Informations ouvrières N°695 - Semaine du 9 au 15 juin 2005
Et il faudrait que cela continue ?...
Le 29 mai, le peuple français a dit : il faut en finir avec la politique dictée par l’Europe de Bruxelles. Dans un rassemblement de classe indiscutable, ouvriers, employés, paysans, chômeurs et jeunes ont dit : toutes les mesures qui découlent des directives européennes et qui détruisent nos droits, nos garanties et la démocratie, toutes ces mesures doivent être sans délai abrogées. Et trois jours plus tard, c’est ce qu’a dit le peuple des Pays-Bas dans un référendum encore plus massif. Et l’annonce par Blair de l’annulation du référendum prévu en Grande-Bretagne exprime la crainte que le peuple travailleur de Grande-Bretagne, à son tour, saisisse l’occasion ainsi fournie de dire : il faut en finir, maintenant, tout de suite, avec l’Union européenne !
Est-il possible de satisfaire au mandat du 29 mai sans mettre en cause le cadre du traité de Maastricht et des directives européennes ?
Prenez la question de l’emploi. La « guerre au chômage » constitue, paraît-il, l’objectif numéro un du gouvernement Chirac-de Villepin. Or, dans le seul secteur de la fonction publique d’Etat, un plan de 500 000 suppressions d’emplois est engagé ! D’une part, le transfert de 130 000 personnels de l’Education nationale et de l’Equipement vers les collectivités territoriales (et, au-delà, vers la privatisation), d’autre part, 370 000 suppressions d’emplois par non-remplacement des départs en retraite sur dix ans ! 500 000 suppressions d’emplois engagées avant le 29 mai… et qui se poursuivent après, comme si rien ne s’était passé.
Poursuivons. Depuis la Révolution française, tout citoyen peut postuler à un emploi public sur la base d’un recrutement par concours. En ce mois de juin doivent pourtant être instaurés les fameux emplois « pacte juniors », par lesquels 20 000 jeunes seraient embauchés pour une période de deux ans sans diplôme ni reconnaissance de qualification, pour une rémunération… entre 55 et 70 % du SMIC.
De quoi s’agit-il en réalité ? C’est l’application du fameux « pacte de stabilité » européen, qui enjoint de contenir les dépenses publiques dans les limites fixées par Maastricht des « 3 % » de déficit par rapport au PIB. En outre, s’appliquent ici les décisions européennes faisant obligation de régionaliser les institutions de l’Etat. S’applique aussi la directive européenne sur les CDD, corédigée par la CES, dont la transposition, prévue dans les prochains jours, vise à la généralisation de personnels hors statut de la fonction publique.
Peut-on accepter ?
La fermeture des écoles et des classes par milliers, la fermeture des lits dans les hôpitaux et les maternités, la privatisation-liquidation des bureaux de poste et des chemins de fer, n’est-ce pas tout cela qui a été rejeté le 29 mai ?
Et il faudrait que cela continue ainsi parce que l’exigent le traité de Maastricht et la politique de l’Union européenne ?
L’une des rares innovations dans le nouveau gouvernement est d’avoir rattaché la « réforme de l’Etat »… au ministère du Budget !
N’est-ce pas un aveu ?
Ce qu’on appelle la réforme de l’Etat a donc comme principale motivation… le respect des équilibres budgétaires européens contrôlés par la Banque centrale européenne ! C’est un même ministère qui va donc mettre en place la fameuse loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et qui va « réformer » l’Etat.
Mais qu’est-ce que la LOLF ? C’est une loi qui permet que les crédits jusque-là affectés aux emplois de la fonction publique, et qui tiennent compte des règles statutaires de cette dernière (incluant le respect des grades, des corps, des déroulements de carrière…), puissent être… affectés à d’autres dépenses, d’équipement par exemple.
Donc, un même ministre va pouvoir à sa guise remettre en cause le statut de la fonction publique, les droits et garanties arrachés par les personnels depuis plus d’un demi-siècle, et tout cela pour satisfaire aux exigences de Bruxelles !
Qu’on nous pardonne de répéter la question : n’est-ce pas justement cela qui a été rejeté le 29 mai ? Ne lit-on pas, d’ailleurs, dans le fameux rapport Pochard commandé en 2003 : « Le droit communautaire de la libre circulation (…) s’articule mal avec une fonction publique de carrière » ?
L’insistance mise par le nouveau Premier ministre à vouloir ne rien entreprendre désormais sans l’implication des organisations syndicales n’a échappé à aucun observateur. Ce gouvernement condamné par le vote du 29 mai voudrait impliquer les organisations syndicales dans la politique dictée par Bruxelles.
Faut-il répondre à cette sollicitation ? Faut-il, en particulier, au lendemain du 29 mai, que les organisations syndicales entament avec les représentants du gouvernement une « négociation », dont l’objet serait « la refonte de la grille de la fonction publique », c’est-à-dire la remise en cause de l’indice et des structures de grades et de corps qui garantissent l’existence de la fonction publique ?
Ne faut-il pas, au contraire, si l’on veut remettre la démocratie sur ses pieds, permettre aux organisations syndicales de négocier librement à partir des revendications des salariés, et de rien d’autre ? Et, dans ce cas, la condition d’une telle liberté n’est-elle pas l’abrogation du traité de Maastricht et de toutes les directives de l’Union européenne qui en découlent ?
Daniel Gluckstein