CITATION
Bonjour Olivier Besancenot. Hier soir, sur France 2, une émission qui
se déroulait à la Sorbonne a été interrompue pendant un quart
d'heure au moment où le ministre de l'Education Nationale était en
train de s'exprimer. Il semble que c'est le résultat d'une action
conjointe d'enseignants et d'intermittents du spectacle. Si c'est bien
un sabotage, qu'est-ce que vous en pensez-vous ? Vous
condamnez, vous approuvez ?
Ecoutez en tous les cas c'est pas moi. J'ai un alibi. Je pourrais vous dire au
moins ça et puis pour tout vous dire, je n'ai pas vraiment vu la différence quand
l'écran s'est rallumé parce qu'on a vu un Luc Ferry particulièrement arrogant,
qui n'a toujours pas compris pourquoi il y a eu dans certains départements plus
d'un mois et demi de grève au printemps dernier. Mais je crois que ce n'est que
partie remise, parce que les problèmes de l'Education Nationale et les
problèmes sociaux, notamment ceux des retraites, restent posés.
Mais enfin ce genre d'action qui ressemble à une censure sur le
principe?
Ecoutez, on verra exactement qui est responsable de quoi, et puis on verra
surtout qu'il y aura un grand mouvement social lors de cette rentrée et puis il y
aura parfois des actions un peu radicales mais il faut comprendre pourquoi les
gens aujourd'hui sont exaspérés.
Pourquoi alors ? Quelle est votre réponse ? Qu'est-ce qui fait que le
climat social peut aller vers d'autres mouvements sociaux ?
Je crois qu'on a tout simplement un gouvernement qui tient la barre pour ses
propres réformes et qui le fait de façon hyper violente, qui veut appliquer en
gros, de A à Z le programme de refondation sociale qui après les retraites,
veut passer en force sur la question de la sécurité sociale, qui veut
probablement accélérer un peu plus encore les procédures de licenciements.
C'est pour ça que je crois qu'il n'y a pas de rentrée sociale à proprement parler,
dans le sens où il n'y a pas eu de sortie dans le sens où les intermittents du
spectacle ont pris le relais de la mobilisation des grévistes sur la question des
retraites du printemps. Les intermittents du spectacle ont été relayés par la
grande mobilisation du Larzac cet été.
Et qui arrive alors maintenant ? Quel autre domaine ?
Je crois qu'une fois de plus la question de la sécurité sociale va être posée,
parce qu'on a un gouvernement qui essaie de déminer la rentrée. A écouter
Mattei, il n'y a pas de réforme, mais il va quand même nous en annoncer une
dans quelques semaines, sur la base d'un rapport qui a été directement inspiré
par l'ancien responsable d'Axa, c'est-à-dire un assureur. Vous me direz : on
n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
A propos du ministre Mattei, le rapport de la mission d'expertise
d'évaluation sur le système de santé. Vous avez vu ça. Il parle de
cloisonnement administratif, de manque d'anticipation, de décalage
avec la réalité à propos de la canicule. C'est un domaine à votre avis
dans lequel il faudrait tout revoir ? Repenser l'organisation ?
Repenser effectivement de A à Z. Mais ça fait belle lurette qu'on le demande et
je crois que ce rapport est un rapport qui est complètement décalé. C'est
presque un rapport gouvernemental qui donne la nausée ! Parce que, à écouter
le gouvernement tout le monde est responsable, sauf le gouvernement ! Donc,
les urgentistes prennent trop de vacances. Les infirmières prennent trop de
RTT. Et puis les Français sont responsables de ne pas être assez solidaires
avec les personnes âgées.
Eh bien évidemment le gouvernement ne pouvait pas prévoir la canicule, mais
ce qu'il pouvait prévoir, et depuis longtemps encore, c'est la catastrophe
sanitaire, parce qu'il était averti par les syndicats, par les corps professionnels
depuis plusieurs années. Donc, je le dis, je le répète, ce gouvernement, comme
les gouvernements précédents, en fermant des lits d'hôpitaux, en empêchant
l'embauche de personnels, est responsable dans l'affaire de la canicule de
"non-assistance à personnes en danger".
