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a écrit :Des nouvelles des antipodes
Loin, très loin, au bout du monde, existe un continent inconnu des médias. Non, ce n'est pas l'Asie. Non, ce n'est pas l'Afrique. Non, ce n'est pas la Papouasie. C'est encore plus loin. Ce sont les interdits bancaires. Les surendettés. Les traîne-misère. Ceux qui ont du mal à joindre les deux bouts. Dont les fins de mois commencent le quinze. Les «pludémunis», comme les appelle Claire Chazal, avec cette moue compassionnelle, cette ondulation blonde, ce délicat souffle de regret, qui n'appartiennent qu'à elle. Les «pludémunis», parce qu'il faut bien nommer ce continent. Lui trouver un nom, comme jadis on parlait des Indes. C'est tellement rassurant, un nom. Ça sent la silhouette de princesse penchée sur le malheur, et qui offre une moitié de son pain. Ça sent le courage, mon brave, voilà pour vous, mais n'allez pas la boire, ma pièce, n'est-ce pas ? Ça sent la comtesse de Ségur, qui dut bercer les soirs de Claire.
Aussi, quand Dominique de Villepin, une veille de week-end, à l'heure du friday wear, annonce la création d'un «service bancaire universel», la nouvelle prend Claire par surprise, comme toute la galaxie médiatique. Qu'est ce que ça veut dire ? Qui cela concerne-t-il ? Qu'est-ce qui existait déjà ? Qu'est-ce que ça va changer ? Combien ça va coûter ? Pris au dépourvu, les journaux télévisés donnent la nouvelle brute. En novlangue, comme Villepin l'a donnée lui-même. «Service bancaire universel», ça ne veut pas dire grand chose, mais ça sonne bien. Comme «croissance sociale». Service. Social. Croissance. Universel. Rien que des mots positifs. De toute manière, les médias sont épuisés. Villepin annonce une mesure par jour. Les hausses, les baisses, les primes, les abattements, les contrats, le Premier ministre ne cesse d'en mitrailler l'opinion. Son image sociale, il la construit en accéléré. Il est aux 35 heures, mais aux 35 heures par jour. Le temps presse. Il faut les comprendre, ils n'ont pas le temps de suivre, les médias.
Va donc pour le service bancaire universel. La formule, même si l'on ne saisit pas ce qu'elle recouvre, semble taillée sur mesure pour les éditorialistes politiques, et les conseillers en communication. Ils pourront expliquer que cette mesure constitue «le volet social» de Villepin. Qu'il se démarque ainsi de la «rupture» de Sarkozy. Qu'il adresse «un clin d'oeil pour les plus démunis, après la réforme fiscale pour les classes moyennes», explique joliment France 2. Quel coquin, ce chef du gouvernement ! Pas de jaloux. Les «classes moyennes» (attention, ne surtout pas parler des riches) ont eu droit à un cadeau fiscal ? Ne vous plaignez pas, les pauvres. Ne manquez surtout pas le «clin d'oeil» qui vous est destiné. On est prié de saluer l'adresse, l'ingéniosité, l'habileté.
Les questions attendront les JT du lendemain. Encore seront-elles timides. Pourquoi ce nouveau dispositif, alors que d'autres existent déjà ? Il semble qu'il sera payant, précisent certaines chaînes (pas toutes). Ah, tiens. Pourquoi ne l'a-t-on pas dit dès la veille ?
Après le feu d'artifice du week-end, les «pludémunis» devront attendre la presse écrite du lundi, s'ils la lisent, pour déchanter vraiment. Pour apprendre par exemple (le Parisien) que «les banques françaises découvrent avec stupéfaction une annonce dont elles ne comprennent pas le sens», comme dit fort peu diplomatiquement la Fédération bancaire française Claire Chazal, au détour d'une phrase, avait seulement glissé qu'elles étaient «perplexes». Pour comprendre, à la lecture du même article, que Villepin a repris au vol une proposition enlisée depuis des mois, à la surprise générale, y compris de son propre ministre des Finances. Ils devront attendre le mercredi, pour lire (dans le Canard enchaîné) le récit d'explications musclées entre les conseillers de Villepin et les responsables des banques françaises, accusant les premiers de se laisser «refiler de vieilles lunes qui ne pourraient même pas figurer dans un programme trotskiste».
Ils devront attendre mercredi (Libération) pour lire que des «packs» bancaires pour les pauvres sont déjà censés entrer en service le premier octobre (tiens, les JT du week-end n'avaient pas mentionné cette échéance). Au passage, quel joli nom, les «packs». Ça fait colis de Noël. On déballe, on est émerveillé. Un chèque de banque dans l'année ! Trois virements ! Une carte de crédit qui ressemble à une vraie, même si elle demande systématiquement l'autorisation ! Allégresse. D'autant qu'ils ont des jolis noms, les «packs». Adispo. Zen Alternative. Presque aussi joli que croissance sociale, ou service universel. Un seul souci : comme l'a constaté l'envoyée spéciale de Libé dans le quartier de la République à Paris, cinq agences bancaires sur cinq n'ont jamais entendu parler des «packs», qui ont donc toutes chances de rester virtuels, comme les annonces du Premier ministre.
Mais aucun souci. Penchées sur les «pludémunis», les télés vont suivre l'affaire de la Zen Alternative. Nul doute que le 1er octobre au soir, Claire nous donnera des nouvelles : «Nous avons appelé dix agences bancaires, aucune n'a entendu parler des packs. Mais nous suivons l'affaire, nous vous en reparlons demain, et tous les prochains jours.»