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Football
Les clubs de foot un pied en bourse
La France va autoriser leur cotation, comme l'exige Bruxelles. Les patrons du foot le souhaitaient depuis longtemps.
par Gilles DHERS
QUOTIDIEN : mercredi 01 février 2006
De quoi rendre jaloux les restaurateurs et les entrepreneurs du bâtiment. Rarement une corporation comme celle des patrons de club de foot aura été autant chouchoutée par son ministre de tutelle. Après une loi Lamour 1 en juillet 2004, leur accordant notamment la copropriété des droits télé ; après une loi Lamour 2 en décembre 2005, leur permettant de verser une partie des salaires en droits à l'image (exonérés de charges), il y aura, avant que l'ancien champion olympique de sabre ne quitte le ministère des Sports, une troisième loi Lamour, portant sur le sport professionnel. Dont la mesure la plus spectaculaire sera l'autorisation, sous conditions, de la cotation des clubs en Bourse, ce qui est formellement exclu dans la loi depuis 1999.
Tabou. Le ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative a brisé hier ce tabou du sport français. Il n'y a pas d'ambiguïté possible : «L'interdiction absolue d'appel public à l'épargne sera levée», a dit le ministre, qui ne s'était jamais déclaré favorable à l'entrée des clubs en Bourse, même au plus fort des revendications en ce sens des plus libéraux des patrons de club, menés par Jean-Michel Aulas, président de l'Olympique lyonnais (lire ci-contre). Question «accessoire», répondait Jean-François Lamour, sujet «second et secondaire». Un sujet revenu au premier plan via la Commission européenne : le 14 décembre, celle-ci avait demandé à la France de modifier sa loi, au motif que l'interdiction faite aux clubs d'entrer en Bourse constituait «une entrave injustifiée à la libre circulation des capitaux, en violation du traité européen». «Si la France devait ne pas donner de réponse satisfaisante dans les deux mois, la Commission européenne pourrait décider de saisir la Cour européenne de justice», ajoutait-elle. On ne devrait pas en arriver là.
C'est donc contraint que Jean-François Lamour doit retourner son maillot sur la cotation des clubs. Qu'il entend assortir de garde-fous, au nom de «la préservation de l'unité entre sports amateur et professionnel», de l'«importance de ne pas rompre les liens entre un club et son territoire», pour éviter que des supporteurs, obéissant à leur passion, n'investissent dans leur club et «n'engagent leur épargne dans des investissements hasardeux», et enfin pour se prémunir «du risque très fort d'atteinte à l'équité des compétitions». En clair, pour Jean-François Lamour, la Bourse, c'est contraire à la tradition française, dangereux pour le petit épargnant et potentiellement facteur de corruption.
Revendication. Mais comme il est interdit d'interdire d'y aller, le ministre des Sports suggère de n'autoriser à émettre des actions que les clubs propriétaires, directement ou indirectement, de leur stade. Les autres ne pourraient émettre que des obligations ou des titres participatifs, négociables sur les marchés financiers mais ne donnant pas de droit de vote en assemblée générale. Reste au gouvernement à négocier ces conditions avec Bruxelles, qui pourrait les estimer contraires à la libre circulation des capitaux et enjoindre à la France d'ouvrir plus grandes les portes de la Bourse. La cotation, c'est une vieille revendication des clubs français, qui n'ont de cesse de protester contre les distorsions de concurrence dont ils seraient victimes par rapport à leurs concurrents européens, même si l'expérience prouve que la Bourse n'est pas la panacée (lire ci-contre).
Dans le paysage actuel du foot français, avec les conditions posées par Lamour, quel club pourrait alors postuler ? Seuls deux sont propriétaires de leur stade, Auxerre et Ajaccio. Lens possède un bail emphytéotique sur le sien de 99 ans. Lyon, Lille, Nice et Marseille ont des projets de construire le leur. Pas de quoi doucher la joie des responsables du foot à leur sortie du ministère. Frédéric Thiriez, président de la Ligue du foot professionnel : «Le nombre de clubs concernés, ce n'est pas la question. Il n'y a pas de raison que les clubs soient privés d'une source de financement accessible à toute société commerciale.» Gervais Martel, président de Lens et de l'Union des clubs professionnels français : «Il y a beaucoup d'avancées depuis deux-trois ans.» Il y en a même eu de supplémentaires hier matin.
Cadeaux. Car au-delà de l'aspect spectaculaire de cette annonce, Jean-François Lamour a promis aux pontes du foot d'explorer des pistes de réforme, pour, par exemple, exonérer les clubs de la taxe sur les spectacles ou de la taxe professionnelle pour les investissements dans les infrastructures sportives. Le sport n'est pas une activité économique comme les autres, arguait Lamour. Pour refuser l'entrée en Bourse... et multiplier les cadeaux fiscaux aux clubs. C'est sûr, le foot français le regrettera.