Et la médecine libérale qui est mise en cause en partie. Parce que
beaucoup étaient en vacances parmi les médecins.
Absolument. Mais on essaie de faire la bonne vieille recette : diviser pour mieux
régner. On essaye d'opposer les différents corps professionnels, mais c'est
tout le système de santé qui serait à revoir et je crois que les 80.000 emplois
dans la santé, qui manquent actuellement, sont finançables. Il suffirait pour ça
d'avoir l'audace de prendre sur les industries pharmaceutiques ou sur les
actionnaires des cliniques privées, vous verriez qu'on aurait largement de quoi,
sans prendre une journée de congé, de financer un nouveau système de
santé.
C'est un domaine où vous avez beaucoup de militants le monde de la
santé ?
On en a dans l'ensemble du monde du travail, y compris évidemment dans la
Santé.
Vous avez dit, et redit ces derniers temps, "qu'il est nécessaire pour
le mouvement social de trouver un débouché politique". Autrement
dit, la Ligue Communiste Révolutionnaire a l'intention de construire
un grand parti anti-capitaliste. Vous en êtes où ?
C'est notre objectif. Ce sera un travail de longue haleine. Il faudra de la
patience. C'est plus compliqué que de faire des combinaisons électorales à la
gomme. C'est vrai, mais cette passion si on la revendique volontiers, je crois
que le mouvement social qui se développe depuis plusieurs années a, à la fois
besoin d'une victoire contre la droite, mais il a effectivement besoin d'un
nouveau débouché politique à gauche.
Et là il faut poser les choses clairement. Je crois qu'on a besoin de l'union dans
l'action de toute la gauche sociale et politique pour résister à la droite. Mais
quand il s'agit de proposer politiquement, eh bien il ne faudra pas compter sur
nous pour proposer avec des gens qui, pour le parti socialiste dans les
conseils régionaux, continuent à distribuer des milliers d'euros à des groupes
industriels qui licencient quand même. Ou des gens, pour ce qui est toujours du
cas du parti socialiste, qui au parlement européen votent la libéralisation des
services publics comme la Poste ou les transports.
On a remarqué qu'hier soir les Verts avaient invité l'ensemble des
formations de gauche pour réfléchir à un programme d'alternative à
la droite. Le PS, le PC, les Chevènementistes y sont allés et pas
vous.
Oui, on nous accuse de faire le jeu de la chaise vide. Je vois ça dans
Libération ce matin mais écoutez, je crois qu'en guise de chaise c'est un bon
fauteuil qu'on nous propose. C'est un fauteuil ministériel. C'est vous dire à quel
point cette réunion est décalée puisqu'il s'agit de faire une réunion pour
préparer un éventuel futur gouvernement. Je crois que c'est décalé parce
qu'aujourd'hui on a besoin de toute la gauche sociale et politique rassemblée,
sur des questions d'urgence sociale, notamment celle des licenciements.
Donc nous, on a fait une autre proposition : on propose un tabouret à toutes
ces organisations-là pour s'asseoir autour d'une table, et discuter d'une grande
initiative sur la question des plans sociaux qui permettraient aux entreprises
aujourd'hui qui subissent de plein fouet ces plans sociaux, de pouvoir se
coordonner et arrêter de rester isolées face à un rouleau compresseur libéral.
Quel sentiment vous avez à l'égard des dirigeants socialistes ? Du
mépris, de la haine, de l'indifférence ?
Non, c'est, je dirais, une volonté de clarifier les choses. Une fois de plus avec
le parti socialiste c'est tout ou rien. Soit vous venez directement sous la
houlette du parti socialiste au gouvernement, soit on vous envoie en gros des
taloches régulièrement. Je crois qu'il suffirait simplement de comprendre que
pendant cinq ans, si vous écoutiez Lionel Jospin, on a fait que répéter à la
direction du PC et des Verts.
