Gauches : les grandes manœuvres ?

Message par faupatronim » 12 Nov 2003, 10:56

CITATION (Le Monde @ 12 novembre 2003)

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Gauches : les grandes manœuvres ?


L'intégralité du débat avec Henri Weber, sénateur de Seine-Maritime et secrétaire national du Parti socialiste, lundi 10 novembre.


Doudam : Quel doit être le comportement de la gauche (et du PS) lors des états généraux de l'altermondialisation ? Le PS doit-il s'appuyer sur ce courant, ou alors s'en éloigner ?

Henri Weber : Il doit s'appuyer sur ce courant, car les deux combats sont complémentaires, et lui servir de relais dans les institutions internationales et dans la législation internationale.  Il doit traduire les revendications de ce mouvement en nouvelles règles et en nouvelles lois internationales.

Ff30 : Quelles sont pour vous les principales lignes de fracture entre le PS et les mouvements d'extrême gauche ?

Henri Weber : Cela dépend desquels. Les partis trotskistes, Lutte ouvrière (LO) et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), sont restés marxistes-léninistes. Les réformistes ne sont pas pour l'abolition de la propriété privée des entreprises, la direction centralisée de l'économie à partir du plan et le remplacement de la démocratie représentative parlementaire par la démocratie directe des conseils de salariés. Ils ne pensent pas non plus que le mot d'ordre d'interdiction des licenciements soit réaliste.

Iodine : Comment considérez-vous les rapprochements auxquels nous assistons à l'extrême gauche ?

Henri Weber : On pourrait se réjouir de l'accord LO-LCR s'il n'était pas marqué par le sectarisme. Cet accord exclut tout désistement et toute fusion au second tour avec les listes de la gauche réformiste et, en conséquence, il risque de faire perdre des régions à la gauche au profit de la droite et d'empêcher d'en gagner.

Lis : M. Weber, croyez-vous que c'est en faisant preuve d'arrogance, comme vous en avez fait preuve au cours de l'émission "Ripostes" à l'égard de la LCR et de Lutte ouvrière, que vous ramènerez au PS ceux qui voient dans ces deux partis solidarité avec les plus faibles et désir réel de changement ? Nous les voyons, eux, sur le terrain.

Henri Weber : Il ne faut pas confondre passion et arrogance. Je ne vois aucune raison de faire preuve d'humilité à l'endroit d'une extrême gauche qui prend la responsabilité de faire perdre la gauche et de préserver la droite au pouvoir régional. Les socialistes comptent parmi eux 60 000 élus locaux qui sont tous les jours sur le terrain.

Barbudos : Pensez-vous qu'il soit possible de "changer la vie" ? Et pensez-vous que les solutions proposées par le PS actuellement contribueront à changer la vie ?

Henri Weber : La vie change beaucoup spontanément. Le premier problème, c'est d'éviter qu'elle change dans un mauvais sens, celui de la régression et d'une forme de barbarie. Le PS poursuit l'effort des socialistes - 150 ans de lutte - pour maîtriser notre destin collectif, approfondir la démocratie et créer une société du bien-vivre où chacun pourrait réaliser ses potentialités et, notamment, les plus hautes : exercer sa liberté, accéder aux œuvres de la culture et de l'esprit, donner libre cours à sa créativité individuelle et collective. C'est la superbe formule de Marx : "Nous sommes pour une société où le libre développement de chacun sera la condition du plein épanouissement de tous." C'est notre devise aujourd'hui comme hier.

Matth : Le Parti socialiste doit-il, selon vous, devenir un parti social-démocrate ?

Henri Weber : Il est déjà, sur le plan idéologique et politique, un parti social-démocrate, dans le sens où il s'est prononcé pour l'économie mixte, c'est-à-dire une économie sociale de marché encadrée par l'intervention de l'Etat et des partenaires sociaux et qu'il ne se fixe plus pour objectif la socialisation des moyens de production et d'échange et l'abolition du marché.

Ff30 : Quelles mesures peuvent être mises en œuvre pour lutter contre les licenciements afin de proposer une alternative aux interdictions de licenciements souhaitées par les mouvements d'extrême gauche ?

