CITATION (Le Monde @ 17 novembre 2003)
La délégation du PS a défilé sous une pluie de canettes de bières et d'insultes
Pour éviter les projectiles, les socialistes ont été contraints de manifester à reculons, samedi 15 novembre à Paris. Ils ont été apostrophés par des anarchistes puis agressés par des autonomes.
Cette partie-là du cortège se repère au bruit. Un bruit de verre brisé. Et par une façon bien particulière de défiler, à reculons. Pendant plus de quatre heures, samedi 15 novembre, la petite délégation socialiste, placée à l'arrière du cortège des altermondialistes, manifeste en sens inverse de la marche pour faire face à une pluie ininterrompue d'œufs et de canettes de bière que leur jettent les autonomes et les anarchistes. Les insultes fusent, "Socialos collabos !", "P comme pourris, S comme salauds !" Les bouteilles restées intactes à terre sont immédiatement détruites par les socialistes. Pour qu'elles ne servent plus de projectiles.
Au point de rassemblement, à 14 heures place de la République, les militants, surtout des jeunes Français et Européens, sautillaient joyeusement derrière les deux camionnettes affrétées par le PS. Un gros ballon blanc frappé du poing et de la rose flottait. Les casquettes noires et les T-shirts beiges marqués du slogan "Les socialistes pour un autre monde", qui n'avaient pu être utilisés au mois de mai, en marge du G8, étaient distribués. "Le tout, ça va être de la porter jusqu'au bout", plaisantait Bruno Le Roux, député de Seine-Saint-Denis, en ajustant son couvre-chef. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, est venu faire un petit tour. "C'est une manifestation utile, constructive, pour créer un rapport de forces. A aucun moment la Mairie n'a cherché à récupérer le FSE, mais je crois que ma parole a été entendue", dit-il avant de s'éclipser.
A 14 h 30, le climat se tend lorsque le cortège des organisations anarchistes, CNT, Alternative libertaire, FA et No Pasaran, parti de la place des Fêtes, arrive. Les anars, qui avaient préalablement négocié avec le PS pour éviter des incidents, sont stupéfaits de les trouver juste devant eux.
Une sorte de no man's land se forme. Les services d'ordre se regardent en chiens de faïence puis parlementent. Les socialistes, eux, se sont retournés. En première ligne, les quelques responsables présents forment une chaîne. Kader Arif, Harlem Désir, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Christophe Cambadélis, Gérard Filoche, Bernard Soulage, Benoit Hamon se serrent les coudes. Juste derrière, il y a Arnaud Montebourg, Vincent Peillon, Patrick Bloche, premier secrétaire de la fédération de Paris, et Bariza Khiari, secrétaire nationale chargée des services publics. La délégation s'est effilochée. Il ne reste que quelque 250 socialistes, coincés entre les anars et le PCF, et désormais encerclés par leur propre service de sécurité. "On aurait dû mobiliser davantage", enrage M. Peillon. Beaucoup déplorent l'absence de François Hollande.
Deux anarchistes se sont avancés et interpellent M. Mélenchon et M. Cambadélis. "C'est une violence que vous nous faites en étant là. Aujourd'hui on n'a pas d'alternative politique et vous en êtes les responsables !", les apostrophe Serge, membre du comité CNT des intermittents du spectacle. "T'es content, mon gros, maintenant t'as un gouvernement de droite !", riposte M. Mélenchon. Le face-à-face entre les deux camps dure plus de deux heures.
Les choses se gâtent réellement avec l'arrivée des autonomes. Lorsque le cortège s'ébranle enfin, vers 16 h 30, les socialistes essuient un déluge de projectiles. Sur les trottoirs, la foule regarde, médusée. Certains badauds en profitent pour crier leur haine contre le PS. "Lynchez-les ! Ils n'ont rien à faire ici !", s'époumone un homme, qui assure "ne plus voter pour personne depuis plusieurs années". Boulevard du Temple, le PS, MM. Cambadélis et Mélenchon en tête, charge pour se dégager. L'échauffourée est violente mais ne dure pas. Elle se reproduira un peu plus loin. Coûte que coûte, la délégation PS veut terminer la manifestation. Elle se disloque, en se congratulant, juste avant la place de la Nation.
Isabelle Mandraud et Jean-Baptiste de Montvalon
[/quote]