
CITATION
Enquête sur la gauche de la gauche
La gauche radicale et contestataire a le vent en poupe. Une dynamique qui menace le PS à l'approche des prochaines échéances électorales
A gauche, les clignotants sont au rouge. Au rouge vif. Les échéances électorales approchent et la pression exercée par l’extrême gauche ne faiblit pas. Plus qu’une épine dans le pied de la gauche parlementaire, une véritable épée de Damoclès pour les dirigeants de l’ex-gauche plurielle. Marie-George Buffet doit ainsi lutter pour essayer de garder dans la maison communiste nombre de militants tentés par une alliance avec l’extrême gauche . Les dirigeants Verts, eux, sont ouvertement partagés entre tenants de la « radicalité » et défenseurs de l’alliance avec le PS. Les socialistes, justement, ont payé cher à la présidentielle le procès en « trahison » intenté par les candidats trotskistes. Déjà, ils redoutent une nouvelle facture électorale lors des régionales à venir si l’extrême gauche confirmait sa percée.
Pendant que la gauche de gouvernement s’interroge et s’inquiète, la gauche des rassemblements et des manifestations pavoise. Pour elle, l’échec des négociations de l’OMC, du 10 au 14 septembre à Cancun (Mexique), a été reçu comme une savoureuse victoire. Déjà, auparavant, le succès du rassemblement du Larzac (en août) avait été une promesse de lendemains qui chantent. Le malaise persistant des partis de l’ancienne gauche plurielle confirme son pouvoir. Dans ce contexte, le Forum social européen du mois prochain devrait de nouveau constituer une formidable caisse de résonance.
« La réussite électorale de l’extrême gauche à la présidentielle, l’importance des mouvements de sans-papiers ou sans-logis, la montée des syndicats protestataires sont autant d’éléments objectifs qui montrent la force de cette mouvance », détaille Isabelle Sommier, professeur à la Sorbonne et spécialiste de la gauche « mouvementiste ». En plus de ces signes incontestables, les « altermondialistes » profitent de l’attention globalement bienveillante des médias. « Ils bénéficient d’un traitement favorable grâce à leurs caractéristiques (nouveauté, radicalité, effet générationnel) qui attirent fortement les journalistes », remarque Marc Lazar. Toutefois, malgré ce bémol, le politologue, spécialiste de l’extrême gauche , voit, lui aussi, dans cette gauche de la gauche une nouvelle force, désormais bien installée et décidée à compter.
Le terrain politique est encore laissé aux partis « traditionnels »
Pour compter, justement, faut-il se compter ? Autrement dit, quitter le strict terrain syndical et protestataire pour faire intrusion sur le ring politique. La question taraude et divise les « altermondialistes ». Les partis politiques de l’extrême gauche , et singulièrement la LCR, voudraient bien fédérer tout le mouvement pour en faire une « autre gauche », un « pôle de radicalité ». Un rassemblement destiné à combattre la droite bien sûr. Et le PS. « Nous nous opposons à la droite ultra-libérale mais aussi à cette gauche tellement décrédibilisée qu’elle se sert de nous comme d’un bouc émissaire », assène Alain Krivine, le patron de la LCR.
Cette attitude ne fait pas l’unanimité. Figure de proue des « altermondialistes », José Bové multiplie ainsi les dénégations. Pas question, dit-il, de transformer le mouvement en le transformant en force politique. Aux yeux du leader de la Confédération paysanne, le mouvement social doit conserver son autonomie face à des partis désormais « dévoyés » et « impuissants ».
Au-delà de ce dédain affiché pour les partis en général et la gauche traditionnelle en particulier, les altermondialistes savent aussi que leur intrusion dans le monde politique nécessiterait une sérieuse clarification idéologique. Car la force de leurs rassemblements, comme les centaines de milliers de personnes venues cet été camper sur le plateau du Larzac, dissimule mal une mosaïque d’aspirations diverses. « Pour le moment, tous se retrouvent pour proclamer qu’un autre monde est possible, remarque Marc Lazar. Mais sans dire ni lequel ni comment. »
Certes, un mouvement comme Attac, né pour porter l’idée d’une taxe sur les transactions financières, a engagé une réflexion de fond sur plusieurs thèmes. Reste que d’autres mouvements, et singulièrement les partis trotskistes, campent toujours sur de vieux schémas. Ainsi, Olivier Besancenot, nouvelle vitrine de la LCR, parle rarement de sa volonté de nationaliser l’économie. Mais il l’écrit. « La réquisition des richesses est tout le contraire du vol, elle permet au contraire de reprendre ce qui a été volé », affirme-t-il dans son livre Révolution paru cette année. Ce genre de programme radical ne fait évidemment pas l’unanimité chez les « altermondialistes ».