Henri Weber : Les syndicats et nous-mêmes, nous travaillons au projet de la sécurité sociale du travail (rapport Michel Supiot, rapport Berlegey), qui visent à sécuriser les parcours professionnels et à éradiquer le chômage. Tout salarié doit être soit en entreprise, soit en congé-formation, soit en congé parental, soit en congé civique, soit en activité libérale individuelle, mais en aucun cas privé de travail et privé des droits liés au travail. Ce sera la principale conquête des prochaines décennies, comme la Sécurité sociale a été la principale conquête de la décennie 1945-2000. La CGT et la CFDT, ainsi que de nombreux autres syndicats à l'échelle européenne, travaillent d'arrache-pied sur ce chantier.

Doudam : Le problème est de savoir, au PS, quelle ligne directrice suivre. Je veux dire que trop de courants se font jour en son sein. Il serait important de clarifier cette situation.

Henri Weber : Le PS a toujours été divers. Il est né de la fusion de cinq organisations en 1905 (dans un an, il fêtera son centenaire !). Il a le plus souvent su trouver l'unité de cette diversité, et je ne doute pas qu'il y parvienne encore pour les prochaines échéances. Le départ brusque de son principal leader, Lionel Jospin, a sans doute créé un vide, mais les talents ne manquent pas.

JMG : Aussi irréaliste qu'il soit, le slogan "interdiction des licenciements" marque un comportement de rupture et de résistance que le PS a abandonné. N'est-il pas, en ce sens, le principal responsable de ses désastres électoraux, passés et à venir ?

Henri Weber : Je ne veux parler de rupture qu'à la condition de savoir où elle mène. La rupture n'est pas une fin en soi, sur quel autre ordre économique, social et politique débouche-t-elle ? Tant que les partisans de la rupture n'auront pas répondu à cette question, cette notion relèvera de la phraséologie creuse. Nous sommes pour substituer à la mondialisation libérale à l'œuvre depuis vingt ans sous l'égide des Etats-Unis, une mondialisation maîtrisée et solidaire, en un mot sociale-démocrate. Et nous savons comment y parvenir. Mais ce sera un combat long et difficile. Nous l'avons commencé avec notre bataille contre les paradis fiscaux. Pour la définition de nouvelles règles de fonctionnement de l'économie mondiale, pour la réforme et la démocratisation internationale née au siècle dernier, mais cette autre mondialisation est un combat.

MONDIALISATION ET CAPITALISME

Phile : Vous n'acceptez que le marché. Il nous conduit au désastre, quel que soit le nom dont on l'affuble. Pourquoi doit-on vivre dans un système capitaliste ?

Henri Weber : Il existe beaucoup d'économies de marché. La suédoise est très différente de la malaisienne, la française est très différente de la brésilienne.
La conviction des socialistes, c'est que grâce à la démocratie politique et à la force organisée des salariés, la liberté d'entreprendre peut être mise au service du progrès social et démocratique. C'est ce que nous avons fait entre 1950 et 1990 en Europe occidentale, avec le fameux modèle rhénan, suédois et même français. Ces solutions sont entrées en crise en raison de la mondialisation. Il faut maintenant porter l'effort de maîtrise du capitalisme et du marché à l'échelle continentale et internationale. D'où notre engagement pour l'Union européenne et pour une autre mondialisation.

Madcap :  Sur le  plan international, sur qui pouvez-vous compter pour faire avancer votre idée de mondialisation maîtrisée et solidaire ?

Henri Weber : Sur plusieurs forces. D'abord les ONG, très nombreuses, chacune mobilisée sur un objectif, mais l'ensemble couvre une large palette. Ensuite, les syndicats qui défendent les droits des travailleurs. Les partis progressistes de gauche qui souhaitent humaniser, civiliser la société internationale. Beaucoup de gouvernements du Sud et de l'Est qui aspirent à un ordre mondial plus juste. Les partis et les gouvernements de gauche doivent traduire en lois, en règles et en institutions internationales les aspirations de la société civile internationale en train de se constituer. Voilà leur complémentarité.

Madcap : Tout cela est très bien, mais  quels seraient  les décideurs actuels au niveau européen ou mondial ?

