une des primes les plus importantes pour un salarié, qui occupe une place non négligeable sur sa fiche de paie, est celle dite de "productivité". Les salariés sont payés à la tâche : plus ils prennent d'appels, plus ils sont payés. Tout est également fait pour que les salariés soient "rentables". Les temps morts sont chassés par des petits chefs, grâce à des outils informatiques de plus en plus performants. Les téléopérateurs, les téléconseillers, les hot-liners ne doivent et ne peuvent pas "bâiller aux corneilles". S'il n'y a pas d'appels, on leur trouve une activité annexe, comme le tri du courrier ou des archives. Les tâches se multiplient très vite. Le travail annexe n'est jamais considéré comme une "compétence" supplémentaire ; il est donc rarement reconnu sur les fiches de paie.
L'externalisation permet également de payer moins cher les salariés sous-traitants. Pour le même travail, un agent de France Télécom, par exemple, gagnera aux environs de 1 300 euros par mois, tandis qu'un salarié sous-traitant percevra environ 960 euros. Cette différence entre salariés de la maison mère et salariés sous-traitants n'est pas la seule. Il y a aussi des inégalités en matière d'acquis sociaux. Ces différences divisent fortement les salariés, ne permettant pas une cohésion, une solidarité entre l'ensemble des employés et favorisant ainsi la revue à la baisse, pour tous, des acquis et des droits sociaux.
Des suppressions d'emplois invisibles
Les donneurs d'ordres (les entreprises qui sous-traitent) peuvent, pour plusieurs raisons, mettre fin au contrat qui les lie à leurs entreprises sous-traitantes. Mais il n'y a qu'un seul motif : faire encore plus de profits. En mettant fin à ces contrats, les donneurs d'ordres suppriment des emplois, sans en être légalement responsables. Aucune loi, aujourd'hui, ne les oblige à garder les salariés sous-traitants.
Après des années d'euphorie, le "secteur" des centres d'appels outsourcers est aujourd'hui fragilisé. Ceci est essentiellement dû à la crise du secteur des télécommunications, et notamment à celle de France Télécom, avec ses 70 milliards de dette. La crise du secteur des télécommunications a entraîné la "réinternalisation" de nombreux services. Du fait de la maturité du secteur, deux ou trois grands groupes ont émergé, mettant hors service de nombreuses petites sociétés sous-traitantes. De nombreux emplois ont été supprimés ces dernières années et les difficultés semblent encore très grandes. Ces suppressions d'emplois se sont faites, dans la majorité des cas, dans un silence étouffant. Si la "réinternalisation" a été la cause de nombreuses suppressions d'emplois, aujourd'hui, le secteur est touché par une nouvelle tendance : les délocalisations.
La mondialisation économique libérale touche aujourd'hui tous les secteurs. Elle a accéléré le développement des échanges internationaux, notamment des biens manufacturés. Mais le secteur tertiaire est également touché. Le seul objectif des donneurs d'ordres, mais également des outsourcers, est l'augmentation de leurs profits. Pour cela, le seul moyen de faire des économies, aujourd'hui, est de réduire les coûts, dont ceux engendrés par les salariés.
Les objectifs des outsourcers sont d'accroître la flexibilité accrue et d'avoir une main-d'oeuvre la moins chère possible. C'est pour cela qu'ils délocalisent leur activité dans des zones où les salariés coûtent sensiblement moins cher. Dans un premier temps, les entreprises étaient déplacées en France, hors région parisienne, dorénavant elle le sont aussi à l'étranger. Les outsourcers s'implantent aujourd'hui au Maroc, en Tunisie, au Sénégal ou en Roumanie. Les avantages sont nombreux pour les patrons : salariés plus qualifiés et motivés, turn-over moins important, cadre réglementaire plus souple, voire inexistant, bas salaires. Les délocalisations ne touchent aujourd'hui que 2 % du secteur, mais cette stratégie économique se développe très rapidement.Les organisations syndicales se sont assez rapidement intéressées aux salariés sous-traitants et aux centres d'appels en général. Ou plus exactement, ce sont les salariés qui, ne pouvant plus supporter que le Code du travail ne soit pas appliqué, se sont intéressés en premier lieu aux organisations syndicales.
