a écrit :
La campagne de Lutte ouvrière
La campagne de Lutte ouvrière s'est donc terminée par un score électoral particulièrement décevant, passant de 1 630 045 voix en 2002 à 486 495 voix en 2007.
Certes, un score électoral ne préjuge guère de la campagne qui a été menée. C'est particulièrement vrai pour des organisations comme les nôtres, surtout lorsqu'elles sont confrontées à une pression considérable en faveur du vote utile. Dans un passé proche, le succès de la campagne commune LCR-LO en 2004, visible au niveau de l'affluence dans les meetings comme dans l'écho rencontré par nos propositions, notamment celles sur l'arrêt des subventions aux entreprises et le contrôle des comptes, n'a pas empêché un score médiocre, tant l'envie de faire barrage à la droite était important.
Pourtant, force est de constater que cette pression, cette fois, ne s'est pas exercée de manière égale sur tout le monde. L'écart entre la LCR et LO est significatif, comme l'est également la progression de la LCR, sinon en pourcentage, du moins en nombre de voix (1 494 446 voix en 2007 au lieu de 1 210 562 voix en 2002), malgré les handicaps qui étaient les mêmes que pour LO.
Autre indice : le nombre de participants aux meetings d'Arlette Laguiller a souvent été divisé par deux voir davantage, alors que l'affluence aux meetings d'Olivier Besancenot a évolué dans les mêmes proportions, mais en sens inverse.
Manifestement, et cela s'est ressenti de bien des façons, la campagne de LO n'a pas suscité beaucoup de réactions -même si le capital de sympathie pour Arlette est resté très important- provoquant au mieux une écoute polie, comme si il était devenu manifeste qu'au-delà d'une dénonciation du capitalisme, il n'y avait guère de réponse et surtout de perspective à offrir à celles et ceux qui attendent quelque chose de l'extrême gauche.
Il n'y a pas lieu de s'en réjouir. L'addition de nos voix comme la nécessité de défendre ensemble un programme pour les luttes s'imposent comme une évidence. Mais le pire pour les camarades de LO serait de minimiser ce qui s'est passé, et d'en rester à quelques explications circonstancielles ou anecdotiques, sur la situation -qui est pourtant la même pour tous- ou sur l'âge de la candidate. La jeunesse de Besancenot ou sa bonne bouille n'épuisent pas les raisons d'un succès ; choisir une candidate plus jeune la prochaine fois pour représenter LO ne changera pas forcément grand chose à l'affaire. Ce serait d'ailleurs mépriser nos électorats que d'en rester là.
Ce n'est pas seulement une campagne mais une orientation politique qui a révélé ses limites le soir du 22 avril. En 2002, Lutte ouvrière ne s'était pas contentée d'appeler à voter blanc contre Le Pen et Chirac. Elle en avait fait le geste politique décisif, s'en prenant même aux électeurs de gauche accusés de se "prostituer". En 2007 le choix a été à l'inverse de se prononcer clairement en faveur de Ségolène Royal "par solidarité avec tous ceux qui, dans les classes populaires, déclarent préférer tout sauf Sarkozy" (déclaration le soir du 1er tour le 22 avril). Le retournement est spectaculaire, presque caricatural. Il montre une réelle difficulté à construire une orientation cohérente dans la durée.
La campagne de 2007 ne s'est pas été seulement traduite par un recul, elle a mis en lumière le désarroi d'une direction qui ne cesse désormais d'hésiter entre plusieurs politiques contradictoires, tout en s'enfonçant dans le déni au nom d'une prétendue pureté révolutionnaire.
Pendant longtemps, Lutte ouvrière a voulu apparaître comme une organisation intransigeante face à la LCR. La réalité est devenue bien plus complexe, parce que la situation elle-même exige bien d'autres raisonnements. LO comme la LCR sont confrontées aujourd'hui aux défis d'une période nouvelle où il faut tout à la fois assumer les tâches d'un parti et le construire, rassembler largement et garder le cap d'un projet révolutionnaire… La quadrature du cercle, peut- être, pour laquelle personne n'a de réponse miraculeuse. Il n'empêche : les hésitations d'une campagne comme les incohérences d'une stratégie montrent que quelque chose de sérieux coince dans la politique de Lutte ouvrière, et qu'il n'est plus possible -sauf à se scléroser davantage- d'évacuer entièrement ces questions. Des questions qui bousculent il est vrai toute l'extrême gauche, LCR incluse, preuve s'il en est qu'il y aurait bien besoin dans la période à venir de renouer le fil du débat entre militants révolutionnaires.
Les hésitations d'une campagne parfois ambiguë et contradictoire
Il nous faut d'abord revenir sur la campagne et constater à quel point LO a semblé hésiter entre deux orientations plutôt contradictoires.