Henri Weber : Parmi les décideurs, le premier serait Lula, le président du Brésil. Mais il y en a beaucoup d'autres. L'Union européenne, par exemple, a refusé que la santé, l'éducation et la culture soient objets de négociation dans le cadre de l'OMC. A Cancun, mais déjà à Doha.

Pseldon : Comment contredire ce sentiment tenace que les responsables des gouvernements sociaux-démocrates manqueraient de courage face aux pouvoirs économiques et qu'ils abandonneraient par lâcheté les intérêts des plus démunis en France et ailleurs ?

Henri Weber : C'est un procès constant qui est fait à la social-démocratie depuis les origines. Les sociaux-démocrates doivent passer des compromis avec les détenteurs du pouvoir économique privé que sont les chefs d'entreprise et les financiers. Ces compromis peuvent être gagnants-gagnants. La social-démocratie, c'est un pacte social qui englobe les entrepreneurs. Soutien aux entreprises de la part de l'Etat et du mouvement ouvrier en échange du plein-emploi, d'une croissance régulière du pouvoir d'achat, de la protection sociale et d'une haute compétitivité internationale. Ce compromis a été passé pour la première fois en Suède en 1930 et reconduit depuis pour le plus grand bien et des entreprises et des salariés suédois.

JMG : Le projet de Constitution européenne ne dit rien sur les services publics, sur le droit au travail ou sur le droit du travail. Alors pourquoi les socialistes ne le disent-ils pas clairement ?

Henri Weber : Le projet de Constitution incorpore la Charte des droits fondamentaux, qui reconnaît le droit des citoyens d'Europe d'accéder au service d'intérêt général. Une base juridique existe donc pour défendre désormais ces services publics contre les ayatollahs de la dérégulation. Mais notre avis est qu'il faut aller plus loin, et parmi les sept exigences posées par le Parti socialiste, la première concerne la pérennité et le développement des services publics.

Matth : Si les nationalisations étaient les mesures phares de 1981 pour le PS, quelles seraient celles pour 2007 ?

Henri Weber : C'est un peu tôt pour donner le programme du futur candidat socialiste. Personne ne sait sérieusement quel sera l'état du monde, de l'Europe et de la France en 2007. Mais les priorités seront évidemment la lutte pour le plein-emploi et le bon emploi. L'objectif central sera sans doute l'instauration de la sécurité sociale du travail, projet auquel réfléchissent les syndicats européens et la gauche, et qui vise à abolir le statut de chômeur. Un salarié qui n'est pas au travail doit être en formation ou en congé (parental, civique...).

Sosdem : Que répondez-vous à ceux qui pensent, comme Rosanvallon et Laïdi, que la social-démocratie a accompli sa tâche historique et que désormais, elle n'aurait plus de raison d'être ?

Henri Weber : Je ne suis pas d'accord. La tâche historique de la social-démocratie, c'est la maîtrise par la société de son avenir collectif (et en particulier du fonctionnement de son économie), l'avènement d'une démocratie accomplie, et l'épanouissement d'une nouvelle civilisation. Dans le monde d'aujourd'hui, ces trois objectifs conservent toute leur acuité. En dépit des progrès réalisés depuis  cent cinquante  ans.

Mathieu : Si la LCR et LO vous demandent de fusionner au second tour des élections régionales, quelle sera votre réaction ?

Henri Weber : Nous sommes pour la discipline républicaine, vieille tradition de la gauche française. Au premier tour, on choisit, au  second tour, on fait barrage à la droite.

Brou : Quand  le PS considérera-t-il le courant altermondialiste autrement que comme une émanation archaïque du trotskisme et s'appuiera sur les réflexions des altermondialistes pour proposer un "vrai" projet de société à l'échéance des régionales ?

Henri Weber : Le PS ne confond nullement le mouvement altermondialiste, qu'il sait très hétérogène et divers, avec les organisations trotskistes qui prétendent abusivement parler en son nom. Il étudie de près les publications des diverses figures de ce mouvement, il organise des débats avec ses leaders, il s'inspire de leurs rapports et il conçoit le mouvement altermondialiste comme un allié dans le combat pour une mondialisation maîtrisée et équitable.

