CITATION (Le Monde @ 7 octobre 2003)
Des dérives sexistes relancent le débat sur le contrôle de la publicité
Pris à partie par quelques élus, dont Ségolène Royal, le Bureau de vérification de la publicité (BVP) est sorti de sa réserve pour demander le retrait d'une campagne d'affichage des sous-vêtements Sloggi, au moment où des négociations ont lieu sur l'opportunité d'une législation.
La réapparition dans les rues, début octobre, des affiches pour les strings Sloggi, aux connotations érotiques évidentes, tombe au plus mauvais moment. Alors que les publicitaires multiplient les contre-feux pour calmer les ardeurs de ceux qui sont tentés de légiférer pour limiter les dérives sexistes de la publicité, l'affaire Sloggi fait tâche. Elle relance le débat sur les capacités d'autodiscipline de la profession.
Symbole de cette gêne, le Bureau de vérification de la publicité (BVP) est sorti de sa réserve habituelle, lundi 6 octobre. Dans un communiqué, il affirme avoir demandé à la société allemande Triumph International, propriétaire de la marque Sloggi, le retrait de cette publicité. Une première pour cette institution, censée ne pas publier ses avis, au demeurant purement consultatifs. "Ce manquement réitéré aux codes de bonnes pratiques est très dommageable pour l'image et la réputation de la publicité, alors même que les organisations professionnelles ont demandé à leurs adhérents de renforcer la vigilance en matière de représentation du corps féminin et que cet effort commence à porter ses fruits", affirme le BVP. La société JC Decaux précise que la campagne sera désaffichée de ses panneaux mardi 7 octobre comme prévu, et ne manque pas de faire remarquer ironiquement que la prise de position officielle du BVP tombe fort opportunément la veille de la fin de la campagne.
Le BVP avait été pris à partie vendredi par la député socialiste des Deux-Sèvres, Ségolène Royal et trois élus PS de Poitou-Charentes qui s'étaient indignés de cette campagne "portant atteinte à l'intimité des femmes et à la protection de l'enfance".
Cette fausse note intervient en pleine négociation entre le gouvernement et les professionnels de la publicité au sujet des dérives sexistes. L'initiative du député (UMP) de Saône-et-Loire, Jean-Marc Nesme, qui a déposé, début février, un projet de loi signé par une quarantaine de députés, a relancé le débat et a sonné comme un avertissement pour la profession. Déjà, il y a deux ans, elle s'était inquiétée d'une tentative des pouvoirs publics à légiférer. Mme Royal, alors ministre déléguée à la famille, s'était alors penchée sur le dossier.
Le risque de se voir imposer une législation a été pris au sérieux par le BVP, un organisme géré conjointement par les agences, les annonceurs et les médias. Il a choisi de réagir en multipliant les initiatives en forme de plaidoyers pour l'autodiscipline. En juin, il consacrait même un colloque à cette question. A cette occasion, Stéphane Dottelonde, président de l'Union de la publicité extérieure (UPE), se disait favorable à un contrôle renforcé des campagnes d'affichage, voire à un contrôle a priori des campagnes par le BVP, comme c'est le cas pour les spots télévisés. Il est vrai que les campagnes d'affichage, soumises de fait au regard de l'ensemble de la population, sans distinction d'âge, sont particulièrement visées par les critiques. Cette déclaration avait provoqué une levée de boucliers des agences et des créatifs, inquiets de ces nouvelles contraintes. La menace fut de courte durée. Le 9 juillet, l'UPE faisait marche arrière.
Mais les discussions se poursuivent. A la demande de Mme Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, le BVP a présenté fin septembre un rapport recensant les dérapages des campagnes d'affichage et des campagnes publicitaires publiées par la presse écrite entre janvier et mai 2003. A cette occasion, cet organisme a mis en avant le faible nombre de campagnes qui contrevenaient aux règles de déontologie fixées, il y a deux ans, lors de la publication d'une recommandation sur "l'image de la personne humaine". Le BVP a recensé 43 campagnes problématiques, dont 16 affiches, sur un total de près de 15 000 campagnes recensées. Et parmi, elles, les affiches Slogg,i très controversées lors de leur première apparition sur les trottoirs des villes au printemps.
Le prochain rendez-vous entre Mme Ameline, les agences, les annonceurs et le BVP est fixé au 14 octobre. Au cabinet de la ministre, on aimerait pouvoir annoncer des initiatives concrètes sur ce sujet. Sans aller jusqu'au projet de loi, l'idée est d'obtenir un certain nombre d'engagements des annonceurs et des agences. Plusieurs pistes sont à l'étude au sein du BVP. De l'établissement d'un baromètre qui mesurerait régulièrement les dérapages publicitaires, au renforcement des recommandations éthiques sur la personne humaine fixées par la profession, en passant par l'ouverture de la commission de concertation chargée d'établir les règles à d'autres associations. Le ministère s'interroge, pour sa part, sur l'opportunité d'évoluer vers un système de co-régulation. Les pouvoirs publics seraient alors associés au sein du BVP et auraient un droit de regard sur les règles établies par la profession et sur les avis délivrés. Le ministère réfléchit également à la création d'une autorité administrative indépendante, chargée des problèmes de discrimination hommes-femmes.
Laurence Girard
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