Un patron chinois plus communiste qu'il se doit

Message par faupatronim » 17 Nov 2003, 12:28

CITATION (Libération @ lundi 17 novembre 2003)
Un patron chinois plus communiste qu'il se doit

Le self-made man Sun Dawu a été emprisonné : son idéal égalitaire irritait le pouvoir.
 
   
Par Pierre HASKI

lundi 17 novembre 2003

Lorsque Sun Dawu a été arrêté, en mai, on l'a d'abord placé quinze jours en isolement, pour le casser. Cinq mois plus tard, après une forte mobilisation nationale, il était libéré.    Xushui (Hebei) envoyé spécial


un Dawu aurait pu rejoindre la cohorte des nouveaux riches. Cet homme d'affaires de 50 ans est à la tête d'une authentique success story chinoise : parti avec 1 000 poulets et 50 porcs il y a quinze ans, il préside aujourd'hui un groupe agroalimentaire qui fait partie des 500 plus grosses entreprises privées du pays. Mais Sun Dawu est un patron atypique, que ses idées ont conduit... en prison.

Libéré début novembre après cinq mois de détention, Sun Dawu persiste et signe : «Je me sens encore plus fort», déclare à Libération cet homme trapu aux cheveux en brosse. Mem bre du Parti communiste chinois depuis trente-quatre ans, Sun Dawu se revendique à la fois du partage socialiste, de l'efficacité de l'économie de marché et de la morale confucéenne. Avec une mention spéciale pour Charles Fourier et son socialisme utopique prémarxiste du XIXe siècle.

Drôle d'endroit pour trouver un disciple du penseur français... Ce coin de campagne chinoise situé à 120 kilomètres au sud de Pékin, dans la province du Hebei, ne semble guère laisser de place au rêve. A Xushui, une bourgade rurale, tout le monde connaît Sun Dawu et ses idées, et tous le respectent et l'admirent. Depuis sa détention, sa notoriété est devenue nationale, et, sur les forums Internet, certains n'hésitent pas à le qualifier de «héros» et à s'engager derrière lui. Même la presse du Parti, signe du virage gouvernemental, vante désormais les mérites de ce businessman qui semblait pourtant destiné à croupir des années en cellule.

Phalanstère. Sun Dawu est d'abord un homme d'origine modeste et qui a tenu à le rester. On cherchera vainement dans sa vie un signe de luxe. Il porte un costume bon marché, arborant le sigle et le nom de sa société, le groupe DaWu (son prénom, qui signifie aussi «grand lettré»). Son père, âgé de 83 ans, un vieil homme ratatiné au regard vif, continue d'arpenter les allées de l'entreprise sur son tricycle à remorque pour ramasser les détritus... On pourrait se méfier d'un homme aussi exemplaire, chercher la faille, mais il semble difficile de lui trouver le moindre détracteur. Cet entrepreneur à succès est aussi un homme généreux. Avec les bénéfices de son groupe, il a construit une école bien lotie dans laquelle les enfants pauvres reçoivent des bourses. Il a bâti un hôpital, adopté des orphelins, construit des routes, payé des retraites... Il a également édifié un temple à Confucius, une statue à Sun Yat-sen, le père de la République, et un parc ouvert à tous. Bref, il a mis en oeuvre quelque chose qui ressemble de loin au phalanstère de Charles Fourier, un monde idéal dans lequel, sans l'égalitarisme forcené et autoritaire du maoïsme, on ne laisse personne au bord de la route.

«Le bénéfice n'est pas un objectif, notre but est un développement qui bénéficie à toute la société», dit-il dans la salle de réunion de l'hôtel du groupe, construit, comme tout ce qui l'entoure, en matériaux simples, sans chercher à épater. Il méprise ces riches qui «gaspillent» dans une Chine qui compte encore tant de pauvres : «Sans doute ne se sont-ils pas enrichis par des moyens normaux», lâche-t-il méchamment, tout en épluchant des pommes pour ses visiteurs.

De Fourier mais aussi de Confucius, Sun Dawu retient la valeur de l'exemple. Il vit comme il professe... Dans la cantine de l'école, de grandes inscriptions résument sa pensée : l'une d'elles proclame que «les actions sont plus parlantes que les mots», l'autre qu'il faut «devenir un honnête homme, même si c'est difficile»... Avec de telles idées, pas étonnant que Sun Dawu ait eu quelques déboires. Bien que mem bre du Parti, il ne cache pas son mépris pour les cadres locaux et leur corruption au quotidien sur le dos des paysans. Et il le proclame sur son site Internet, mais aussi dans un grand discours prononcé au début de l'année à la prestigieuse université de Pékin, dans lequel il dénonçait «trop de contrôles du pouvoir» sur la vie des paysans et appelait à l'abolition du «système bureaucratique» qui prospère à leurs dépens. Les autorités lui ont cherché des poux et les ont trouvés. Privé d'accès aux prêts bancaires en raison de son attitude rebelle, il a fait appel à l'épargne du public pour financer son développement. Plus de 2 500 personnes ­ ses employés, mais aussi des paysans du coin ­ lui ont confié leurs économies, rémunérées à un taux supérieur à celui de la banque. Une activité bancaire illégale, pour laquelle il a été arrêté. Mais pendant toutes ces années, affirment les gens du district, il n'y a pas eu un conflit, pas une contestation. A aucun moment son honnêteté n'a été en question.

Lorsqu'il a été arrêté, en mai, on l'a d'abord placé quinze jours en isolement, pour le casser. Sun Dawu n'a pu voir son avocat qu'en juillet, et les policiers lui promettaient dix ans de prison et le démantèlement de son entreprise. C'était compter sans un mouvement d'opinion comme la Chine est aujourd'hui capable d'en générer. A Pékin, plusieurs intellectuels, mais aussi des hommes d'affaires, ont apporté leur soutien à ce patron atypique. Des pétitions ont circulé sur l'Internet. Cette mobilisation a payé : Sun Dawu a finalement été condamné à une peine symbolique de trois ans avec sursis et une amende.

Aucune clémence. Pendant notre séjour à Xushui, une délégation est venue de Pékin pour saluer le héros du moment. Ces intellectuels, des libéraux dans le contexte chinois, ont été à l'origine de la pétition et se félicitent de voir Sun Dawu libre. Ils y voient surtout le signe d'un «pouvoir faible» qui, lorsque l'enjeu n'est pas directement politique, ne peut plus se permettre d'user de méthodes autoritaires. A l'opposé, ceux qui défient directement le pouvoir, comme certains cyberdissidents actuellement en détention, ne peuvent espérer aucune clémence.

Pour Sun Dawu, l'heure est d'abord à la reconstruction. Pendant sa détention, son entreprise a commencé à connaître des difficultés, 600 ouvriers ont perdu leur emploi, les épargnants s'inquiètent et le chantier d'une bibliothèque a été arrêté. Ses deux frères sont toujours en prison et sa femme, qui craignait d'être arrêtée, reste cachée. Mais l'entrepreneur a surmonté cette douleur et veut se battre. Le socialisme utopique de Sun Dawu est à la clé.

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faupatronim
 
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