a écrit :Sous les banderoles, la tôle
Des manifestants anti-CPE, interpellés lors de la manifestation de jeudi, ont été jugés en comparution immédiate, lundi matin. De la prison ferme pour l'un, un renvoi pour le second, provisoirement sauvé par des témoignages en sa faveur.
par Dominique Simonnot
LIBERATION.FR : lundi 27 mars 2006 - 19:49
Après les manifestations anti-CPE, il y a eu tellement d'interpellés qu'au palais de justice à Paris, la 23e chambre correctionnelle -spécialisée dans les comparutions immédiates - a dû siéger lundi matin pour rattraper le retard. Car les anti-CPE qui attendent d'être jugés s'ajoutent à ceux, déjà trop nombreux, qui peuplent le box de ces audiences. Le président a juste eu le temps de regarder ses 14 dossiers. Et il doit se dépêcher, plus encore que d'habitude : la place doit être libre à 13 h 30 pour les juges de l'après-midi. Dès 9 h 30, il prévient : «On ne pourra pas prendre tous les dossiers !»
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Aurélien, de Pontoise à la prison
Aurélien, 20 ans, est le premier. Crâne rasé, un sweat noir à capuche, il n'est pas étudiant, travaille en intérim et vit chez sa mère à Pontoise. Il a déjà été condamné, il y a peu, à du sursis pour «vol et destruction». Jeudi soir, vers 22 h 30, des policiers l'ont vu jeter des projectiles en direction des CRS.
«Vous êtes venu manifester?» demande le président. « Oui, contre le CPE.» «Et vous êtes venu de Pontoise, poursuit le juge, et vous aviez bu, parce qu'on trouve un taux de O,89 g par litre d'air, ce qui est considérable, puisque cela fait le double dans le sang ! Et j'ajoute qu'à 22h36, la manifestation était terminée!». Aurélien raconte qu'en fait, il partait à la Sorbonne où il avait vu «que tout le monde allait». «Quoi faire à la Sorbonne, monsieur, elle est fermée!» reprend le juge. «Contre le CPE!», répète Aurélien.
Donc, il s'est trouvé rue Saint-Jacques, lit le juge, «“où des individus entassent du mobilier urbain sur la chaussée et où les policiers remarquent plus particulièrement un jeune homme de type européen qui ramasse des bouteilles et les jette vers les forces de l'ordre.” Ils vous ont interpellé. “Tout au long de leur tentative d'extraction de l'individu, ils ont été pris à partie par d'autres jeunes!”». Aurélien nie le jet de bouteilles : «Je reconnais avoir été dans ce groupe, mais jamais de ma vie, je n'ai rien jeté!» La suite est logique : «Alors monsieur, les policiers sont des menteurs? demande le juge, Répondez monsieur! Ce sont des menteurs?» Aurélien se tortille, hésite et lâche «Bof... Oui?» Le juge enfonce lentement le clou : «Et que faisiez-vous là ? Il y avait eu un ordre de dispersion à 21h26 ! Et en plus, vous n'aviez pas de chaussures !» «On était encerclés monsieur le juge, et les chaussures, c'est les policiers qui me les ont enlevées!»
La procureure affirme : «Il n'est nullement venu manifester, vu l'heure où il a été interpellé. Je rappelle qu'il est arrivé sur place vers 21 heures, sûrement déjà avec des intentions douteuses, ivre et agressif. Personne ne prétend qu'il est seul responsable des violences de jeudi dernier, mais ce qu'il a fait est inadmissible!». Elle demande de la prison ferme. L'avocate de permanence n'a pas grand-chose à dire. Aurélien part en prison pour un mois.
Sébastien et le balai maudit
Le second anti-CPE de la matinée, Sébastien Schiffres, 30 ans — étudiant en master de sciences politiques, crâne ras surmonté d'un petit toupet et air rêveur - est connu dans le milieu de la contestation. Lui a été arrêté lors de l'évacuation de l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), vendredi, boulevard Raspail. Pas pour avoir dévasté l'intérieur de l'école qu'il occupait avec d'autres - «il était absolument contre», certifie son avocate maître Irène Terrel - mais pour avoir proféré, le jeudi, des menaces de mort contre la directrice : «Salope, tu vas voir, je vais te crever!» La directrice n'est pas là. «Et c'est bien ennuyeux! Il faut absolument qu'elle vienne, on va renvoyer cette affaire», regrette le président. Reste donc à statuer sur la détention provisoire, ce que réclame la procureure.
Mais maître Terrel a des cartes dans son dossier. Notamment le témoignage de trois journalistes de France 2, présents lors de la scène entre Sébastien Schiffres et la directrice. Scène qu'ils ont filmée. Jeudi, le jeune homme était sorti de l'école occupée pour se rendre au siège de l'EHESS, un peu plus loin, boulevard Raspail, demander des balais et des pelles pour nettoyer, ce qui lui a été refusé : «On ne négocie pas avec les occupants». Cela, les journalistes le confirment. En revanche, aucun des trois n'a entendu ni filmé la moindre injure, ni la moindre menace. «C'est au moment de l'évacuation de l'école que deux vigiles d'une société de sécurité désignent Sébastien Schiffres aux policiers et l'accusent de ces menaces! C'est n'importe quoi! Jamais il n'aurait dû passer ces quatre jours de garde-à-vue! Et ce n'est pas le doute que je plaiderai le jour de l'audience, c'est l'innocence!» affirme maître Terrel. A 12h30, Sébastien Schiffres est libéré. Il comparaîtra le 10 mai, en présence des vigiles, de la directrice de l'EHESS et des journalistes de France 2.
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