A la télévision, dans les meetings ou dans la profession de foi, l'orientation défendue est restée sur le fond intransigeante face à la droite et au patronat, tout en étant sans concession pour Ségolène Royal, avec au cœur du raisonnement la question des luttes et du contrôle par les travailleurs.
C'est bien le camp des travailleurs qu'a voulu incarner la candidature d'Arlette Laguiller : " Au premier tour, il faut avertir Ségolène Royal que, si elle est élue, elle n'a pas un chèque en blanc et que les travailleurs, les classes populaires, ne la laisseraient pas mener la politique de la droite sans réagir. En votant pour ma candidature, vous voterez pour que, face au camp patronal représenté aussi bien par les principaux candidats de la droite que par la candidate de la gauche, s'affirme le camp des travailleurs ! " (extrait du dernier meeting à Nantes le 19 avril).
Pourtant cette campagne a connu en même temps une certaine inflexion, notamment à l'occasion de la publication d'un quatre pages intitulé " Un programme de défense des travailleurs " diffusé très largement. Le propos est pour le moins ambiguë : " Je ne discute pas de ce que devraient faire Nicolas Sarkozy, François Bayrou ou Le Pen car ils ne prétendent même pas améliorer le niveau de vie des classes populaires. Ce que j'expose donc ici, c'est ce que devraient être les premières mesures d'une présidence et d'un gouvernement vraiment socialistes ".
Il est évidemment juste de s'adresser à des électeurs préoccupés de savoir si le programme des révolutionnaires est uniquement destiné aux lendemains qui chantent ou si il est possible d'améliorer immédiatement le sort des classes populaires, et si l'argent existe (c'est l'objectif de ce quatre pages de chiffrer certaines des mesures proposées). Mais c'est autre chose de laisser croire que ces mesures pourraient être prises simplement par une " présidence représentant réellement la population ", ou une gauche " vraiment socialiste " (100 % socialiste ? Ou 100 % à gauche ?), en somme un gouvernement honnête qui ferait de bonnes lois, sans préciser quel Etat serait susceptible de prendre ces mesures, dans quel rapport de force, avec quelles luttes, et surtout quelles serait la place des travailleurs et de leur intervention dans ce processus. La question du contrôle par la classe ouvrière et la population, réellement mobilisée et organisée, a été ici complètement évacuée.
De manière paradoxale, la campagne d'Arlette Laguiller s'est voulue, depuis l'annonce de sa candidature au lendemain du 29 mai 2005, en démarcation totale avec les confusions entretenues autour du projet de " candidatures unitaires antilibérales ". Or il y a justement dans ces formulations de LO bien des confusions qui sont celles du discours antilibéral.
LO est même allé assez loin dans ce sens, comme le montrent certaines affiches de la campagne : " La droite arrogante aide le patronat. La gauche molle le respecte. Pour chasser la droite mais vous faire obéir de la gauche, votez Arlette Laguiller ". Ou encore : " La droite est plus qu'arrogante envers les travailleurs et la gauche est trop faible avec le patronat. Imposez à la gauche d'agir vraiment sur le chômage, le logement, le pouvoir d'achat en votant Arlette Laguiller ".
Le bulletin de vote ne peut évidemment pas changer le rapport de force et obliger le Parti socialiste à faire une autre politique que la sienne, c'est à dire celle qu'exige le patronat ! C'est pourtant ce qu'ont voulu faire croire Marie-George Buffet et José Bové, mais également de manière plus surprenante… Arlette Laguiller, même si c'est en contradiction avec le reste de sa politique.
Voter Arlette Laguiller, pour quoi faire ?
On ne peut évidemment que s'interroger sur ses motivations, bien que ce ne soit pas la première fois que LO dénonce chez d'autres un opportunisme qu'elle pratique elle même à l'occasion (1).
A l'évidence, l'isolement de Lutte ouvrière lui pèse, d'où ses zigzag parfois surprenants, même si face à la LCR elle semble revendiquer le fait d'être bien seule : " L'ironie sinon de l'histoire, du moins de nos histoires parallèles avec la LCR, c'est que la LCR finit par se retrouver dans la même situation que nous, aussi isolée par rapport à ces courants [antilibéraux], et qu'elle a été amenée à faire sous la pression des circonstances ce que nous avons choisi de faire par choix conscient " (LDC n°103, mars 2007, page 4).
Peu importe ici si l'appréciation sur la LCR est juste, ou juste caricaturale : de toute façon la question reste posée de savoir si il est possible pour l'extrême gauche de gagner désormais une autre influence sur la base du petit crédit électoral qui est le sien depuis 1995. Or faire la démonstration de son isolement et le revendiquer comme un acquis n'a évidemment rien de convaincant, et ne plaide guère en faveur de LO.
