Suicides chez Renault

Message par Sterd » 01 Fév 2007, 16:51

("Le Monde" a écrit :Le deuil au coeur de Renault
LE MONDE | 01.02.07 | 16h11  •  Mis à jour le 01.02.07 | 16h11

Le technocentre de Renault est en état de choc. Le plus gros site du constructeur, situé à Guyancourt (Yvelines), où travaillent plus de 12 000 salariés, a été le théâtre lundi 22 janvier du suicide d'un technicien. Le corps de cet homme âgé de 44 ans, qui travaillait sur la documentation technique de la nouvelle Twingo, a été retrouvé sans vie dans l'un des plans d'eau artificiels qui jouxtent le site.

Le technocentre est une petite ville à lui tout seul, où la plupart des Renault sont conçues, dessinées et développées. Ce concentré de matière grise essentiellement composé d'ingénieurs et de techniciens est en proie à un profond malaise, car le suicide du 22 janvier est le dernier en date d'une série malheureuse. En deux ans, quatre tentatives ont eu lieu sur ce site, dont trois ont abouti à la mort du salarié.

Le précédent suicide, le 20 octobre 2006, s'était déroulé dans des circonstances particulièrement dramatiques. Un ingénieur de 39 ans, qui travaillait sur le projet Logan, s'était jeté de cinq étages du bâtiment principal, "la ruche", appelé ainsi parce que c'est là que sont regroupés les bureaux d'études qui travaillent sur les nouveaux véhicules. Le suicide a eu lieu en pleine matinée devant plusieurs dizaines de témoins.

Face à l'émoi du personnel, la direction a décidé d'organiser une journée de formation sous la responsabilité de l'Institut français d'action contre le stress. Son but : faire en sorte que les situations de détresse soient mieux identifiées afin d'éviter le pire. Cette journée s'est déroulée le 23 janvier. Hasard du calendrier, le lendemain on découvrait le corps du technicien, qui s'était donné la mort deux jours avant.

Cette série noire a provoqué un sursaut inédit. Mardi 30 janvier, 600 à 800 salariés du technocentre ont défilé en cortège jusqu'au lieu du suicide avant d'observer une minute de silence.

Dans le cas de Renault, comme dans toutes les entreprises où se déroulent de tels drames, il est extrêmement difficile de faire le lien entre le passage à l'acte et l'environnement de travail. Mais les spécialistes de la question sont unanimes : se suicider sur son lieu de travail n'est pas un choix anodin et revêt une signification particulière.

Le phénomène est rare. On estime qu'en France, chaque année, entre 300 et 400 salariés se suicident sur leur lieu de travail. Le chiffre reste toutefois à prendre avec précaution. Il s'agit d'une estimation tirée de l'une des seules enquêtes existant sur le sujet, qui avait été réalisée en 2003 par l'inspection médicale de la Basse-Normandie.

Au-delà de l'émotion, un débat est en train de s'amorcer chez Renault pour déterminer les causes de la situation. "Tout le monde est interpellé, reconnaît Antoine Lepinter, directeur des ressources humaines du technocentre. La question de fond est de savoir ce que l'on aurait pu faire et pourquoi nous n'avons pas identifié que ces personnes étaient en souffrance." La direction s'empresse toutefois de couper court à tout amalgame entre les différents suicides, qui seraient "chacun des cas d'espèce", et dénonce les raccourcis, qui consisteraient à lier ces morts avec l'environnement de travail.

Chez les syndicats, une véritable ligne de fracture s'est dessinée. La CFDT et la CFE-CGC se gardent bien d'établir un lien avec l'ambiance de travail. La CGT et SUD campent au contraire sur des positions beaucoup plus radicales. "Il s'agit de la partie visible de l'iceberg. Les manifestations du mal être au travail sont multiples : crises de larmes suite aux entretiens annuels, troubles du sommeil, dépressions, prise de calmants", affirme Pierre Nicolas, délégué CGT.

"Chez Renault, on n'évalue pas le travail, on juge les personnes. Les salariés sont mis sous pression. Il ne s'agit pas seulement de charge de travail, mais aussi de charge mentale", estime Philippe Noël, délégué central CGT, ajoutant que "le contrat 2009 (les objectifs fixés en février 2006 à l'entreprise par Carlos Ghosn, le PDG de Renault), au travers de la pression qu'il produit sur ses salariés, fragilise les repères sociaux de l'entreprise, les solidarités, le dialogue, ce qui tend à générer de l'isolement, de la peur et du désespoir." La charge est lourde et, bien sûr, pas exempte de tout calcul politique. Mais le phénomène est suffisamment grave pour qu'aucune question ne soit occultée.

