CITATION Les militants des trois partis trotskistes ne sont pas les seuls à prôner un durcissement du mouvement
G. A., D. D., E. F. et M.-E. P.
[06 juin 2003]
«Il n'est pas étonnant que, dans un pays où l'extrême gauche a obtenu plus de 10% au premier tour de la présidentielle de 2002, on soit confronté à un mouvement social dur», confiait Alain Juppé il y a quelques jours, dénonçant «une entreprise de déstabilisation» menée par l'extrême gauche dans l'éducation nationale. L'activisme avéré de militants trotskistes et anarchistes peut-il à lui seul expliquer la subsistance de «poches» jusqu'au-boutistes et les débordements ? Pas si simple.
Depuis le début des manifestations contre le projet de loi Fillon, les trois partis trotskistes – la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Lutte ouvrière (LO) et le Parti des travailleurs (PT) – multiplient les appels à la «grève générale». Les cortèges des anarchistes de la CNT qui relaient le même slogan sont toujours fournis dans les manifestations parisiennes. Les conditions de la naissance des syndicats SUD (regroupés dans le Groupe des dix solidaires), issus de la sortie de la CFDT de militants de la LCR, expliquent que ces organisations aient été les premières à prôner officiellement la «grève reconductible interprofessionnelle». Expression que l'on retrouve régulièrement dans la bouche des responsables de Force ouvrière, où le Parti des travailleurs est bien implanté. Si le secrétaire général de la CGT Bernard Thibault, qui se garde bien de reprendre de tels appels, doit faire face à la virulence de son opposition interne, mélange de communistes orthodoxes et de trotskistes du PT, c'est plus généralement à une radicalisation d'adhérents de base que le numéro un cégétiste doit faire face.
L'exemple de Pau est édifiant. Dans cette ville où l'extrême gauche est très peu présente, le siège du Medef local a été saccagé hier en marge d'une manifestation intersyndicale. Alors que 1 500 personnes passaient à proximité du local patronal, quelque 300 manifestants de toutes obédiences syndicales se sont, selon des témoignages concordants recueillis par Le Figaro, détachés «de manière improvisée» du cortège, ont brisé la porte vitrée et renversé du matériel de bureaux. Le Medef a porté plainte et les responsables syndicaux, manifestement débordés par leur base, ont jugé la casse «regrettable», mais ont évité de la condamner estimant que «c'est le résultat d'une situation bloquée».
Hier, plusieurs opérations «coups de poing» ont également eu lieu dans le secteur des transports, à la gare de Lyon, à Brétigny-sur-Orge, à Juvisy (bloquant la ligne C du RER), au Mans, à Cannes ou encore à Nice, menées à chaque fois par une centaine de cheminots. Les syndicats CGT et FO ne s'étonnaient guère de ces blocages ciblés qu'ils expliquent par la lassitude des manifestants. Mais des nuances existent entre centrales sur le jugement à porter sur ces opérations. Rémi Aufrère, secrétaire fédéral FO-Cheminots «ne peut pas déplorer la radicalisation puisque le gouvernement joue la carte du pourrissement». Tandis que, à la CGT, Grégory Roux redoute tout de même «que certaines stratégies syndicales cherchent à dévoyer le mouvement» sans aller pour autant jusqu'à condamner ces actions.
Seine-Saint-Denis, Toulouse, Marseille, Le Havre, la Loire-Atlantique... Les points durs de la contestation enseignante correspondent aux départements dans lesquels se trouvent les militants radicaux et minoritaires de SUD-éducation, FO ou la CNT. Mais c'est la FSU, le syndicat majoritaire classé à gauche et implanté à peu près partout en France, qui conserve un rôle central dans la poursuite des grèves.
Surtout implanté dans la région parisienne, SUD-éducation se développe aussi de plus en plus dans le Nord et le Sud-Ouest. Ces traditionnelles «terres de gauche» ont en effet toujours été «très combatives» lors des mouvements sociaux, tandis que les départements les plus défavorisés, comme la Seine-Saint-Denis, alliant difficultés socio-économiques et zones d'éducations prioritaires, engrangent également beaucoup de militants radicaux, explique Jean-Michel Denis, sociologue spécialiste des organisations syndicales. Et, en dépit de son poids minoritaire, les banderoles de SUD-éducation flottent en nombre dans les cortèges actuels. «Combatif et contestataire, ce mouvement profite davantage des mouvements sociaux que les centrales syndicales traditionnelles pour recruter pêle-mêle les déçus du SGEN-CFDT ou les non-syndiqués», ajoute-t-il.
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