dans rouge cette semaine, un excellent (à mon avis) reportage
CITATION André Fadda
Union multiprofessionnelle
Apprenti-soudeur à 14 ans, André Fadda entre dans les Commissions ouvrières clandestines, à Barcelone (Catalogne), en 1974. Militant internationaliste, il séjourne plusieurs années au Nicaragua puis s'installe au Pays basque comme métallo et participe à la défense des droits du peuple basque et à la solidarité avec Cuba. En 1992, après avoir été licencié, il arrive à Saint-Nazaire et devient délégué CGT intérimaire. Il est secrétaire de l'union syndicale multiprofessionnelle de la CGT depuis sa création.
La présence de milliers de précaires et de sous-traitants sur le site des Chantiers de l'Atlantique a rapidement fait naître au sein de la CGT une réflexion pour inventer un outil syndical nous permettant d'être plus utiles et efficaces dans la construction des revendications et la conquête d'un statut unique pour tous les salariés du site. Avant la création de l'union syndicale multiprofessionnelle de la CGT (USM-CGT), les intérimaires, les salariés des Chantiers et les sous-traitants CGT militaient chacun dans leur coin. C'est en 1999 que nous avons finalement décidé de nous réunir tous ensemble autour d'une table et de poser les premiers jalons de ce qui allait devenir une nouvelle façon de faire du syndicalisme.
Cela a débouché en 1999 sur la conception d'un réseau syndical, l'USM. Comme son nom l'indique, elle est par essence une union des syndicats d'entreprises sous-traitantes, de celui de l'entreprise donneuse d'ordres et de ceux d'intérimaires.
Notre démarche a pour but de faire monter les revendications dans leur diversité, de tisser des solidarités, d'organiser les ripostes collectives et de travailler à des convergences propres à quelques entreprises du site ou à toutes les entreprises du site. Contre un système qui éclate le collectif pour mieux dominer les salariés, il est capital de rechercher l'unité. Notre efficacité s'appuie donc sur une démarche qui vise à unir, à partir de contenus revendicatifs différents ou communs.
Cela passe par une pratique syndicale démocratique adaptée à la réalité du terrain.
Les débuts de l'USM n'ont pas été simples. Le syndicat des Chantiers, du fait de la composition d'un salariat à statut et d'un fonctionnement syndical traditionnel dans l'entreprise, a toujours eu sa propre "culture d'entreprise". Longtemps attachés à un ensemble de pratiques qui ont permis dans le passé d'articuler les luttes sociales, les militants CGT d'Alstom Marine ont durant ces dernières années intégré la nécessité d'innovation syndicale face à la mutation de leur entreprise. Le syndicalisme de tutelle a finalement cédé la place à un syndicalisme solidaire dans lequel tout le monde est traité sur un pied d'égalité.
Les savoir-faire syndicaux, l'expérience acquise, les militants, les syndiqués, constituent des points d'appui pour y parvenir. Des façons d'être et de faire sont en train de changer. La diversité du salariat engendre une diversité de cultures, de pratiques qui conduit à des approches différentes des rapports sociaux, des conceptions d'activités syndicales, de la construction des rapports de forces, de la conduite des luttes.
Les transformations, liées au développement de la mondialisation, qui touchent aujourd'hui le monde du travail entraînent la surexploitation. Sur les sites industriels, on observe un développement massif de la précarité et de la flexibilité par le recours à la sous-traitance et l'éclatement du salariat. Cette politique, dictée par la recherche de conditions d'exploitation optimum pour le capital, a aussi pour conséquence d'atomiser le monde du travail.
Les Chantiers de l'Atlantique sont ainsi devenus un grand laboratoire qui sert à expérimenter les nouvelles formes de domination sociale et économique de la mondialisation. Nous ne sommes plus dans une entreprise classique, le site s'est totalement transformé. Par ce biais, le patronat cherche à modifier les comportements des travailleurs en les isolant, en les atomisant. Par la mise en place des plans stratégiques CAP 21 et Montage exotique, la direction des Chantiers a développé la précarité et la flexibilité sur le site. L'objectif de ces plans est de gagner 30 % de rentabilité sur la construction des navires et d'instaurer l'esclavage moderne. Les salariés en subissent les conséquences.
Dirigée par le donneur d'ordres, la sous-traitance en cascade (allant parfois jusqu'au septième rang) - plus de 600 entreprises concernées- repose sur une recherche permanente de la baisse des coûts salariaux, par la mise en concurrence des salariés, la casse des statuts (une quinzaine de conventions collectives sur le site), la baisse des salaires, les déqualifications, la précarité, la flexibilité et la dégradation des conditions de travail.
La caractéristique du salariat sur le site est sa précarité. Les effectifs du site s'élèvent à 13000 salariés, dont 8 000 sont sous-traitants et intérimaires. Les effectifs de la majorité des entreprises sous-traitantes sont à 80 % des travailleurs précaires (intérimaires, CDD, contrats de chantier, travailleurs étrangers détachés sur le site). Cette population se compose de salariés de différentes nationalités. Nous sommes face à un réel apartheid social.
Ce terrain sur lequel nous évoluons nous oblige à réfléchir et à modifier nos comportements et méthodes de travail syndical. Depuis ces dernières années, la CGT s'est engagée dans la recherche de nouvelles formes d'organisation et de fonctionnement afin d'être en phase avec le monde du travail. Cela passe par le développement d'un syndicalisme qui colle au terrain pour mieux appréhender les situations dans leurs diversités. La CGT, face à ces nouvelles formes d'esclavage moderne, a déployé son activité syndicale dans ce sens. Le problème posé par ces nouvelles méthodes de domination et de mise en concurrence sociale est devenu une composante à part entière de notre activité syndicale.
Lors des luttes du printemps 2003, notre participation aux réunions et actions interprofessionnelles ont été encore plus importantes qu'en 1995, malgré les pressions patronales. Vingt mille manifestants ont pénétré sur le chantier le 10 juin, jusqu'au pied du Queen Mary 2. Le sentiment qu'il s'agit de luttes pour des choix de société s'est bien intégré sur le site. Cependant, bien que l'ampleur des plans gouvernementaux exige un mouvement de grève générale, force est de constater que ce mot d'ordre est encore très difficile à faire vivre dans le privé et par conséquent dans les entreprises présentes sur le site. Dans tous les cas, les initiatives pour faire grandir le "tous ensemble" ont permis de s'enraciner dans le mouvement afin de construire la mobilisation dans la durée.
André Fadda.
Rouge 2030 11/09/2003[/quote]