La CGT met également l'accent sur l'évolution ces dernières années du profil des salariés de Renault. Le nombre d'ingénieurs a ainsi fortement augmenté pour atteindre au technocentre le chiffre de 4 000. "Le problème, c'est qu'il y a de moins en moins de perspective d'évolution, car les postes de responsabilité n'ont pas augmenté dans les mêmes proportions, cela a créé une compétition féroce et beaucoup de frustration, souligne M. Nicolas. A côté, vous avez des techniciens, plutôt âgés, qui ont l'expérience pour eux, mais qui ont moins de facilités pour se "vendre" lors des entretiens individuels. Même s'ils bossent les week-ends et tard le soir, il y a peu de chances qu'ils accèdent à l'échelon supérieur. En termes d'estime de soi, cela peut avoir des effets dévastateurs."

La direction reproche à SUD et à la CGT de créer un "climat anxiogène" et appelle chacun à faire preuve de responsabilité. "Nous sommes dans une spirale dans laquelle les gens se censurent, rétorque Christophe Delaine, délégué SUD. Il est temps qu'ils communiquent sur leur détresse. Nous souhaitons simplement que cela ne se reproduise plus."

"Nous travaillons depuis longtemps sur les politiques de santé dans l'entreprise", répond M. Lepinter. Renault a ainsi mis en place depuis 1998 un observatoire du stress. Les données sont fournies par les médecins du travail, qui recueillent les déclarations des salariés lors de leur visite médicale annuelle. "Nous n'avons pas enregistré ces derniers mois une détérioration des indicateurs", observe le DRH, qui insiste sur la faiblesse du turnover constaté à Guyancourt. Celui-ci n'excède pas 1,5 % sur les quatre dernières années.

Plusieurs enquêtes en cours sont chargées d'élucider les causes précises du suicide du mois d'octobre 2006. Lors d'un comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) extraordinaire, l'inspectrice du travail chargée de l'affaire avait souligné qu'il existait en l'espèce un ensemble d'éléments d'ordre personnel et professionnel imbriqués et que le rôle de l'enquête en cours consistait à déterminer le lien direct et indirect avec l'activité professionnelle et son degré. Elle devrait rendre ses conclusions d'ici trois mois. L'enjeu n'est pas mince car, sur le plan légal, l'employeur a une responsabilité pénale vis-à-vis de la santé physique et mentale de ses salariés. Apporter la preuve d'un lien entre les conditions de travail et le passage à l'acte reste difficile, même si un arrêt de la Cour de cassation de juin 2006 a confirmé le fait qu'un employeur ne peut pas se soustraire à ses responsabilités à partir du moment où il a connaissance du risque.

La Caisse nationale d'assurance-maladie, elle, a rendu ses conclusions sur cette affaire, le 17 janvier, en rejetant clairement la qualification du suicide d'octobre comme accident du travail. Une enquête de police est également en cours. La CGT et SUD ont demandé en comité d'hygiène et de sécurité qu'une enquête soit confiée à un expert indépendant, mais ont été mis en minorité par la CFDT et la CFE-CGC. Un nouveau CHSCT extraordinaire est convoqué vendredi 2 février pour, cette fois, aborder les circonstances du suicide du 22 janvier. L'occasion de procéder à un arrêt sur image sur un phénomène récent, qui laisse encore trop souvent désarmés les partenaires sociaux.

Stéphane Lauer
Sterd
 
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Message par Louis » 01 Fév 2007, 23:30

-- fusion des deux sujets --

Ce qui me semble le plus significatif, c'est l'entretien avec Christoohe Dejours psychiatre et professeur au CNAM

a écrit :Christophe Dejours, psychiatre, professeur au CNAM
"Des salariés de plus en plus seuls"
LE MONDE | 01.02.07 | 16h11 
 
Les cas de suicide au travail sont-ils fréquents ?

Jusqu'à une période récente il n'y avait pas de suicides sur le lieu de travail. Le phénomène est longtemps resté cantonné au monde agricole, au moment où l'exode rural a entraîné une crise effroyable. Il s'agissait de cas particuliers dans la mesure où lieu de travail et habitation étaient souvent confondus. Dans les entreprises, les premiers cas ne remontent qu'à une dizaine d'années et deviennent de plus en plus fréquents depuis cinq ou six ans.