Denis Pingaud, ex-trotskiste, ancien de Médecins sans frontières et désormais observateur avisé, voit d’ailleurs une nette coupure dans les buts et les stratégies suivies par les différents acteurs. « La LCR, explique-t-il, veut offrir des propositions, préparer une alternative. Attac préfère faire pression sur les partis politiques traditionnels. José Bové et les autres syndicalistes pensent, eux, que la réponse est ailleurs, qu’il faut changer les choses là où ils sont, en partant des problématiques locales. »
Un sentiment anti-PS largement partagé
La constitution d’un vaste pôle de radicalité concurrent du PS paraît donc toujours aussi hypothétique. D’ailleurs, l’alliance en préparation entre LO et LCR pour les prochaines élections européennes et régionales démontre la réticence des autres mouvements à s’engager sur ce terrain. Voilà au moins un motif de soulagement pour la gauche de gouvernement. Pourtant, c’est bien le seul. Car les ponts entre gauche radicale et gauche réformiste sont en passe d’être rompus et les électeurs de la première se montrent de moins en moins prêts à voler au secours de la seconde.
Dans ses moments d’optimisme, François Hollande, le patron du PS, prédit pourtant qu’au second tour, « entre un candidat socialiste et un candidat UMP, les électeurs d’extrême gauche choisiront toujours le moins pire ». Autrement dit, le socialiste. « C’est probablement vrai pour une bonne part des anciens militants qui ont une forte culture politique, admet Isabelle Sommier. Pour les jeunes, en revanche, rien n’est moins sûr. » D’autant, renchérit Denis Pingaud, que « le sentiment anti-PS est même l’un des plus forts ciments de toute la gauche radicale ».
Face au fossé qui se creuse, le PS s’avère en panne de solution. La ligne officielle est celle d’une confrontation d’arguments « afin de démonter les ambiguïtés de l’extrême gauche ». Lionel Jospin, dans sa tribune publiée récemment dans Libération, invitait même fermement ses amis à rompre définitivement avec le discours révolutionnaire pour se mettre « à l’abri de toute mystification ou illusion ».
D’autres campent sur une ligne bien différente, comme Georges Frêche. Le maire de Montpellier juge que les socialistes doivent « tendre la main à l’extrême gauche comme le PS l’a fait autrefois avec les communistes ». Pour Jean Excoffier, patron de la fédération PS de Haute-Savoie, au contraire, ce débat est déjà dépassé. De ses nombreuses rencontres avec les « gauchistes » pour la préparation du contre-sommet du G8, en juin dernier à Évian, il a tiré une conclusion en forme de cri d’alarme : « Arrêtons de croire que nous pouvons nous entendre avec eux. Ils nous détestent ! »
Mathieu CASTAGNET [/quote]
Enquête sur la gauche de la gauche
La gauche radicale et contestataire a le vent en poupe. Une dynamique qui menace le PS à l'approche des prochaines échéances électorales
A gauche, les clignotants sont au rouge. Au rouge vif. Les échéances électorales approchent et la pression exercée par l’extrême gauche ne faiblit pas. Plus qu’une épine dans le pied de la gauche parlementaire, une véritable épée de Damoclès pour les dirigeants de l’ex-gauche plurielle. Marie-George Buffet doit ainsi lutter pour essayer de garder dans la maison communiste nombre de militants tentés par une alliance avec l’extrême gauche . Les dirigeants Verts, eux, sont ouvertement partagés entre tenants de la « radicalité » et défenseurs de l’alliance avec le PS. Les socialistes, justement, ont payé cher à la présidentielle le procès en « trahison » intenté par les candidats trotskistes. Déjà, ils redoutent une nouvelle facture électorale lors des régionales à venir si l’extrême gauche confirmait sa percée.
Pendant que la gauche de gouvernement s’interroge et s’inquiète, la gauche des rassemblements et des manifestations pavoise. Pour elle, l’échec des négociations de l’OMC, du 10 au 14 septembre à Cancun (Mexique), a été reçu comme une savoureuse victoire. Déjà, auparavant, le succès du rassemblement du Larzac (en août) avait été une promesse de lendemains qui chantent. Le malaise persistant des partis de l’ancienne gauche plurielle confirme son pouvoir. Dans ce contexte, le Forum social européen du mois prochain devrait de nouveau constituer une formidable caisse de résonance.
« La réussite électorale de l’extrême gauche à la présidentielle, l’importance des mouvements de sans-papiers ou sans-logis, la montée des syndicats protestataires sont autant d’éléments objectifs qui montrent la force de cette mouvance », détaille Isabelle Sommier, professeur à la Sorbonne et spécialiste de la gauche « mouvementiste ». En plus de ces signes incontestables, les « altermondialistes » profitent de l’attention globalement bienveillante des médias. « Ils bénéficient d’un traitement favorable grâce à leurs caractéristiques (nouveauté, radicalité, effet générationnel) qui attirent fortement les journalistes », remarque Marc Lazar. Toutefois, malgré ce bémol, le politologue, spécialiste de l’extrême gauche , voit, lui aussi, dans cette gauche de la gauche une nouvelle force, désormais bien installée et décidée à compter.
