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Téléthon: marre «d'être des animaux de cirque»
Des handicapés s'insurgent contre le ton et le principe de l'émission. Par Didier ARNAUD
samedi 06 décembre 2003
Cette année, pour la première fois, ils osent l'ouvrir, le dire publiquement. Certains handicapés en ont marre qu'on parle d'eux deux jours de l'année (ce week-end), assez du voyeurisme et de la compassion. Ils veulent que la recherche avance. Mais pas de cette façon. «Je voudrais dire mon indignation sur le fait de mettre un compteur et une caisse enregistreuse sur la tête des handicapés pour faire grimper le compteur», écrit un Lyonnais à Libération. Ces chercheurs du CNRS disent que L'Etat se débarrasse à bon compte de son devoir de financement de la recherche publique. Pour eux, c'est «Non au Téléthon 2003.» Le «tout thérapie génique» obère d'autres voies de recherche.
Florence souffre d'une maladie génétique. Elle est contre ce financement de la recherche «par une quête fondée sur la pitié et la charité. Je souffre bien plus, comme beaucoup, des discriminations dont je suis victime dans ce pays, que de cette maladie». Laurence habite la Haute-Vienne. Dans son village, il n'y a pas de place parking pour les handicapés. «Le Téléthon, ça n'aide pas au respect», explique-t-elle. «On est encore des animaux de cirque. C'est beaucoup de mise en scène et de m'as-tu-vu pour récupérer de l'argent. Ce n'est pas dans le but de nous faire intégrer à la vie sociale.» Un bémol : elle pense qu'ainsi, on en «parle au moins une fois par an». Pas mal. Une paille toutefois, surtout dans le cadre de l'année européenne du handicap. «Il faudrait que ça rentre dans la tête des gens que le handicap peut tomber sur n'importe qui», conclut-elle.
Didier est employé administratif, en chaise roulante, dans un lycée de Seine-Maritime. Il peste contre ce regard porté sur les handicapés. «Il vaudrait mieux faire des émissions plus pédagogiques pour montrer la réalité quotidienne des handicapés. Sans tapage ni mise en scène. Dans un autre cadre, toutefois. Plus le grand public aura de connaissances, moins il aura de réticences. C'est malheureux d'avoir recours à cette solution (du Téléthon). On voit bien que le handicap n'est pas une priorité pour ce gouvernement-ci.» Didier ajoute que les choses changeront le jour où on verra des hommes politiques en fauteuil roulant. Pour lui, le Téléthon n'aide pas à aller vers cette autonomie.
Quotidien. Et il provoque des hurlements chez Elisabeth Auerbacher. Cette avocate, atteinte d'une maladie génétique évoque le «jour charitable. Et c'est insupportable. Ils courent pour moi ? Non mais attendez ! Pourquoi mettre des handicapés en pâture une soirée ? C'est de la compassion. On existe. On est là. On ne fait pas la charité. C'est aux autres de nous accepter tels qu'on est». La recherche doit progresser, pas à ce prix néanmoins. Pas sur le dos des handicapés. Dans son village des Pyrénées, «les gens et les élus sont en mal de fête, de se retrouver ensemble. Cela leur donne une bonne raison». Et personne n'ose aller contre, ce serait mal perçu. A la place, l'avocate participera à une soirée débat sur «sexualité et handicap» (1). Ce qui la choque le plus dans le Téléthon, c'est de «faire croire aux gens qu'on va les guérir». Jean-Charles Jarck, du collectif handicap-autonomie insiste : «Dans la grande majorité, il n'y a pas de retombées directes sur l'amélioration du quotidien des malades.»
Aux premières heures de la grande soirée, la psychanalyste Maudy Piot était «enthousiaste». Malgré une réserve : l'opération n'était centrée que sur les myopathies. Aujourd'hui, même si elle avance que sa suppression serait «ridicule», elle se montre plus que réticente sur la forme : «C'est l'aumône qu'on fait une fois par an. Après on va avoir l'absolution, dit-elle. C'est un moyen extraordinaire qu'on a trouvé pour déculpabiliser les gens. Les entreprises qui versent sont "lavées" de devoir embaucher des gens. On est dans la bonne conscience. Les médias l'encouragent.»
Casting. Ces allers-retours entre «culpabilité et réparation» ne la satisfont pas. «Les gens qui organisent cette opération veulent nous "réparer" à leur façon. Cela ne nous répare pas. Quelque part, ça nous détruit.» De fait, les enfants qui participent sont choisis après casting. Nicole Diederich, sociologue à l'Inserm : «L'image qui est renvoyée, c'est celle des beaux bébés du Téléthon. C'est cela qui fait violence», explique-t-elle. Elle rappelle que la recherche publique oeuvre avant tout dans la prévention des maladies, posant, in fine, cette question intolérable : «Comment faire pour éliminer le handicap ?»
Malgré ces charges, le Téléthon rapporte chaque année davantage d'argent. 91 millions d'euros l'an dernier. 10 % de plus que l'année précédente. Beaucoup reconnaissent que, pour un jour, il y a une plus «grande tolérance». Même si elle «retombe vite». Pierre Birambeau, le fondateur du Téléthon, se défend de ce «catalogue de critiques» qu'il trouve «datées», émises par des gens qui ont dû «s'arrêter de regarder l'émission aux premiers Téléthons». «Soyons concrets, assène-t-il, persuadé que le Téléthon a permis d'allonger la durée de vie de dizaines d'années de myopathes.» Birambeau suggère que les gens qui critiquent sont souvent des «gens qui ne donnent pas». Il revendique aussi l'égalité des droits. Pour lui, «il n'y a pas, d'un côté, les héroïques qui ne veulent pas passer au Téléthon et ont l'esprit critique, et les autres, les moutons qui se prêtent au jeu. S'ils pouvaient discuter ensemble, ils verraient qu'ils sont voisins». En attendant la rencontre, il tranche : «Pour qu'un jeune malade vive, il faut de l'argent. On se retrousse les manches, on se paie les difficultés. Le moment venu, on fait appel à l'Etat en étant efficace et pas pleurnichard.»
(1) Au MK2 Bibliothèque, le 7 décembre à 21 heures, à Paris.