a écrit : Le médecin traitant pas si bien portant
A trois jours de la mise en place du dispositif, comment se repérer dans la jungle des tarifs et des remboursements ? Décryptage du nouveau système.
Par Sandrine CABUT et Julie LASTERADE
mardi 28 juin 2005 (Liberation - 06:00)
j - 3 avant le top départ du dispositif médecin traitant qui entrera en vigueur le 1er juillet. Malgré cinq mois de préparation intensive et de campagnes médiatiques, rien n'est encore tout à fait limpide, ni pour les patients, ni pour les médecins. Que va réellement changer cette réforme dans l'accès aux soins des Français ? Quelles conséquences pour leur porte-monnaie ? Cinq questions pour tenter d'y voir plus clair.
Que se passe-t-il si je n'ai pas de médecin traitant au 1er juillet ?
Rien, tant que je n'ai pas besoin de consulter un spécialiste. Je peux continuer à aller voir n'importe quel médecin généraliste. Que je l'ai choisi comme médecin traitant ou pas. S'il est en secteur 1, il me fera payer 20 euros et la Sécurité sociale me remboursera 70 % de la consultation. S'il pratique des honoraires libres, la Sécurité sociale remboursera aussi 70 % sur la base de 20 euros. Si je veux voir un spécialiste après le 1er juillet et payer le moins possible, mieux vaut emprunter le parcours santé (voir tableau). Il faut alors trouver un praticien qui accepte d'être votre médecin traitant et vous envoie chez le spécialiste. Il n'y a pas de date limite de choix. En théorie, n'importe quel spécialiste (cardiologue, rhumatologue...) peut être choisi comme médecin traitant, mais très peu de Français ont pris cette option. Les étourdis qui ont égaré le formulaire envoyé par la caisse d'assurance maladie peuvent le télécharger sur le site de la Cnam : http://www.ameli.fr
Dois-je absolument passer par un médecin traitant pour voir un spécialiste ?
Dans tous les cas, cela n'est pas obligatoire. Si j'ai moins de 16 ans, la réforme du médecin traitant ne me concerne pas, je peux aller voir qui je veux quand je veux. Si je suis plus âgé, je peux aussi consulter directement un médecin psychiatre, un ophtalmologiste, un gynécologue. Avant le 1er juillet comme après, passage préalable par médecin traitant ou pas, la Sécurité sociale me remboursera comme avant. Pour les autres spécialistes, aucune obligation non plus, mais si je les consulte directement, je serai alors financièrement pénalisé. Il existe cependant quelques exceptions : cas d'urgence, d'éloignement de son domicile ou d'absence du médecin traitant.
Que m'arrivera-t-il concrètement si je préfère ne pas suivre le parcours coordonné de santé ?
Je paierai davantage. Difficile de savoir combien exactement, les médecins eux-mêmes s'y perdent. Dans tous les cas, pour saler un peu la facture du patient rebelle, les spécialistes de secteur 1 ont reçu l'autorisation de pratiquer un dépassement d'honoraires pouvant aller jusqu'à sept euros si leur patient n'est pas envoyé par son médecin traitant. L'addition pourra donc monter à 32 euros (voir tableau). Un dépassement d'honoraire que la Sécurité sociale ne compte pas assumer. Pire, elle l'alourdira un peu. En effet, au lieu de rembourser 70 % sur la base d'une consultation à 27 euros, elle ne remboursera que sur la base d'une consultation à 25 euros. Troisième coup de bâton éventuel pour freiner les consultations «sauvages» de spécialistes : le taux de remboursement par la Sécurité sociale pourra même être inférieur à 70 %. Le décret qui doit préciser ce taux de remboursement n'a pas encore été publié. Il devrait l'être dans les tout prochains jours.
