FN : communistes non coupables ?

Message par Louis » 06 Avr 2003, 22:59

Mise en ligne : dimanche 6 avril 2003, par Jean Teulière

Deux chercheurs au CEVIPOF (Centre d'étude de la vie politique française - CNRS), Marie-Claire Lavabre et François Platone, viennent de publier Que reste-t-il du PCF ? (ed. Autrement/Cevipof). A l'occasion du 32e congrès du Parti communiste français, Le Monde (3 avril 2003) a publié un entretien avec François Platone, où l'on peut lire ceci :

" Le Monde - Le FN a-t-il "mordu", comme on l'a dit, sur l'électorat communiste ?

François Platone - L'hypothèse est séduisante, car, à partir de 1986, l'électorat FN s'est prolétarisé. Mais nous émettons, avec Marie-Claire Lavabre, beaucoup de réserves à ce sujet. Ce raisonnement valorise la vision d'un champ politique circulaire où les extrêmes se rejoignent. Il existe, bien évidemment, une relation entre la montée du FN et le déclin du PCF, mais pas celle décrite jusqu'ici, sur des transferts massifs de vote. Aucune étude, statistique, monographique ou sondage d'opinion n'a pu établir ces transferts. On est allé trop vite en besogne. Si d'anciens électeurs communistes votent aujourd'hui FN, ils ont d'abord transité par le vote PS, le vote à droite, et surtout par l'abstention. Chez les militants, ce phénonème est encore plus marginal et statistiquement dérisoire. En revanche, il est clair que le FN a profité, politiquement, de l'effondrement du PCF, qui a laissé livrées à elles-mêmes des catégories populaires jusqu'ici encadrées et qui se sont trouvées sans porte-parole. "

Ainsi, l'affirmation selon laquelle une partie conséquente de l'électorat FN viendrait de l'électorat communiste, n'a été démontré par " aucune étude, statistique, monographique ou sondage d'opinion ". Cette thèse a pourtant été répétée à l'envi, depuis l'émergence électorale de Le Pen, par les plupart des " grands " journaux, à commencer par Le Monde... pris ici d'un accès de pudeur avec l'expression " comme on l'a dit ".

Il est vrai que cette fable correspondait à " la vision d'un champ politique circulaire où les extrêmes se rejoignent "... Face au " cercle de la raison " cher à Alain Minc...
Louis
 
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Message par hispa » 07 Avr 2003, 07:04

la soi-disant analyse présentant le vote FN comme une "mutation" du vote PCF avait déjà été critiquée dans un article de Vacarme.

Un extrait

a écrit :http://vacarme.eu.org/article344.html
JUILLET 2002
par Annie Collovald  



2/ CLASSES POPULAIRES, PARTI POPULISTE ?
Le « vote Le Pen » : la faute au populaire ?

(...)

À succès « exceptionnel », explication par l'exceptionnel ; c'est la « crise » qui porterait le FN aux nues électorales : crise de la politique, crise de la société, crise urbaine - maintenant crise rurale (il a gagné des voix dans les campagnes, donc…). Il n'est pas innocent alors que, parmi ses électeurs, ce soient les groupes populaires et les chômeurs qui soient mis en avant, gagnant ainsi involontairement une visibilité qu'ils ne connaissaient plus depuis longtemps dans les préoccupations des « responsables » de toutes sortes. Vivant des expériences critiques qui les « excluraient » du monde social et empêcheraient leur « bonne intégration », ils sont censés être « déboussolés », « anomiques », « paumés », « largués » et, comme ils sont peu éduqués c'est-à-dire sans diplôme certifié (c'est dû à la crise du système scolaire, dernière crise en date car l'école ne sait plus préparer les enfants à devenir citoyens), ils « protestent » en suivant naïvement tous les démagogues forts en gueule, Jean-Marie Le Pen le premier. Cela n'empêche pas, cependant, l'ensemble des électeurs du FN d'avoir « instrumentalisé » leurs réponses aux sondages et leur vote, et adressé « un message à ceux qui nous gouvernent. Bref, des paumés mais, électorat volatile ou « zappeur » oblige, quand même rationnels, sachant maîtriser une parfaite stratégie de communication - si l'on en croit les réactions des hommes politiques qui les ont « entendus » ou les spécialistes du décryptage de ce que « veulent signifier les électeurs qui voient en eux des « tribunitiens ». Que dire si ce n'est que ces propos sont affligeants ? Ce n'est pas seulement que leurs auteurs commettent des fautes d'interprétation en inversant les perspectives à tenir et en simplifiant radicalement la complexité des phénomènes politiques : c'est qu'ils manifestent une incapacité mentale à comprendre, en confondant préjugés et analyses, opinion personnelle et opinion scientifique, arguments d'autorité et démonstration contrôlée, et en ressuscitant des traditions d'analyse contestables et contestées en dehors de leur cercle.