Le terrain politique est encore laissé aux partis « traditionnels »
Pour compter, justement, faut-il se compter ? Autrement dit, quitter le strict terrain syndical et protestataire pour faire intrusion sur le ring politique. La question taraude et divise les « altermondialistes ». Les partis politiques de l’extrême gauche , et singulièrement la LCR, voudraient bien fédérer tout le mouvement pour en faire une « autre gauche », un « pôle de radicalité ». Un rassemblement destiné à combattre la droite bien sûr. Et le PS. « Nous nous opposons à la droite ultra-libérale mais aussi à cette gauche tellement décrédibilisée qu’elle se sert de nous comme d’un bouc émissaire », assène Alain Krivine, le patron de la LCR.
Cette attitude ne fait pas l’unanimité. Figure de proue des « altermondialistes », José Bové multiplie ainsi les dénégations. Pas question, dit-il, de transformer le mouvement en le transformant en force politique. Aux yeux du leader de la Confédération paysanne, le mouvement social doit conserver son autonomie face à des partis désormais « dévoyés » et « impuissants ».
Au-delà de ce dédain affiché pour les partis en général et la gauche traditionnelle en particulier, les altermondialistes savent aussi que leur intrusion dans le monde politique nécessiterait une sérieuse clarification idéologique. Car la force de leurs rassemblements, comme les centaines de milliers de personnes venues cet été camper sur le plateau du Larzac, dissimule mal une mosaïque d’aspirations diverses. « Pour le moment, tous se retrouvent pour proclamer qu’un autre monde est possible, remarque Marc Lazar. Mais sans dire ni lequel ni comment. »
Certes, un mouvement comme Attac, né pour porter l’idée d’une taxe sur les transactions financières, a engagé une réflexion de fond sur plusieurs thèmes. Reste que d’autres mouvements, et singulièrement les partis trotskistes, campent toujours sur de vieux schémas. Ainsi, Olivier Besancenot, nouvelle vitrine de la LCR, parle rarement de sa volonté de nationaliser l’économie. Mais il l’écrit. « La réquisition des richesses est tout le contraire du vol, elle permet au contraire de reprendre ce qui a été volé », affirme-t-il dans son livre Révolution paru cette année. Ce genre de programme radical ne fait évidemment pas l’unanimité chez les « altermondialistes ».
Denis Pingaud, ex-trotskiste, ancien de Médecins sans frontières et désormais observateur avisé, voit d’ailleurs une nette coupure dans les buts et les stratégies suivies par les différents acteurs. « La LCR, explique-t-il, veut offrir des propositions, préparer une alternative. Attac préfère faire pression sur les partis politiques traditionnels. José Bové et les autres syndicalistes pensent, eux, que la réponse est ailleurs, qu’il faut changer les choses là où ils sont, en partant des problématiques locales. »
Un sentiment anti-PS largement partagé
La constitution d’un vaste pôle de radicalité concurrent du PS paraît donc toujours aussi hypothétique. D’ailleurs, l’alliance en préparation entre LO et LCR pour les prochaines élections européennes et régionales démontre la réticence des autres mouvements à s’engager sur ce terrain. Voilà au moins un motif de soulagement pour la gauche de gouvernement. Pourtant, c’est bien le seul. Car les ponts entre gauche radicale et gauche réformiste sont en passe d’être rompus et les électeurs de la première se montrent de moins en moins prêts à voler au secours de la seconde.
Dans ses moments d’optimisme, François Hollande, le patron du PS, prédit pourtant qu’au second tour, « entre un candidat socialiste et un candidat UMP, les électeurs d’extrême gauche choisiront toujours le moins pire ». Autrement dit, le socialiste. « C’est probablement vrai pour une bonne part des anciens militants qui ont une forte culture politique, admet Isabelle Sommier. Pour les jeunes, en revanche, rien n’est moins sûr. » D’autant, renchérit Denis Pingaud, que « le sentiment anti-PS est même l’un des plus forts ciments de toute la gauche radicale ».
Face au fossé qui se creuse, le PS s’avère en panne de solution. La ligne officielle est celle d’une confrontation d’arguments « afin de démonter les ambiguïtés de l’extrême gauche ». Lionel Jospin, dans sa tribune publiée récemment dans Libération, invitait même fermement ses amis à rompre définitivement avec le discours révolutionnaire pour se mettre « à l’abri de toute mystification ou illusion ».
D’autres campent sur une ligne bien différente, comme Georges Frêche. Le maire de Montpellier juge que les socialistes doivent « tendre la main à l’extrême gauche comme le PS l’a fait autrefois avec les communistes ». Pour Jean Excoffier, patron de la fédération PS de Haute-Savoie, au contraire, ce débat est déjà dépassé. De ses nombreuses rencontres avec les « gauchistes » pour la préparation du contre-sommet du G8, en juin dernier à Évian, il a tiré une conclusion en forme de cri d’alarme : « Arrêtons de croire que nous pouvons nous entendre avec eux. Ils nous détestent ! »
Mathieu CASTAGNET [/quote]