Siégant dans une salle située à proximité du bâtiment abritant les services du Premier ministre à Kigali, la commission - composée notamment d'historiens et de juristes - a entendu les premiers des 25 témoins qu'elle doit auditionner jusqu'au 31 octobre.
Avant le génocide, "la France a mené une campagne de dénigrement et de diabolisation du Front patriotique rwandais (FPR) et de ses dirigeants", a lancé devant la commission le premier témoin, Jacques Bihozagara, un des fondateurs de la rébellion majoritairement tutsie du FPR, aujourd'hui au pouvoir, et qui fut après le génocide notamment ambassadeur du Rwanda en France.
Selon lui, les autorités françaises de l'époque pensaient qu'"un pays francophone (le Rwanda) était attaqué par un pays anglophone" (NDLR: l'Ouganda où le FPR avait ses bases arrière) et ont estimé "qu'il fallait voler au secours de la francophonie".
S'exprimant pendant trois heures devant une assistance nombreuse composée de curieux, de défenseurs des droits de l'Homme et de quelques diplomates, M. Bihozagara a également repris la position du gouvernement rwandais sur le rôle présumé de Paris pendant le génocide, en mettant en cause le but officiel de l'opération militaro-humanitaire Turquoise, déclenchée par la France avec le feu vert de l'ONU.
Cette opération avait duré deux mois, de fin juin à fin août 1994. Selon les Français, elle a permis de sauver de nombreuses vies alors que la communauté internationale restait passive devant le génocide.
"Leur opération Turquoise ne visait qu'à protéger les génocidaires parce que le génocide s'est poursuivi dans la zone Turquoise", a affirmé l'ancien ambassadeur, qui s'exprimait en kinyarwanda et dont les déclarations étaient retransmises en direct par une radio de la capitale rwandaise.
Après le génocide, "la France n'a pas exprimé de remords, elle a prêché l'existence d'un double génocide" des Hutus et des Tutsis au Rwanda, a encore accusé M. Bihozagara, selon qui Paris "a continué de protéger des suspects de génocide".
Pour la première journée d'auditions, quatre personnalités devaient témoigner devant la commission, dont Augustin Iyamulemye, aujourd'hui sénateur et ancien haut responsable des services de renseignement rwandais en 1993-1994.
La commission d'enquête, qui a entamé ses travaux en avril, est officiellement "chargée de rassembler les preuves de l'implication de la France dans le génocide", qui a fait, selon l'ONU, environ 800.000 morts parmi la minorité tutsie et les Hutus modérés.
A l'issue des auditions publiques qui ont été précédées d'"enquêtes préliminaires", la commission doit rendre ses conclusions dans les six mois.
"Le rapport déterminera s'il faut ou non engager une procédure judiciaire devant la Cour internationale de justice" (CIJ), a précisé le président de la commission, Jean de Dieu Mucyo.
La CIJ, qui siège à La Haye, juge les différends entre les Etats. Ses arrêts sont définitifs et sans appel, mais la Cour n'a aucun moyen de les faire appliquer.
Depuis 1994, le FPR a constamment reproché à la France son attitude avant et pendant le génocide, dont le déclenchement avait suivi l'attentat contre l'avion du président de l'époque, Juvénal Habyarimana, fidèle allié de Paris.
Des soldats français à Kayove, près de Gisenyie au Rwanda, le 27 juin 1994
(en plein genocide).