la preuve par le stéréotype du pauvre

Reprenons rapidement les chiffres, les cartes et les comparaisons effectuées supposés attester de l'objectivité des commentaires avancés. Tout d'abord un préalable, et d'importance. Les statistiques proposées pour dresser le « portrait robot » des différents électorats reposent sur des sondages. On croyait cette méthode de recueil de données discréditée par les résultats imprévus des dernières présidentielles ? Apparemment pas pour continuer à redire et à faire sous une forme plus catégorique, ce qui est dit et fait depuis 15 ans. Nulle réflexion (ou autocritique ?) sur qui répond et qui ne répond pas, ce qui pose quelques problèmes puisque près de 30 % des personnes approchées refusent aujourd'hui de répondre à un sondage sans que l'on sache comment elles se répartissent socialement et politiquement. Nulle réflexion encore (mais c'est vrai, c'est du chipotage de sociologues critiques) sur ce que représente cette situation d'entretien, sur les sommations scolaires à répondre qu'elle impulse et sur les stratégies de défausse dans les formes qu'elle suscite. Pourtant nombre de travaux classiques en sociologie ont montré que cette situation joue sur la bonne volonté culturelle des moins scolarisés, que les groupes sociaux « supérieurs » savent jouer des mises en forme de soi et des convenances réglées de la conversation, que déclarer un vote FN à un moment où les résultats ne sont pas connus et alors qu'il est toujours perçu comme stigmatisé et stigmatisable met en jeu non seulement son prestige social mais aussi des tactiques politiques de censure propres à chaque univers social d'appartenance. Ne peut-on pas alors se demander si les premiers à déclarer leur vote n'appartiennent pas justement aux groupes populaires et à ceux qui s'en sentent proches, d'autant plus assignés à répondre qu'ils ne se sentent pas autorisés à décevoir l'enquêteur. Petite hypothèse mais qui fait changer les conclusions. Ainsi ce n'est pas que les groupes « éduqués » soient prémunis contre le vote FN, refuge pour tous les incultes : c'est qu'ils attendent sa reconnaissance pour avouer publiquement leurs préférences électorales, ce qui n'apprend absolument rien sur leurs pratiques de vote effectives. Ceux qui « sauveraient » les sondages en quelque sorte et « sauveraient » cette démocratie d'opinion appelée de tous leurs voeux par les réformateurs de la démocratie représentative, seraient précisément les groupes populaires et non les autres. Il est vrai qu'un tel constat dépasse les bornes mentales des jugements préconçus. Reste que du point de vue de la construction statistique, les chiffres avancés ne valent que ce que valent les croyances placées dans les sondages et dans l'image moralement sécurisante qu'ils renvoient : peu de choses, juste un mirage.

