CITATION (Libération @ vendredi 29 août 2003)
Bernard Kouchner, ancien ministre :
«On ne doit pas courir après les gauchistes»
Par Renaud DELY
Hostile à l'attitude polémique adoptée par le PS sur les retraites, puis lors de la canicule, Bernard Kouchner exhorte ses camarades à « ne pas dire n'importe quoi ».
Le PS semble encore loin d'être redevenu une alternative crédible ?
Le monde où nous vivons a absolument besoin des idées sociales-démocrates, ou sociales-libérales, ou encore sociales-mondialistes, bref, d'une pensée socialiste adaptée à l'époque. Moi, je préfère la dernière étiquette, encore faut-il lui donner un contenu. La ligne du PS est encore incertaine, et sa stratégie peu lisible. Ce flottement est inévitable : nous avons perdu le pouvoir avec fracas et le monde évolue à toute allure. Nous devons inventer ou revoir utopies et projets : je suis confiant, le discours du PS se précise.
Il est encore bien brouillon...
Les heurts des idées et des hommes au sein de la gauche et à l'intérieur du PS sont non seulement inévitables, mais nécessaires et féconds, même si l'effet en est parfois désagréable. Attention à ne pas dire n'importe quoi sous prétexte que nous sommes dans l'opposition. Cela vaut pour moi aussi. Il faut rassembler les nôtres ; mais, pour devenir une alternative crédible, nous ne devons pas oublier qu'on ne gouverne pas pour un groupe de Français, mais pour tous les Français. Retrouvons la méthode de Michel Rocard et de Jacques Delors : gouverner comme si nous n'étions pas loin de l'opposition et s'opposer sans oublier que nous aurons à gouverner.
Ce que n'a pas fait le PS ni sur les retraites, ni sur la canicule...
Vous avez pris deux exemples qui reflétaient une certaine opposition de ma part. Je ne me lasserai pas d'affirmer mes convictions. Je pense qu'en politique, on doit dire la vérité. Certaines prises de position pouvaient paraître outrancièrement tactiques. Mais dans d'autres domaines, plus nombreux, j'ai approuvé mes camarades.
Le succès de Larzac 2003 et de José Bové indique la voie à suivre ?
Le Larzac pose de justes questions sur l'inégalité du développement. J'ai tenté d'y répondre, à ma mesure, depuis trente ans. Oublier cela reviendrait à se détourner des aspirations d'une jeunesse qui, pour une part, s'éloigne de nous. Les socialistes seront bientôt capables de proposer des projets romantiques, aventureux, efficaces, pour modifier un monde trop inégalitaire. Certaines réflexions des altermondialistes ou d'Attac sont très intéressantes pour qui, comme moi, a milité dans le tiers-monde. D'autres positions me paraissent également tellement antiscientifiques qu'elles s'apparentent à la « pureté dangereuse ». Il faut le leur dire, au Larzac ou ailleurs. Quant au gauchisme politique institutionnel, que je distingue des précédents en ce qu'il reste provocant, dogmatique et stérile avec des slogans qui fleurent bon le passé, il ne sert que la droite.
L'extrême gauche menace le PS ?
Oui, ce danger existe. Pour les gauchistes professionnels, il vaut mieux faire gagner la droite. Le gauchisme est une fermeture, une certitude dangereuse, un oubli pervers de la réalité. Certains disent que la droite a suscité le gauchisme comme Mitterrand avait joué avec l'extrême droite. Je ne sais pas si c'est vrai, mais il existe une similitude suffisante pour que les socialistes offrent des propositions crédibles et applicables. Nous rallierons certains de ceux qui ne protestent pas devant le démontage scandaleux du stand du PS en leur offrant des alternatives claires. On doit débattre, mais on ne doit pas courir après les gauchistes.
Vous préférez le modèle Schröder ?
Oui, toutes les expériences sont intéressantes, les Anglais, les Italiens, mais aussi les Démocrates américains : ne les négligeons pas par sectarisme. Je veux aussi apprendre des Allemands, de leur consensus imposé à la droite, et de leurs rapports avec les Verts, eux qui sont capables, non pas seulement de se quereller, mais d'évoluer. Daniel Cohn-Bendit, Joschka Fischer et leurs amis ont changé la culture pacifiste antérieure. Toutes ces expériences ont en commun une exigence : on ne peut plus faire de la politique du sommet d'un appareil, mais en impliquant en amont les gens dans les décisions.
Qu'attendez-vous de François Hollande ?
Qu'il mène la barque socialiste à travers les écueils. François a du coffre et un humour inépuisable. Il a déjà réussi à nous remettre en marche après le choc. Nous sommes tous prêts à l'aider, moi le premier. Les bonnes querelles fondent les bonnes familles. Il faut lentement trouver une ligne claire et une stratégie de gouvernement. Nous devons tous avoir envie d'amener notre fils ou notre fille au PS.
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