Comment expliquer cette évolution ?

Il s'agit de l'aboutissement d'une dégradation profonde du "vivre ensemble". Le tissu social, qui a toujours structuré le monde du travail au travers de phénomènes d'entraide, est en train d'être liquidé. Le fait que quelqu'un souffre, soit harcelé, a toujours existé. Ce qui change, c'est que les salariés sont de plus en plus seuls pour affronter l'arbitraire et la souffrance qui en découle. Avant quand on voyait quelqu'un déprimer, on ne le laissait pas s'enfoncer. La solidarité permettait de surmonter les injustices, la difficulté au travail. C'est de moins en moins le cas.

D'où vient ce délitement du lien social ?

Des nouvelles formes d'organisation du travail, avec notamment l'instauration systématique de l'évaluation individuelle. Le problème, c'est qu'on n'évalue pas le travail, mais le résultat de ce travail. A partir de là, les méthodes d'évaluation sont des sources inimaginables d'injustice. L'individualisation des postes conduit à mettre en concurrence tout le monde avec tout le monde. Dès lors, des stratégies individuelles se mettent en place au détriment des solidarités.

Comment met-on en évidence ces mécanismes ?

Avec difficulté. Face au suicide, on se heurte à un mur du silence. De la part de la direction, mais aussi des syndicats et des collègues. On n'arrive pas à en parler parce que cela débouche sur une crise d'angoisse, l'entourage ressent une culpabilité et préfère se taire. C'est la pire des choses. S'il n'y a pas d'enquête pour essayer de comprendre la mort d'une personne, qu'on lave le sang et qu'on recommence à bosser sans se poser certaines questions, la confiance, l'estime entre les gens se délite encore un peu plus. Je jette un cri d'alarme, parce que la tendance à laquelle nous assistons est extrêmement grave.

Comment peut-on mener à bien des études sur le sujet afin de mieux l'appréhender ?

En s'appuyant sur des traces laissées par les victimes, un mot, un journal, qui désigne ceux qui sont considérés comme les coupables.
a écrit :Le suicide est une signature. Le lieu où il est commis est forcément significatif et s'adresse à quelqu'un.

Propos recueillis par Stéphane Lauer
Louis
 
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Message par com_71 » 02 Fév 2007, 09:03

(lutte ouvrière 2 2 2007 a écrit :Renault Technocentre Guyancourt (Yvelines) Après la mort d’un travailleur, indignation et émotion

Un salarié du Technocentre Renault à Guyancourt s’est donné la mort le 24 janvier au travail. Il avait 44 ans. C’est le quatrième suicide en deux ans et demi dans cette entreprise. Certains salariés se trouvent dans des situations personnelles difficiles, mais qui sont aggravées par la pression et le stress au travail.

Tous les travailleurs du Centre ont été très touchés par ce drame. Mardi 30 janvier, le rassemblement organisé par la CGT et SUD a réuni plus de 500 travailleurs, très émus, qui souhaitaient ainsi rendre un hommage à leur collègue. Beaucoup parmi nous discutaient aussi des conditions de travail qui se dégradent, du «Contrat 2009» mis en avant par le PDG de Renault, Carlos Ghosn. Il est sûr que la pression sur les salariés a augmenté, pour obtenir toujours plus d’économies. Dans tous les services, il faut faire plus avec moins d’effectifs. Et la fatigue et le stress augmentent pour tout le monde.

La direction a fait dire par ses chefs que le Technocentre est comme une petite ville de 12 000 personnes, et que le nombre de suicides rentre dans la moyenne des statistiques. Elle a même osé demander à l’encadrement de vérifier si tout le monde revenait bien après les vingt minutes de pause consacrées au rassemblement! Cette attitude et ce commentaire ont choqué encore plus tous les travailleurs, qui ont voulu prouver par ce rassemblement leur indignation et leur émotion.

Correspondant LO
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Louis » 02 Fév 2007, 13:47

En dehors de l'émotion (parfaitement compréhensible) qui touche les collégues de travail des victimes, ce que cela montre, c'est une violence au travail absolument terrifiante, ainsi que le coté destructeur de l'individualisation des travailleurs.
Louis
 
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