
a écrit :CPE. analyse
La colère a rendez-vous en 2007
La traduction électorale de la crise pourrait saper la légitimité des partis de gouvernement.
De la rue aux urnes, que vont devenir les colères et les frustrations accumulées depuis deux mois ? Pendant qu'un trio d'autistes règle ses comptes au sommet de l'Etat, nombre de manifestants ont clamé mardi leur impatience d'opérer un grand ménage de printemps électoral en 2007. Car si le frêle esquif chiraquien surnage jusque-là, le rendez-vous pour solder son sort est fixé : le premier tour de la compétition élyséenne se déroulera dans tout juste un an. Certes, l'effondrement dans les sondages du tandem Chirac-Villepin et de leur camp fait mécaniquement le bonheur de la gauche. Mais, au-delà, le décor qui se met en place peut laisser augurer un nouveau séisme qui repose sur un triptyque à l'oeuvre lors des dernières consultations : sanction-désaffection-radicalisation.
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Au fil de ses échecs, le quinquennat de Jacques Chirac a attisé les symptômes qui avaient engendré le «coup de tonnerre» du 21 avril 2002, Lionel Jospin dixit. La somme des renoncements et promesses non tenues, à commencer par l'oubli du vote «républicain» du 5 mai, a d'abord affolé le balancier du vote-sanction. Mis en branle il y a vingt-cinq ans pour susciter depuis des alternances répétées, il s'emballe à mesure de la décomposition du chiraquisme. Le slogan de Pierre Poujade en 1956 «Sortez les sortants !» est devenu un rituel. Chaque scrutin, aussi inoffensif soit-il, devient une occasion de fesser le pouvoir en place : en 2004, la gauche s'est vu offrir un invraisemblable raz de marée aux régionales et un triomphe aussi inutile qu'inespéré aux européennes. Le tout sans esquisser d'offre programmatique alternative et en se contentant d'adopter la posture d'«opposition frontale» chère à Laurent Fabius. Trois ans plus tard, peu audible sur le front de l'emploi des jeunes, le PS succombe à la même tentation. «Nous ne sommes pas dans la phase de proposition, a reconnu hier son porte-parole, Julien Dray. D'abord le retrait, après on discutera et là vous aurez des propositions !» Il serait temps...
Car en moins d'un an, trois crises graves ont affaibli un peu plus l'ensemble des organes de médiation: partis politiques, élus, syndicats, médias, etc. Il s'agit de l'écrasante victoire du non (55 %) lors du référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne, des émeutes de banlieue de novembre 2005 et maintenant de la crise du CPE. Au final, c'est donc la légitimité de l'ensemble des formations de gouvernement, droite et gauche confondues, qui est menacée d'être de nouveau bousculée l'année prochaine. C'est sans doute pourquoi, à mesure que Sarkozy délaisse son discours de «rupture» pour se repeindre en négociateur, le patron de l'UDF, François Bayrou, entonne, lui, l'air de la «VIe République» pour résoudre ce qu'il considère comme une «crise de régime». Pas sûr toutefois que le leader centriste, qui se rêve en alternative au «système» UMP-PS, soit le mieux placé pour empocher les dividendes électoraux de la fracture civique qui se creuse entre l'opinion et ceux qui sont censés la représenter. En 2002 déjà, l'élimination surprise de Jospin avait masqué le score pitoyable du président sortant : moins de 20 % des voix ! Le total des deux principaux aspirants à la fonction élyséenne, Chirac et Jospin, n'avait atteint que 36 % des voix, soit 7 points de moins que les deux mêmes en 1995, et... 17 points de débit par rapport à l'addition Mitterrand-Chirac de 1988. Le tout sur un fond d'abstention qui ne cesse, elle, de croître : 21,6 % des inscrits en 1995, 28,4 % en 2002. Pour 2007, le politologue Dominique Reynié pressent déjà une nouvelle poussée de la «dissidence électorale» vers l'abstention et le vote blanc et nul, ainsi qu'une «baisse des électorats démocratiques» de plus en plus concurrencés par la montée des «populistes de droite» (Villiers, Le Pen). «Exaspéré» par les violences en banlieue, puis par la protestation sociale, l'électorat de droite, chauffé à blanc par Sarkozy à l'automne, puis Villepin au printemps, risque de recourir au vote Le Pen pour «faire disjoncter le système». De l'autre côté du spectre politique, une autre forme de vote protestataire, porté par une extrême gauche déjà surpuissante en 2002 (10,5 % des voix pour les trois candidats trotskistes), peut «espérer profiter de la vigueur de l'air de la rue», selon l'expression de la chercheuse Nonna Mayer.
Un pouvoir à bout de souffle, une alternative peu enthousiasmante et une multitude d'offres pour épancher le vote-défouloir : si les colères de la France de 2006 s'y reflètent, il est possible que, l'année prochaine, le fond des urnes effraie...
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