Vous pouvez descendre dans la rue, vous pouvez mobiliser, mais quand il
s'agira de voter mes lois, vous voterez mes lois. Ce qui prouve tout simplement
que deux orientations contradictoires ne peuvent pas coexister dans un même
gouvernement. Donc je crois qu'à gauche, il y a une orientation sociale libérale,
mais il y a aussi une orientation anti-capitaliste, et c'est aussi pour ça qu'on a
un espoir à gauche.
Et c'est pour ça que vous allez faire, que vous allez tenter en tout
cas, une alliance avec Lutte Ouvrière, le parti d'Arlette Laguiller, une
alliance, enfin des listes communes pour les élections régionales et
les élections européenne en 2004. Ils sont ouverts au dialogue les
gens de Lutte Ouvrière ? Ca se présente bien cette alliance ?
Eh bien écoutez. On vous dira ça dans les semaines qui vont venir. Nous,
notre comité central à une large majorité a décidé d'ouvrir les négociations et
de leur proposer effectivement cet accord. C'est notre congrès national qui
tranchera cette question au mois de novembre prochain, mais évidemment à la
gauche de l'ex-gauche plurielle, il n'y a que deux organisations : c'est Lutte
Ouvrière et la LCR, qui ont donc des responsabilités particulières. C'est de
rendre utile et crédible le vote anti-capitaliste.
Parce que, s'il n'y a pas cette voix-là qui se fait entendre aux prochaines
élections, pour les couches populaires, eh bien je dirais que les revendications
qui ont été défendues, aussi bien au Larzac, aussi bien au printemps dernier,
ne seront pas reprises en tous les cas par la gauche libérale d'une nouvelle
mouture, qui sera celle de l'ex-gauche plurielle.
Vous savez que les dirigeants de la droite, enfin de l'UMP, ne cachent
pas leur espoir, que vous, et d'autres, vous soyez un obstacle au
retour des socialistes au pouvoir, enfin l'équivalent comme obstacle
de ce qu'a été l'extrême droite pour cette droite.
Eh bien j'invite la droite à être prudente !
C'est-à-dire ?
Parce qu'au printemps dernier, la véritable opposition à ce gouvernement elle
était dans la rue. Il y avait évidemment tout le peuple de gauche réuni : des
militants, des sympathisants, des électeurs de toute la gauche et pas
simplement de la gauche anti-capitaliste. Eh bien nous dans cette opposition-là,
on est à l'aise dans des poissons dans l'eau. Donc le gouvernement peut
compter sur nous pour être résolus. Et c'est notre adversaire en cette rentrée.
Ensuite la comparaison avec l'extrême droite s'arrête là ! Et tous ceux qui à
droite s'amusent à comparer José Bové à Le Pen tiennent pour moi des propos
qui sont indécents.
José Bové justement. Son combat est parallèle au vôtre ? Je veux
dire distinct ? Ou bien complémentaire ?
Je crois qu'ils sont complémentaires. Il faudra qu'un jour ou l'autre cette
radicalisation sociale qui apparaît depuis plusieurs années dans le mouvement
anti-mondialisation, et en même temps la radicalisation politique qui se traduit,
entre autres, par la percée électorale de l'extrême gauche, devront peut-être
un jour se retrouver, parce que je crois qu'on devrait être condamné à
s'entendre !
Ce matin Olivier Besancenot, vous ne travaillez pas, vous ne
distribuez pas le courrier ?
C'est la journée à laquelle j'ai droit pendant ma semaine. Je travaille à 80 % à la
Poste. Ca me permet de venir discuter sur vos ondes.
Ce que vous n'auriez pas pu faire un autre jour. Vous n'auriez pas eu
l'autorisation ?
Non. Si vous voulez ouvrir une petite discussion d'un quart d'heure, je vais
vous expliquer ce que sont malheureusement les 35 heures à la Poste, et vous
verrez que le lundi et le mardi sont les journées où il y a de moins en moins de
courrier. Mais ça ne correspond pas aux besoins des usagers, simplement à
des exigences comptables.
Merci Olivier Besancenot.[/quote]