Depuis quelques années, toutes les confédérations syndicales sont implantées dans les centres d'appels : CGT, CFDT, FO, CFTC et SUD. De nombreuses conférences et journées d'études ont été menées par les syndicats sur le sujet. Ce phénomène se développe également au niveau européen : une journée européenne d'action et de syndicalisation a eu lieu à l'initiative de l'Union Network International (UNI), en octobre dernier. Et un séminaire sur les centres d'appels s'est tenu lors du Forum social européen de Paris-Saint-Denis en novembre dernier. Les luttes pour l'amélioration des conditions de travail, contre les licenciements et pour l'augmentation des salaires se développent.
Des réponses syndicales sont possibles
Face à cette situation, les organisations syndicales ont une responsabilité importante et une réponse globale à apporter.
Il s'agit d'empêcher le patronat de mettre en concurrence les salariés travaillant chez les donneurs d'ordres, les filiales ou les sous-traitants, dans les pays "riches" ou dans les pays "pauvres".
Il s'agit d'obtenir, par exemple, dans les conventions collectives de chaque société, de chaque pays, l'alignement par le haut des grilles de salaires, des conditions de travail. Au niveau international, l'urgence est à l'obtention et au respect des normes acceptables concernant la sécurité, les conditions de travail, les salaires, l'égalité entre les hommes et les femmes. Pour y parvenir, il est nécessaire de tisser des liens internationaux entre syndicalistes, en commençant par ceux qui travaillent dans la même multinationale ou pour le même donneur d'ordres. Cette lutte ne doit pas se restreindre aux seuls salariés des entreprises directement concernées. Aux niveaux national et international, il est possible de faire pression sur les donneurs d'ordres. La lutte des employées d'Arcade a démontré que cela pouvait être efficace.
La sous-traitance a développé la précarité des salariés et leur division, ce qui favorise les profits du patronat. Cette situation n'est pas une fatalité à laquelle il faudrait se résigner. D'autres choix de société sont possibles, tournés vers la satisfaction du plus grand nombre. Nous opposons aux choix économiques des choix sociaux permettant à chacun et chacune d'entre nous d'avoir un emploi stable et correctement rémunéré. Nous devons nous mobiliser, entre autres pour la suppression des CDD, des temps partiels imposés, de l'intérim et de la sous-traitance. Il faut pour le gel des avoirs des groupes qui licencient... En fait, il est nécessaire de lutter contre la marchandisation du travail et, ainsi, d'affirmer qu'une autre politique est possible.
Joséphine Simplon
1. Les centres d'appels insourcers sont ceux qui appartiennent à la maison mère, alors que les centres d'appels outsourcers sont ceux qui sont externalisés.
Repères
Aujourd'hui, il y a en France 200 000 téléconseillers, téléopérateurs et télévendeurs, dans 3 000 centres d'appels. L'Île-de-France en emploie à peu près 90 000.
60 % de ces salariés sont des femmes. 35 % ont moins de 30 ans.
En Europe, il y a 15 000 centres d'appels, dont 40 % se trouvent à Londres ou à Dublin.
Les 40 plus gros centres d'appels français comptent chacun 600 postes de travail. La moyenne est de 65 postes. Mais les trois quarts des centres sont intégrés à une entreprise et comptent moins de 20 postes de travail.
Des diplômes existent : l'université d'Angers prépare une licence professionnelle "superviseurs en centres d'appels", accessible après un Deug, un BTS ou un DUT. A Amiens, un bac pro "relation clients" existe, ainsi qu'un Deust de téléconseiller et une licence professionnelle téléservice.[QUOTE]