a écrit : Paris couleurs, un siècle d’immigration en imagesUn film de Pascal Blanchard et Éric Deroo
Diffusion sur France 3 le 28 juin 2005 à 23h40
Paris couleurs, compilation d'archives filmiques, montre comment les migrants ont été vus par les actualités cinéma puis télévisées tout au long du siècle. Des “zoos humains” au mythe “black-blanc-beur” de 1998, le film retrace une histoire des représentations, des clichés et des stéréotypes. Avec ce film, Pascal Blanchard et Eric Deroo présentent une nouvelle version audiovisuelle de leur programme de recherche “De l'indigène à l'immigré” et leur point de vue sur les liens entre histoire coloniale et histoire de l'immigration.
Les “zoos humains”, de l’histoire ancienne ?
Début juin 2005, une rumeur persistante circule dans des milieux universitaires français, amplifiée sur internet : le zoo de la ville d’Augsburg, en Bavière, aurait le projet d’inaugurer un “village africain”pour donner à découvrir “des artisans, des orfèvres, des fabricants de paniers, des coiffeurs traditionnels dans un environnement reconstitué pour représenter la steppe africaine dans une atmosphère d’exotisme”. Renseignement pris, cette initiative a bien eu lieu du 8 au 12 juin, et d’après la directrice du zoo, tout s’est fort bien déroulé. Les visiteurs du “marché exotique” et les exposants africains eux-mêmes ont été ravis. Les quelques dizaines de manifestants présents devant le zoo pour dénoncer une rémanence de l’imaginaire colonial n’ont guère réussi à troubler la bonne conscience ambiante.
“De l’indigène à l’immigré”
Transposée en France, cette affaire renvoie immanquablement au travail de mémoire émergeant autour de l’héritage des “enfants de la colonisation”. Le “village africain” d’Augsburg rappelle le Jardin d'agronomie tropicale du parc de Vincennes (voir
http://www.paris.fr) où l’on peut découvrir, depuis sa réouverture en 2004, les vestiges de ce qui fut jadis un “zoo humain”. D’ailleurs, cet environnement sert de décor pour le parcours initiatique d’un jeune homme qui, dans l’essai documentaire Des zoos et des hommes (70mn - 2005), du réalisateur François Mecili, découvre dans Paris les stigmates d’une mémoire coloniale tronquée.
Le sujet a déjà été traité dans le documentaire Zoos humains, réalisé par Pascal Blanchard et Eric Deroo en 2002 (diffusé sur Arte le 29 décembre 2002 dans le cadre de la théma “Vous avez dit sauvages ?” - voir notre chronique). Dans ce film de référence, les réalisateurs couvrent la période 1870-1931, décryptant des documents d’archives sur les expositions coloniales qui ont contribué à forger un imaginaire populaire de “l’Autre”, évoluant d’une représentation animalière à celle plus humaine mais toujours stéréotypée de “l’indigène” à civiliser. Leur travail filmique appelait un développement, déjà présent dans les nombreux travaux accessibles de l’Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine (Achac), qui a initié depuis 1996 ses recherches dans le cadre du programme “De l’indigène à l’immigré”. Concernant la capitale française, ils ont ainsi livré les somptueux ouvrages Le Paris Noir (2002), Le Paris Arabe et Le Paris Asie (La Découverte, 2003 et 2004). Avec Paris couleurs, un siècle d’immigration en images, diffusé mardi 28 juin 2005 sur France 3, Pascal Blanchard et Eric Deroo présentent une nouvelle version audiovisuelle plus exhaustive de leurs recherches.
“Victimes de l’histoire ?”
D’emblée, Paris couleurs définit son champ : les 9 millions de personnes de “première, deuxième ou troisième génération”qui, aujourd’hui en France, sont enfermés dans les vieux clichés du Noir robuste et bon enfant, du Jaune mystérieux et opportuniste et du Brun guerrier et rebelle. Les stéréotypes fabriqués depuis la fin du XIXème siècle par le cinématographe (on revoit ici la baignade des enfants noirs au jardin d’acclimatation filmée par Louis Lumière) persistent et se renouvellent, s’étendant désormais aux immigrés, ces indigènes qui font peur, mais qui sont déjà dans la ville depuis parfois fort longtemps. D’évidence, les auteurs entendent souligner les liens ambigus entre histoire coloniale et histoire de l’immigration. Ils ne se contentent pas pour autant de fustiger les discours dominants habituels. Ils soumettent également au feu roulant de la critique l’imaginaire antiraciste “Black-Blanc-Beur” et les immigrés eux-mêmes. “A force d’être enfermés dans les stéréotypes, certains semblent s’y perdre ou s’y complaire”, dit le commentaire sur des images de Yannick Noah. Les sans-papiers ou les jeunes rappeurs rebelles contribueraient à installer de nouveaux stéréotypes, de “la figure de l’éternel nomade ou de l’éternel militant” à celle du “sauvageon”. Ces derniers propos polémiques, discutables, mériteraient d’être davantage étayés.
En effet, la forme même de compilation tout en images surplombée d'un commentaire omniscient dit par André Dussollier, ne laisse guère au téléspectateur le loisir de se faire sa propre opinion. Débités au rythme endiablé d’un clip de cinquante-quatre minutes, les fragments de documents hétéroclites, à l’origine difficilement identifiable pour le profane, sont ici au service exclusif d’un réquisitoire assommant. Il n’en reste pas moins que certaines séquences sont montées avec virtuosité, et que la démonstration du lien entre hier et aujourd’hui se révèle par instants fort efficace : ainsi, l’analogie entre le défilé des troupes coloniales pendant la seconde guerre mondiale sur les Champs-Elysées et la déferlante “Black-Blanc-Beur” après la victoire footballistique de 1998 est troublante.