A quoi ont servi les 5 % d'Arlette Laguiller et qu'en a fait Lutte ouvrière depuis 10 ans ? Certes bien peu de gens, au-delà des cercles militants, lui reprochent sans doute clairement et explicitement de ne pas avoir réussi à faire le parti, un projet qui était pourtant le sien en 1995, du moins en apparence. Mais beaucoup sentent tout de même confusément qu'il y a un problème, qu'ils expriment à leur manière, en disant que "c'est toujours la même chose", ce que vient confirmer à sa manière également Lutte ouvrière, lorsqu'elle prétend qu'Arlette serait "la seule" à être "sincèrement dans le camp des travailleurs".
Pour LO, un succès ne sera jamais suffisant pour faire autre chose que recommencer la même campagne, un peu plus tard, et s'abstenir de la moindre initiative entre temps, en se contentant de reprocher aux autres leurs inconséquences ou leurs insuffisances. Mais dans ce cas, à quoi cela sert-il de donner plus de voix, et plus de forces à Lutte ouvrière, si elle-même n'a pas grand chose à proposer ?
La LCR depuis 2002 n'a sans doute pas beaucoup mieux réussi à se dépasser elle même, sinon à prendre le risque de dériver sérieusement autour des candidatures unitaires. Mais elle a su incarner à sa façon un "vote utile" à l'extrême gauche, en essayant à chaque fois de faire face à la situation nouvelle et à ses responsabilités, même si les réponses n'ont pas toujours été à la hauteur.
La nécessité d'une véritable mue pour l'extrême gauche
La décennie qui s'achève a été celle d'une période d'hésitation et de transition, pour la LCR comme pour Lutte ouvrière. Les difficultés sont réelles, mais elles n'auront rien d'infructueux si nous savons tirer les leçons jusqu'au bout.
La LCR est en train de faire une nouvelle fois l'expérience que l'ancienne politique de ralliement à des forces réformistes, soi disant plus à gauche mais le plus souvent inconsistantes, ne sert à rien. Défendre un programme pour les luttes, un programme de rupture avec les institutions de la bourgeoisie, et défendre son propre drapeau n'est pas utopique.
Lutte ouvrière fait de son côté l'expérience d'un échec. Son incapacité à comprendre les enjeux de la période, à se dépasser elle même, ou simplement à s'ouvrir aux préoccupations des jeunes, des travailleurs, et pas seulement des "petits bourgeois", qui sont en rupture avec les partis de la gauche de gouvernement, est d'abord un signe d'impuissance, et non la preuve d'une grande fermeté révolutionnaire.
La nouvelle étape qui commence devrait donner à l'extrême gauche une responsabilité plus grande face aux politiques patronales, de gauche ou de droite. Il nous faudra assumer notre rôle d'aile marchante de la résistance sociale et politique, et être à l'initiative, parce que nous serons confrontés chaque jour un peu plus à l'inertie des directions syndicales, à leur politique d'accompagnement et de "diagnostic partagé".
Plus que jamais, nous aurons besoin de combiner une politique de rassemblement dans les luttes, de débat permanent avec toutes celles et ceux qui veulent s'opposer aux politiques patronales -quelque soit le gouvernement qui les mène- et de construction d'un parti qui rassemble largement au-delà des petites organisations d'extrême gauche, encore marquées par leur marginalité passée, mais sans transiger non plus sur les questions fondamentales, notamment celles de l'Etat et de nos rapports aux institutions.
La transition qui s'achève a montré la nécessité pour cette extrême gauche d'opérer une véritable mue et de se dépasser elle même. Lutte ouvrière, avec son expérience propre, vient d'en faire les frais, à ses dépends. Ce n'est pas le plus important ni le plus grave, si c'est l'occasion enfin pour ces camarades, de rompre avec une décennie d'hésitation, de silence, et finalement de paralysie.
Jean-François Cabral
1- Pour ne prendre que quelques exemples, Arlette Laguiller n'a pas hésité en 1999 à figurer en tête d'une manifestation "pour l'emploi" (et non contre les licenciements), avec Robert Hue, au moment où ce parti au gouvernement entérinait la deuxième loi Aubry sur le temps de travail. Pourtant, en 1996, LO avait boycotté la manifestation initiée par les cinéastes contre la double peine en 1996 sous prétexte que la gauche alors dans l'opposition ne ferait pas mieux une fois au pouvoir. Mais pourquoi boycotter si c'est ensuite pour se retrouver aux côtés de Robert Hue lorsque son parti est au gouvernement ? Rappelons également que juste avant la manifestation des cinéastes, au printemps 1996, Arlette Laguiller s'était adressée à plusieurs reprises à Robert Hue en se disant prête à appeler à voter pour le PCF lors des prochaines législatives, si celui-ci reprenait les mesures essentielles de son programme d'urgence… Le grand écart est manifeste.