Faisons comme si, cependant, l'on prenait au sérieux les statistiques et les commentaires qui les accompagnent. En 2002, 23 % des ouvriers et 16,8 % des « retraités et inactifs » ont voté Le Pen ; ils étaient respectivement 23 % et 11 % en 1995. Questions : pourquoi se focaliser sur les premiers quand la progression s'effectue chez les seconds ? Pourquoi confondre les seconds avec les chômeurs, autre catégorie floue et purement administrative qui ne donne aucune information sur leur identité sociale (jeunes, vieux, cadres, ouvriers) ? Il ne s'agit pas de nier ici que des membres des groupes populaires et des chômeurs ont voté FN, il s'agit de s'interroger sur la raison pour laquelle ils suscitent autant l'attention vigilante des commentateurs. On en a peut-être une explication dans la situation contradictoire qu'a créé chez eux l'arrivée impromptue de Jean-Marie Le Pen au premier tour des présidentielles. Leurs anticipations ayant été démenties, ils se retrouvent à improviser dans l'urgence des analyses sur un mouvement dont ils ne connaissent pas grand-chose, si ce n'est ce qu'ils en ont déjà dit. Le problème pour eux c'est que ce qu'ils ont déjà « constaté » est contradictoire avec le succès du FN (par exemple que depuis 1999 le FN n'existait plus). Ils reprennent alors ce qui a fait leur propre actualité lors des présidentielles de 1995, le vote populaire. Ils font coup double. D'une part, cela soulage leur travail interprétatif (c'est vrai, c'est fastidieux de comprendre que le FN a pu changer, et de quelle manière) et leur sens de la morale (c'est plus sécurisant de penser que ce sont les « pauvres » qui se reconnaissent dans un mouvement politique honteux et grossier plutôt que les gens bien éduqués et socialisés) ; d'autre part cela permet de recouvrir leur racisme social de commentaires éplorés sur les méfaits du chômage et de la précarisation sociale (ça, c'est la posture scientifique qui « comprend » sans excuser ou diaboliser). On a une illustration de leur « objectivité » lorsqu'on regarde une autre catégorie sociale, celle des « artisans, commerçants, chefs d'entreprise » : ils étaient 13 % en 1995, ils sont 31 % en 2002 à voter FN. Une crise du commerce et du patronat, peut-être ? Étonnant que l'on n'en parle pas ! Sans doute cela signalerait-il par trop évidemment deux choses. Premièrement que ce ne sont pas forcément des sans grade qui se retrouvent dans le vote FN mais des gens bien installés (et intégrés) socialement. Deuxièmement que c'est la droite et non la gauche qui ne réussit plus, aujourd'hui, à retenir une clientèle électorale qui se radicalise à l'extrême. Après que la gauche a échoué depuis plusieurs années à retenir des électeurs populaires dont certains ont glissé à droite avant de se reporter sur l'extrême-droite, la droite serait atteinte par une hémorragie de ses anciens soutiens. La thèse du « gaucho-lepénisme » en sort alors quelque peu ébranlée. Qu'importe. Elle a conquis précédemment par la simplicité de son évidence nombre de commentateurs politiques. Désormais beaucoup sous-entendent, à partir d'un syllogisme erroné, que puisqu'à l'écroulement des bastions ouvriers succède une montée du FN, c'est que les électeurs communistes sont passés avec armes et bagages dans les rangs des supporters de Jean-Marie Le Pen (ce que d'ailleurs n'avançait pas le « gaucho-lepénisme », le « gaucho » renvoyant plutôt aux socialistes). Les rares enquêtes sérieuses menées sur le « virage du rouge au brun » des anciennes citadelles communistes montrent que cela est faux. La réussite FN est d'abord liée à la mobilisation électorale d'anciens abstentionnistes de droite et les électeurs PCF retournent là où tout les inclinait socialement à être sans le rôle politique de ce parti et l'inculcation d'une culture politique collective : chez ceux qui se désintéressent de la politique et ne répondent pas aux sollicitations électorales.

Admettons encore comme certaines les explications du vote FN par les seuls méfaits du chômage, de la précarisation et de l'insécurité sociales. Mais alors on ne peut que s'étonner devant l'extrême faiblesse du score de Jean-Marie Le Pen. Pourquoi tous les pauvres, les paumés et les laissés pour compte du libéralisme économique ne votent-ils pas plus pour le FN ? D'autant que celui-ci est présenté, grâce à l'accréditation « savante », médiatique et politique des prétentions de son leader, comme le parti qui défend les plus fragiles socialement et prend en charge leur « mécontentement ». Après tout, ils sont les plus nombreux (près de 8 millions selon le dernier recensement de la population) et ils devraient submerger la démocratie de leurs votes « protestataires ». Il faudrait là se demander, contrairement à tout ce qui s'écrit et se pense sur l'autoritarisme des classes populaires et/ou sur leur propension bien connue au défoulement d'instincts et de ressentiments « anti-élite », s'il n'existe pas -encore mais pour combien de temps - des verrous moraux qui font rester fidèles à leurs anciennes remises de soi tous ceux qui, délaissés, trahis et injuriés par ceux même qui se prétendent leurs porte-parole, tentent de conserver leur dignité en croyant toujours en leurs idéaux passés ou en se réfugiant, par protection, dans l'indifférence silencieuse. Qui dit mieux comme loyauté politique au regard des multiples reconversions et reniements imperceptibles ou proclamés, à droite comme à gauche, dans les classes moyennes comme dans les classes supérieures ? Mais c'est vrai que le populaire se « porte » mal en politique depuis longtemps, tant il est devenu un stéréotype négatif au fur et à mesure de l'abandon et de la réorganisation des espoirs messianiques, intellectuels et politiques placés en lui ; et l'on comprend la place rendue ainsi disponible pour une force politique en quête de légitimité démocratique qui ne répugne pas à s'habiller de stigmates pour mieux les retourner contre « l'establishment » politique (« Je suis la bête immonde qui monte, qui monte… » dit Jean-Marie Le Pen), et à jouer publiquement de la démocratie (la souveraineté nationale du peuple) contre la démocratie (représentative).
hispa
 
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