BERNE (AFP), le 10-12-2003
Christoph Blocher, le chef de la droite populiste suisse vainqueur des dernières élections législatives, a gagné son pari en se faisant élire mercredi par le parlement membre du Conseil fédéral (gouvernement), bouleversant ainsi l'équilibre politique de la Suisse.
L'UDC (Union démocratique du centre) détient désormais deux des sept portefeuilles ministériels, au détriment du parti démocrate-chrétien (PDC, centre), ce qui constitue le premier changement depuis 44 ans dans le délicat équilibre établi au sein du Conseil.
Traditionnellement, la Suisse est gouvernée au centre et par consensus, ce qui excluait jusqu'à présent les extrêmes et les personnalités controversées comme M. Blocher. Milliardaire zurichois de 63 ans, il prône une politique ultra-libérale en économie, est anti-européen et veut restreindre le droit d'asile.
"L'élection d'un 2ème UDC contribuera à pousser à droite l'ensemble du gouvernement", estime le politologue suisse Pascal Sciarini.
Christoph Blocher a obtenu 121 voix, sur 246 votants, au troisième tour d'un scrutin très serré. Il se présentait contre la ministre de la Justice et de la Police Ruth Metzler (PDC), qui a obtenu 116 voix.
Les mandats des ministres ont été soumis l'un après l'autre au vote des deux chambres réunies (le Conseil national et le Conseil des Etats, qui représente les cantons). C'est une fois les ministres élus que les portefeuilles ministériels seront attribués. M. Blocher a indiqué qu'il visait l'économie ou les finances.
Le deuxième ministre UDC, le ministre de la défense Samuel Schmid, considéré comme un modéré, a été réélu, de même que les autres ministres qui se représentaient, à l'exception de Mme Metzler, entrée au gouvernement en 1999.
Le ministre des finances radical (centre-droit) Kaspar Villiger, qui ne se représentait pas, a été remplacé numériquement par un autre radical, Hans-Rudoplh Merz.
Joseph Deiss, actuel ministre démocrate-chrétien de l'économie, a été désigné pour un an à la présidence tournante de la Confédération helvétique.
Benjamine du gouvernement à 39 ans, Ruth Metzler est le premier Conseiller fédéral évincé par le parlement depuis 1854, ce qui donne la mesure de ce que la presse suisse a qualifié de moment "historique" pour la Confédération.
"Devoir partir si tôt me fait mal (mais) j'accepte le verdict", a-elle déclaré sous les applaudissements.
M. Blocher a promis aux députés de "tout faire pour meriter (leur) confiance" et a vanté "le système de consensus". Mais il a renoncé à fêter sa victoire dans son fief zurichois. Son élection a été accueillie par les huées de quelques dizaines de manifestants réunis près du parlement.
Les sept postes ministériels étaient répartis depuis 1959 selon une "formule magique", reflétant l'influence des quatre grands partis à l'époque: deux sièges chacun pour le Parti socialiste (PS), le PRD (Parti radical démocratique) et le PDC (Parti démocrate-chrétien), et un pour l'UDC.
Mais après les législatives du 19 octobre, où l'UDC est devenue le premier parti de Suisse (26,7% des voix) et premier groupe au parlement (63 sièges), il était difficile de lui refuser un deuxième portefeuille.
Christoph Blocher a alors exigé d'entrer lui-même au gouvernement et l'UDC a menacé sinon de créer une véritable opposition, une situation inédite en Suisse.
Le PS, deuxième parti du parlement (61 sièges), a vainement tenté de faire barrage à M. Blocher, dont le parti avait utilisé dans la campagne électorale des slogans anti-immigrés à connotation xénophobe.
"Ce qui est grave là-dedans, c'est qu'au nom du consensus nous avons cédé au chantage", a déploré le député radical Dick Marty.
Avec le départ de Mme Metzler, il ne reste plus qu'une seule femme au gouvernement: la ministre socialiste des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey. La parlementaire démocrate-chrétienne Lucrezia Meier-Schatz a déploré une "triste journée pour les femmes" tandis que la socialiste Maria Roth-Bernasconi dénonçait "un pas en arrière inacceptable".