Barbudos : "Au premier tour on choisit, au  second tour on fait barrage à la droite". Je suis d'accord avec ce principe, mais justement, en avril 2002, les Français n'ont pas choisi Lionel Jospin et sa politique. Pensez-vous vraiment avoir changé la donne ?

Henri Weber : Elle change peu à peu, à mesure que les Français font l'expérience de la droite au pouvoir. Le bilan de la législature de Jospin est progressivement réévalué. L'idée que gauche et droite, "c'est du pareil au même" perd chaque jour en crédibilité. Et se reconstituent les conditions d'un large rassemblement.

JMG : Le PC est mort et les Verts sont absents. Faire barrage à la droite d'accord, mais avec qui ?

Henri Weber : Avec les citoyens, les salariés, le peuple de gauche qui s'organisent aujourd'hui, de préférence dans les associations, les mouvements, mais qui sauront se servir de l'arme du bulletin de vote le moment venu.

Barbudos : Pensez-vous que le PS puisse prétendre rassembler la gauche aujourd'hui ?

Henri Weber : Il y prétend. Et il se sent responsable de l'évolution de la gauche, dans toutes ses composantes. La crise des Verts n'est sans doute pas irrémédiable. D'autres mouvements s'impliqueront dans la bataille électorale pour préparer le grand chelem de 2007 (en trois mois, élections présidentielle, législatives, municipales).

Doudam : Quelle tête au PS ? A quand un véritable leader pour la gauche ?

Henri Weber : Je ne suis pas inquiet. Le PS compte de nombreux dirigeants expérimentés et talentueux. Il y a ceux qui sont connus, Fabius, DSK, Aubry, Delanoë, Hollande... Et il y a la nouvelle génération des 40 ans que le public ne connaît pas mais qui est très présente.

Ismaël : Pensez-vous que les socialistes seront "bien" accueillis lors du Forum social européen ?

Henri Weber : Ils seront diversement accueillis, puisque les participants seront eux-mêmes divers. Il y a des groupes sectaires et violents dans ces forums, qui se feront sans doute entendre, mais ils ne représentent qu'une infime minorité. De toute façon, les socialistes sont une des puissances accueillantes par la Mairie de Paris et par le département de Seine-Saint-Denis.

Krudski : Le mouvement altermondialiste, l'appel "Ramulaud", ou la constitution de listes LO-LCR ne traduisent-ils pas la crainte de voir le PS abandonner ses valeurs et se muer en parti de centre gauche comme le Parti démocrate américain ?

Henri Weber : Dans tous les pays où la gauche a été longtemps dominée par le mouvement communiste, il existe une extrême gauche radicale dont l'influence électorale oscille entre 5 et 10 %, selon les moments et le type d'élection (Italie, Espagne, Portugal...). C'était une naïveté de croire que le mouvement communiste français, qui a dominé la gauche de 1936 à 1981, allait se volatiliser brusquement après la chute du mur de Berlin. Nous vivons en France les soubresauts de la lente agonie du mouvement communiste, et le poids de l'extrême gauche marxiste dans notre pays en est un reflet. Le PS n'a nullement l'intention d'abandonner les valeurs et les objectifs du socialisme démocratique. Il entend adapter les moyens pour atteindre ses objectifs aux nouvelles conditions de la lutte politique en ce XXIe siècle commençant.

Barbudos : Comment régler le problème de l'abstentionnisme, problème latent pour le Parti socialiste et la gauche en général ?

Henri Weber : L'abstentionnisme est une tendance lourde qui affecte toutes les vieilles démocraties développées de l'Occident. On peut le réduire en assumant pleinement notre fonction de principale force d'opposition à la politique de la droite au pouvoir, en inventant des nouvelles formes de participation des citoyens à l'élaboration des décisions et des propositions.

Brou :  Que comptent faire  les sénateurs PS et le PS lui-même comptent faire pour enrayer les attaques des sénateurs de droite et de la droite contre les libertés de la presse et le droit d'investigation des journalistes ?

Henri Weber : Leur possible. Dans la mesure où sur 321 sénateurs, ils sont une centaine, et donc sensiblement minoritaires.

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faupatronim
 
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