Polémique
Sous le voile islamique, l'oppression des femmes
Hanifa Chérifi ne se résout pas à la dénonciation des élèves voilées, qu'elle considère comme victimes d'une idéologie conservatrice distillée par les courants fondamentalistes.
De culture arabo-berbère, Hanifa Chérifi a cosigné avec Roger Fauroux Nous sommes tous des immigrés (1). L'auteure dénonce les militants islamistes à la pointe du combat pour le port du voile dans la sphère publique. Elle est, par ailleurs, chargée de mission et médiatrice au ministère de l'Éducation nationale.
Constatez-vous une recrudescence du voile islamique à l'école depuis sa première apparition sur la scène médiatique, en 1989 ?
Hanifa Chérifi. En 1994, lors de ma nomination à la médiation nationale, j'avais suivi près de 300 conflits. Ce chiffre - récurrent - est retombé à 150 par an. C'est le résultat d'une meilleure maîtrise du phénomène par l'institution scolaire, qui observe, comprend et anticipe davantage le problème qu'au moment de son irruption. Ceci dit, dans l'environnement social, le port du voile islamique a augmenté.
Quelles sont vos impressions sur les élèves qui portent le voile, que vous côtoyez depuis maintenant près de dix ans ? Dans votre livre vous dites qu'elles entretiennent un rapport inconditionnel à la religion...
Hanifa Chérifi. J'ai eu en face de moi des jeunes filles sûres d'elles et nullement désorientées. Elles connaissent parfaitement les aspects juridiques de la question et récitent par cour l'avis du Conseil d'État, ignoré par de nombreux professeurs. Impressionnée par leur assurance, j'ai voulu en savoir plus. J'ai ainsi découvert l'existence d'un véritable réseau de soutien à ces élèves, composé de juristes, d'avocats, d'étudiants, de prédicateurs organisés dans des associations islamistes connues, telles que l'UOIF, qui a tenu, le week-end de Pâques, son vingtième rassemblement annuel au Bourget. Les jeunes filles voilées sont entourées de ces militants intégristes, fondamentalistes, qui leur prodiguent des conseils juridiques et un argumentaire global pour affronter le corps enseignant. Le président de l'UOIF a lui-même déclaré récemment à la presse que son organisation mettait gratuitement des avocats à la disposition de ces élèves. De plus, une abondante littérature et des cassettes audio et vidéo sur le voile sont diffusées dans les associations et les nombreuses librairies islamiques. J'ai vraiment été surprise par l'importance de l'encadrement de ces adolescentes de milieux défavorisés et pour lesquelles l'école est une chance.
Comment expliquez-vous l'acharnement des fondamentalistes sur cette question du voile islamique ?
Hanifa Chérifi. Les courants islamistes adhèrent à une vision d'opposition des civilisations. La meilleure manière de le faire voir consiste pour eux à donner des signes visibles. Ils savent que l'émancipation des femmes, dont ils ne veulent surtout pas, a émergé des sociétés modernes et occidentales. Les fondamentalistes se focalisent donc sur les femmes pour développer leur idéologie conservatrice et dangereuse. D'ailleurs, dans les documents et les conseils qu'ils prodiguent aux jeunes filles, ils n'hésitent pas à rappeler que le mariage entre musulmanes et non-musulmans est péché. On est bien là dans une approche de séparation, de division, d'organisation à part. Le voile est bien plus qu'une tenue vestimentaire. Il renvoie à une restriction de la mixité, de la liberté individuelle, et met à mal l'égalité des sexes. Il faut donc s'interroger sur la signification du voile avant de se demander si c'est un libre choix des femmes de le revêtir ou pas. Je suis sidérée de constater que les gens de gauche, les progressistes et autres démocrates ne se posent pas d'abord cette question fondamentale de l'oppression de sexe. Il est tout aussi choquant de ne s'intéresser qu'au voile à l'école. Comme si sa recrudescence à l'extérieur de l'institution scolaire ne posait pas problème.
Farouche opposante au voile islamique, pourquoi n'êtes-vous pas pour autant pour son interdiction à l'école ?
Hanifa Chérifi. Interpréter le voile comme un banal problème de discipline dont la solution résiderait dans un rappel plus ou moins autoritaire du règlement intérieur à l'école demeure un exercice aussi éreintant que vain. Pour moi, les élèves voilées sont des victimes. Leur exclusion de l'école n'est pas une solution satisfaisante. Elle pénalise ces personnes appartenant à des milieux défavorisés. Je préconise le dialogue avec elles. En revanche, la société devrait davantage s'inquiéter de l'idéologie sous-jacente au prosélytisme islamiste qui quadrille les quartiers et cités populaires. Depuis plus de quinze ans, les pouvoirs publics et les politiques ont abandonné aux intégristes le terrain culturel et identitaire. Cela peut paraître anodin qu'ils s'acharnent à revendiquer la carte d'identité avec port du voile. Pourtant, cette affaire révèle à quel point les fondamentalistes veulent que les femmes soient d'abord identifiées comme musulmanes avant d'être citoyennes.
Que faire alors pour soustraire les jeunes filles de l'influence des courants fondamentalistes ?
Hanifa Chérifi. Le problème est certes complexe, mais cela n'exonère pas la société de s'interroger un peu plus sur cette idéologie particulièrement discriminatoire envers les femmes, une idéologie qui prône la séparation des sexes dans la sphère publique et veut instaurer le communautarisme. Il est plus que temps que l'on observe et analyse ce que signifie le port du voile et ses conséquences dans le champ social. Voyons aussi que les militants fondamentalistes creusent leur trou et combattons-les fermement. Je préconise tout simplement une démarche politique d'intervention et d'éducation populaire. Car la banalisation du discours intégriste dans les banlieues entraîne des effets dramatiques sur l'équilibre mental et identitaire d'une partie de la jeunesse française issue de l'immigration. Donnons-leur des armes pour ne plus se laisser instrumentaliser par les militants intégristes, qui ont su capter leur demande identitaire. Ils y apportent certes une réponse unilatérale par l'islam. Mais il n'empêche que les fondamentalistes ont compris que ces questions identitaires sont devenues un enjeu essentiel dans le processus d'intégration. Bien sûr qu'il faut intervenir sur l'économique et le social, mais ne pas voir la souffrance de ces filles et garçons en quête d'identité dans un pays qui ne les reconnaît pas comme ses enfants, c'est commettre une faute d'analyse.
Entretien réalisé par Mina Kaci
(1) Nous sommes tous des immigrés, Roger Fauroux et Hanifa Chérifi, éditions Robert Laffont, 17 euros.