(Le Monde @ 4 janvier 2006 a écrit :Immigration familiale : les faits
Au plus fort des émeutes en banlieue, la question du regroupement familial a une nouvelle fois surgi, désignée par des élus de droite comme la raison principale de l'explosion de violence. Le gouvernement, désireux de promouvoir une "immigration choisie" de travailleurs qualifiés, leur a emboîté le pas en annonçant vouloir durcir les critères de ce mode d'entrée sur le territoire. C'est un des points-clés de l'avant-projet de loi sur l'immigration actuellement en préparation (Le Monde du 4 janvier).
Certes, depuis l'arrêt de l'immigration de travail non qualifié, massive dans les années 1950-1960, les migrations pour motif familial fournissent le plus gros contingent d'entrées légales en France — 102 662 personnes, soit 73 % des étrangers admis pour une durée d'au moins un an en 2004. Mais, contrairement à un mythe tenace, le regroupement familial à proprement parler, c'est-à-dire la procédure permettant à un étranger en situation régulière d'être rejoint par sa femme et ses enfants, n'en constitue pas l'essentiel. Il représente aujourd'hui moins d'un quart de ce flux. En revanche, plus de la moitié concerne des étrangers entrant en France pour y rejoindre leur conjoint français.
Le regroupement familial au sens strict marque même, depuis deux ans, un nouveau recul : 25 420 personnes ont été, à ce titre, admises au séjour en 2004, contre 26 768 en 2003 et 27 267 en 2002. On est loin des flux d'entrées de familles atteints en 1971, année où le regroupement familial était à son plus haut niveau, avec 81 496 personnes.
Longtemps resté un droit non réglementé mais pratiqué depuis toujours, le regroupement familial n'a été reconnu qu'en 1976, par un décret de trente lignes encadrant et organisant la procédure. Le conjoint et les enfants d'un immigré obtiennent alors un titre de séjour si ce dernier est régulièrement installé depuis un an, s'il dispose de ressources "stables, suffisantes" et d'un logement "adapté". Le texte est signé par le premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, et par quatre de ses ministres (travail, intérieur, affaires étrangères, santé). Il vise à réglementer la pratique alors courante de la régularisation sur place.
Depuis trente ans, le regroupement familial n'a cessé d'être restreint. Entre 1974 et 2005, la réglementation a été modifiée douze fois. Mais ce mode d'entrée en France est resté autorisé pendant toute cette période, excepté de juillet à décembre 1974. Tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont oscillé entre l'application d'un grand principe des droits de l'homme — garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme —, et la tentation d'interdire l'entrée aux femmes et enfants d'étrangers, sous prétexte de maîtriser les flux migratoires.
"La variation de ces règles a des répercussions sur le statut des personnes concernées et sur le processus d'intégration. Mais, sur le long terme, elle en a peu sur l'immigration des familles concernées", souligne Patrick Weil, dans son ouvrage La France et ses étrangers (Folio Histoire, 2005). En dépit des variations de procédure, l'immigration familiale a toujours suivi de quelques années l'arrivée des travailleurs célibataires. Tout en s'atténuant fortement, ce comportement s'est maintenu après 1974, d'autant que les lois restrictives sur l'immigration, en restreignant les possibilités d'allers-retours entre le pays d'origine et la France, ont eu pour effet de fixer sur le territoire français des immigrés qui n'étaient pas tous venus dans l'intention de s'y installer.
Aussi, contrairement là encore à une idée reçue, ce ne sont pas des familles nombreuses qui viennent rejoindre les résidents étrangers. Elles comptent moins de deux personnes en moyenne (1,64), et se réduisent le plus souvent à un conjoint.
Si l'immigration familiale ne se tarit pas, alors que l'immigration de travail est quasi suspendue depuis plus de trente ans, c'est parce qu'on assiste, depuis les années 1980, à l'arrivée des conjoints des enfants d'étrangers entrés en France au titre du regroupement ou nés en France.
Plus de la moitié des 102 662 personnes entrées en France en 2004 pour un motif familial sont en fait des étrangers venus rejoindre un membre de leur famille de nationalité française. Membre qui, dans la quasi-totalité des cas (49 888), n'est autre que leur conjoint. Le mariage avec un conjoint français est la première voie d'entrée en France, loin devant le regroupement familial. Le ministre de l'intérieur entend d'ailleurs durcir fortement la législation de ces mariages binationaux.
Car cette réalité est liée, veut croire le gouvernement, à un certain nombre de détournements des règles du mariage à des fins migratoires. Mais elle s'explique avant tout par une tendance sociologique de fond. Les enfants et les petits-enfants d'étrangers, nés en France, souhaitent souvent, par le mariage, garder un lien culturel avec le pays d'origine de leurs parents. Même s'ils se sentent pleinement français.
Laetitia Van Eeckhout