(le figaro @ 8 février a écrit :Au Havre, Rufenacht sous le feu d'une gauche divisée
Le maire sortant s'appuie sur un bilan reconnu. À gauche, le PS conteste la suprématie du PC.
Pour certains, Le Havre restera toujours Bouville, la ville du bout, tristement dépeinte par Jean-Paul Sartre dans La Nausée. Une ville sévère harnachée de béton armé, agressée par des flots plus ou moins menaçants. D'autres se laisseront saisir par la lumière dorée, comme lavée par le vent marin, qui s'engouffre dans les innombrables vitraux de l'église Saint-Joseph, pièce maîtresse d'Auguste Perret. Son clocher domine fièrement à 107 mètres la ville martyre rebâtie après guerre par l'architecte controversé.
Pour Antoine Rufenacht, le maire UMP, ce sont deux visages successifs de la même ville qu'une seule date sépare : 1995. Cette année-là, l'ancien secrétaire d'État de Raymond Barre et ancien président de la Région Haute-Normandie arrache, à sa quatrième tentative, le pouvoir des mains des communistes qui le détenaient depuis trois décennies.
À 67 ans, l'ancien directeur de campagne de Jacques Chirac pour la présidentielle de 2002 brigue un troisième mandat. Campé dans son vaste bureau, observant la ville derrière la baie vitrée, Antoine Rufenacht est confiant. Son charisme solide est de ceux qui résistent aux embruns. Avec une certaine gourmandise, il répète volontiers sa fierté d'avoir séduit une ville «sociologiquement à gauche». Elle y reste d'ailleurs puisque Ségolène Royal a emporté la mise à la présidentielle avec 50,3 %.
Mais avec une chute du chômage de 17,5 à 9,8 % en douze ans, le classement du centre-ville à l'Unesco en 2005, la réhabilitation des quartiers, la création d'un Musée Malraux à la pointe de l'impressionnisme, l'inauguration en 2006 de Port 2000 qui impose l'estuaire de la Seine comme un pôle majeur du trafic conteneurisé en Europe : l'énarque protestant a fait les choses en règle. Et il sait ses adversaires divisés. Une première depuis 1965, date à laquelle les communistes ont pris le flambeau des mains des socialistes.
«Union et rassemblement»
«La clef pour battre Antoine Rufenacht, c'est l'union et le rassemblement», martèle pourtant le député Daniel Paul, qui conduit la liste communiste, brandissant un sondage TNS-Sofres paru lundi dans Le Havre Libre, Le Havre Presse et Paris-Normandie, le mettant à égalité avec Antoine Rufenacht. Au premier tour, le maire sortant obtiendrait 47 % devant Daniel Paul (22 %), et le PS Laurent Logiou (19 %). L'extrême droite (le MNR Philippe Fouché Saillenfest) et l'extrême gauche (François Leroux, LCR) n'obtiendraient que 6 % et 3 % des voix.
Pour appuyer sa démarche, Daniel Paul rappelle qu'ils ont été deux députés communistes victorieux aux législatives au Havre. Président de son comité de soutien, André Duroméa, maire PC de la ville de 1971 à 1994, n'hésite pas à venir prendre ses repas à la brasserie Paillette, haut lieu de la vie sociale et culinaire locale. Le vieux lion de 92 ans est revenu rugir sur ses terres.
La gauche aux aguets
De leur côté, les socialistes, Laurent Logiou en tête avec les Verts et le PRG refusent d'être jugés responsables de la division. Le président du groupe socialiste au conseil régional avance son argument «imparable» : un nombre de voix socialistes «largement supplémentaire» aux législatives. Mais d'aucuns le disent «parachuté» de Rouen où il travaille. Pour sa part, Éric Donfu, le petit candidat à la forte notoriété, de centre gauche, ancien maire adjoint socialiste, promet qu'il pourrait bien jouer à l'arbitre dans ce match qui s'annonce serré. «Vous verrez, dit celui qui porte ostensiblement l'écharpe orange à l'attention des sympathisants du MoDem, qui hésitent à soutenir Antoine Rufenacht, nous seront bien au-delà des 3 % dont nous sommes crédités.»
Au Havre, la gauche est aux aguets. «On est dans une époque de fin de règne», croit savoir Laurent Logiou, qui rêve d'un «nouveau souffle» et d'un «axe socialiste» entre Paris, Rouen et Le Havre. Le 1er février, il était d'ailleurs au meeting de Valérie Fourneyron, candidate PS de Rouen, en présence de Bertrand Delanoë, son homologue parisien. Communistes et socialistes dénoncent des taux de chômage à 30 % dans certains quartiers, une baisse de la population de 10 000 habitants en dix ans, un vieillissement des habitants plus important que la moyenne nationale et, surtout, un accès au soin fragilisé. L'hôpital public, dont le conseil d'administration est présidé par le maire, accuse un déficit de 23 millions d'euros et s'apprête à supprimer 475 postes.
En vieux routier de la politique, Antoine Rufenacht, qui présente une liste rajeunie et renouvelée, ne s'en laisse pas compter. Et tient à préciser, à l'attention de tous, que sa succession «n'est pas ouverte». Devant lui s'allonge la rue de Paris. Après, c'est la mer. Et c'est là, devant elle, rappelle le candidat à sa propre succession, que Claude Monet a peint Impression, soleil levant.