CITATION
A Hénin-Beaumont, des "p'tits gars du Nord" au service de l'extrême droite
reportage Cette ville du bassin minier de Lens compte 25 % de chômeurs
Hénin-beaumont (pas-de-calais) de notre envoyée spéciale
Le peuple, il l'observe, s'occupe de ses soucis, l'invite à des "pots" tous les vendredis, lui envoie des courriers tapés à l'ordinateur avec, parfois, cette phrase écrite à la main : "Plus que jamais, la victoire est proche." Et le "peuple" du FN y croit. De toute façon, disent les sympathisants, vers qui se tourner à Hénin-Beaumont, sinon vers Steeve Briois ?
Elu du Front national dans cette commune de 26 000 habitants, et patron du FN dans le Pas-de-Calais, le "petit-fils de mineur"se rêve en leader contestataire. Celui qui a obtenu 32,08 % des voix au second tour des élections législatives de 2002 dans la 14e circonscription a de quoi faire dans cette ville du bassin minier de Lens qui compte 25 % de chômeurs. Puisque les ouvriers n'arrivent plus à désigner "l'employeur coupable" - est-ce l'actionnaire, le sous-traitant ? -, Steeve Briois livre ses réponses : la mondialisation, les étrangers, etc.
Il est bien organisé : conseiller régional depuis 1998, M. Briois utilise ce mandat pour être à plein temps auprès des"retraités, chômeurs, smicards, artisans commerçants"... Le profil de son noyau dur de militants : il y a le retraité de Metaleurop et "ancien de l'Algérie", Joseph Debièvre ; le chômeur Roland Malfait, qui a perdu son emploi de teinturier "le 22 octobre" ; l'ouvrier en arrêt-maladie, Francis Breton, cariste à l'entreprise Faurecia qui fabrique des tableaux de bord. Il y a aussi... le frère de l'ex-maire socialiste d'Hénin-Beaumont, Pierre Darchicourt : Yves Darchicourt, retraité, qui milite au FN avec son épouse, conseillère à l'ANPE de Hénin-Beaumont - "en arrêt-maladie", y précise-t-on. Sans oublier Freddy Baudrin, ancien élu de Wingles, dont le téléphone portable accueille ainsi le visiteur : "Monsieur n'est pas là. (...) Il est parti voir un lâcher de salopes à Maubeuge. Il sera de retour que s'il en tire une !" Il y a, aussi, ce jeune intérimaire, qui préfère rester anonyme : employé à la chaîne chez Renault, à Douai, il vient d'emménager à Sallaumines avec un ami agent de sécurité. Ils aiment bien Marine Le Pen, qui les appelle "les p'tits gars du Nord".
Tous ces gens, "Steeve" les appelle ses "correspondants de quartier". Chacun fait remonter l'information, distribue des tracts à la demande. M. Briois traite en direct les bobos d'en bas : "Une dame s'est tordu la cheville dans une bouche d'égout. Ses lunettes sont tombées dedans"... Ses ennemis sont babas : "Il est excellent", constate Jean-Marc Bureau, élu (Verts) d'Hénin-Beaumont, qui a créé avec le PS le groupe "Une nouvelle gauche" pour "préparer l'avenir". "La ville est prenable", assure M. Briois, qui l'a briguée en 2001 sous l'étiquette MNR. Le maire actuel, Gérard Dalongeville (divers gauche), est en mauvaise posture : avec un déficit de 25 % du budget de fonctionnement, la commune pourrait être placée sous contrôle budgétaire par l'Etat.
"LE POGNON AUX PETITES GENS"
L'ambiance à gauche est détestable : M. Dalongeville était le directeur de cabinet de Pierre Darchicourt, avant de prendre son fauteuil en 2001. Trois adjoints (deux Verts, un MRC) et un élu ont déjà quitté la majorité municipale. "Sur le terrain, je ne vois que le FN", reconnaît étrangement M. Dalongeville. Façon de dire que les socialistes sont absents... La droite n'a aucun élu, le FN trois.
"Steeve" anime les séances du conseil municipal sur l'air de : "Rendez le pognon aux petites gens !". Puis il répercute sa prestation dans le quatre-pages fabriqué à l'imprimerie d'un autre élu frontiste d'Hénin-Beaumont, Jean-Claude Ménin. Pour joindre ses forces à celles de "Steeve", Laurent Brice, jeune conseiller (FN) de Montigny, va "bientôt"abandonner son mandat "qui n'a aucune répercussion médiatique". L'efficacité avant tout. "Si des élections avaient lieu aujourd'hui, nul ne pourrait en prévoir l'issue", résume Jean-François Caron, maire (Verts) de Loos-en-Gohelle, commune située à quelques kilomètres d'Hénin-Beaumont, au pied du plus haut terril d'Europe.
C'est près de ce terril, dans une ancienne mine (base 11-19) reconvertie en lieu culturel, que l'on trouve des adversaires inattendus du FN : la scène nationale Culture-commune, qui propose depuis douze ans des spectacles contemporains, fondés sur la mémoire des mineurs. (Le Monde du 12 mai). "On veut créer du possible. Possibilité de travailler, de rêver, de penser par soi-même. Pour contrer le fonds de commerce du FN", explique la directrice, Chantal Lamarre.
Côté syndical, Farid Ramou, ancien secrétaire CGT de Metaleurop-Nord, n'a pas voulu "laisser dans la nature" les quelque 800 salariés licenciés. Il préside l'association Chœurs de fondeurs, qui réunit, à Hénin-Beaumont, les "ex" et tente de les "promouvoir". A l'approche des régionales, il est "courtisé" à gauche. A l'invitation du président (PS) du conseil régional, Daniel Percheron, il s'apprête à s'envoler pour la Chine avec Martine Aubry et Pierre Mauroy. Pour visiter "l'Atelier du monde". Et parler politique.
Clarisse Fabre
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