La «baisse des remboursements sera modérée», a déclaré Xavier Bertrand, ministre de la Santé, au Journal du dimanche, «si elle atteignait 10 % cela représenterait de l'ordre de deux euros pour les patients qui ne respectent pas le parcours de soins». Le calcul fait hurler certains syndicats de généralistes. «Si l'on reprend les textes concernant les tarifs des actes techniques, cet optimisme n'est pas de mise : 17,5 % de droit au dépassement sur un électromyogramme à 121 euros, cela fait 22 euros !» dénonce le médecin Christian Lehmann. Reste à savoir si les spécialistes de secteur 1 seront effectivement tentés d'appliquer au maximum ces dépassements légaux d'honoraires. «Il n'y aura pas de flambée des tarifs, tente de rassurer le docteur Jean-François Rey, gastro-entérologue à Nice et président de l'UMESPE (Union nationale des médecins spécialistes confédérés), un syndicat qui revendique 8 000 spécialistes. Moi je dis à nos adhérents de jouer le jeu, de moduler les dépassements. Ils ne vont pas abuser car ils s'inquiètent de la solvabilité de leurs patients. Depuis deux mois, certains constatent déjà un ralentissement de leurs consultations, sans doute par anticipation.»
Une attitude raisonnable à laquelle ne croit pas Pierre Costes, président de MG-France (un des principaux syndicats de médecins généralistes). «Les tarifs vont exploser», tempête le syndicaliste, qui pense aussi que les spécialistes vont recourir en masse aux consultations à 40 euros, normalement prévues uniquement pour des avis d'expertise ponctuelles (voir tableau). Pour sa part, dans son rapport 2005, le Haut conseil pour l'assurance maladie a mis en garde contre les risques de médecine à deux vitesses. Il explique notamment que «les médecins spécialistes conservent (...) des incitations financières à l'accès direct» et qu'«ils pourraient donc être conduits à privilégier» la catégorie de patients les consultant directement. Rallongeant ainsi les délais d'attente pour les malades qui auront été envoyés par leur médecin traitant.
Ma mutuelle va-t-elle prendre en charge le complément ?
A l'heure actuelle, personne ne sait. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a demandé aux mutuelles et aux assurances complémentaires de «prendre en charge complètement les patients qui respectent le parcours de soins, ce que tous les contrats ne permettent pas aujourd'hui». Certaines ont signé un accord pour inciter leurs adhérents à jouer le jeu. Elles préviennent qu'elles ne prendront pas en charge les dépassements d'honoraires et ne se substitueront pas à la Sécurité sociale si celle-ci baisse ses taux de remboursement pour les visites directes chez le spécialiste. Leurs adhérents alors devront payer de leur propre poche le prix de leur liberté de consultation. Mais d'autres mutuelles pourraient accepter de tout payer (lire ci-dessous, l'interview de Jean-Pierre Davant). Un décret doit préciser comment, à partir du 1er janvier 2006, les complémentaires pourront rembourser les dépassements d'honoraires médicaux pour pouvoir bénéficier d'aides fiscales publiques.
La feuille de soins va-t-elle changer ?
Affirmatif. Les médecins ont reçu des exemplaires d'une nouvelle feuille de soins papier, où il est précisé dans quel cadre s'effectue l'acte médical : est-il à l'intérieur ou en dehors du parcours coordonné de soins ? Quant aux feuilles électroniques, télétransmises via la carte Vitale, l'Assurance maladie assure que tout sera prêt pour le 1er juillet. Mais cela suppose que les médecins modifient une série de codes pour la mise à jour du logiciel. Sceptique et récalcitrant, le syndicat de médecins MG-France a décidé de faire la grève du zèle. Ses adhérents sont invités à renvoyer les feuilles de soin papier, mais à refuser la transmission électronique. Enfin, le conseil de l'ordre des médecins a dénoncé un système «proche du labyrinthe», et juge que les tâches administratives du médecin vont être alourdies au détriment du temps médical. Il appelle donc les praticiens «à remplir le formulaire dans des conditions limitant le temps qu'ils y consacrent».
Cette "réforme" est encore évidemment une belle saloperie, qui s'attaque sans le dire à la liberté de choisir son praticien et à faire diminuer le nombre de consultation sous le fallacieux prétexte qu'il y aurait trop "d'abus de consommation médicale".
Un copain médecin généraliste m'a dit être favorable au boycott de cette mesure, estimant que si beaucoup de gens ne renvoyaient pas leur déclaration, le gouvernement ne pourrait faire appliquer cette mesure, ou du moins serait forcé d'en retarder l'application.
Au vu du bordel que ça a l'air d'être pour le moment, je crois qu'il n'avait pas tort...
En tous cas, j'ai suivi ses conseils et je n'ai pas renvoyé la feuille. Peut-être que ça deviendra un problème de ne pas la renvoyer, mais pour le moment, rien ne presse.
Et vous, qu'en pensez-vous ?