
... est incontestablement un grand écrivain haïtien. Il a fait récemment une tournée dans son pays. Voilà ce qu'en ont dit les militants haïtiens de "Voix des travailleurs", dans leur journal :
a écrit :QUAND RENÉ DEPESTRE, EX-JEUNE MILITANT, EX-DÉFENSEUR
DE LA RÉVOLUTION CUBAINE. EX-STALINIEN...JETTE LE BÉBÉ AVEC L'EAU SALE
L'écrivain franco-haïtien René Depestre, septuagénaire, était de passage en Haïti et a donné au local de l'Institut français d'Haïti une conférence le 22 février dernier présentée comme une cérémonie d'adieu, laquelle a été suivie par tout un parterre de notables et d'intellectuels connus. Beaucoup de jeunes ont également fait le déplacement pour venir l'écouter dans son intervention : « Pour un pays debout dans sa culture ».
René Depestre est indéniablement un grand écrivain. Il n'est pas de notre propos de discuter ses oeuvres, n'y émettre un avis sur des choix littéraires qui sont les siens. Nous n'avons pas, non plus l'intention dans cet article de discuter sa vision de la société haïtienne telle qu'elle apparaît dans ses oeuvres. Tout au plus, aurions-nous envie de dire que si quelqu'un veut à travers des romans avoir une certaine vision de cette société, il la trouvera dans les romans de Edris Saint-Amand. Jacques Roumain, Stephen Alexis ; de Edgar Numa ou pour remonter dans le temps, de Fernand Hibbert, Frédéric Marcelin, bien plus que dans l'oeuvre de Depestre. A l'exception peut-être de « Le mât de cocagne ». Mais il a l'excuse de sa longue période d'éloignement et de plus, il a choisi un champ littéraire tourne vers autre chose que la description de la société et c'est parfaitement son droit La littérature ne peut apporter à la société que si les écrivains sont libres de leurs choix.
Mais, pendant toute une partie de sa vie, Depestre est passé pour un mentor politique, volontairement ou involontairement. Est-ce dû à sa participation à l'effervescence des années 1945-1948 ? Est-ce dû à ce qu'il appelle sa « longue trajectoire dans l'orbite communiste » ? – et qui s'est déroulée surtout dans le mouvement stalinien international. Est-ce dû à ses longs séjours à Prague, à Moscou, au Vietnam ou en Chine ? A ses amitiés — ou sa proximité avec les dirigeants cubains ou chiliens au temps d'Allende ? Aujourd'hui, Depestre est revenu de tout cela, affirme-t-il, mais il est aussi revenu du communisme qu'il assimile, aujourd'hui encore, au stalinisme. Dans le passé, c'était pour en dire du bien, aujourd'hui, pour en dire du mal.
Apparemment, il était suffisamment bien vu de ces dirigeants staliniens pour avoir traîné ses savates dans un grand nombre de pays dits socialistes ou démocraties populaires.
Dans sa prime jeunesse, il a justifié les illusions démocratiques des années 1945-1948. Il avait certes, à l'époque, l'excuse de la jeunesse, mais quand même ! Ensuite, il a justifié pendant des années le stalinisme ou le nationalisme à la Castro. Quand, enfin, il a rejeté le stalinisme, il a rejeté le communisme avec. Aujourd'hui, il se présente comme un homme revenu de tout, individualiste. Mais il a quand même tenu, pour récemment encore, à cautionner Aristide non seulement tel qu'Aristide a voulu se montrer en 1990 lors de son élection par les classes pauvres de cette société, mais aussi ramené dans les fourgons de l'armée américaine. Ce qui l'a amené, en passant, à cautionner l'intervention américaine.
Il est difficile de savoir quelle est l'influence directe, réelle, de Depestre sur les larges masses haïtiennes – probablement, extrêmement réduites, malgré ses talents littéraires. Les classes pauvres d'Haïti sont trop exploitées, trop écrasées pour pouvoir apprécier Depestre et malheureusement, même simplement pour pouvoir le lire ou pour lire quiconque.
Mais si influence il y a eu, elle n'est malheureusement pas positive. Depestre n'a certes pas été ni meilleur, ni pire que bien d'autres membres de cette intelligentsia haïtienne, cultivée, connaissant le monde, capables de jugement, qui ont cautionné, couvert de leur autorité toutes les impasses, toutes les illusions, tous les faux espoirs, qu'on avait dans le passé proposés aux classes pauvres haïtiennes, du stalinisme à « l'aristidisme » au lieu de contribuer à les éclairer sur le chemin de leur libération.
Comme il le dit lui-même, il a un avis, qu'il veut modeste, mais qui se répand aussitôt dans les médias, dans un journal aussi connu que le Monde diplomatique auquel il a accordé une longue interview. En tant que personne connue — comme artiste, ce qu'il dit porte au loin.
On est donc fondé à faire la critique non de ses oeuvres littéraires, mais de sa participation épisodique à la politique et des erreurs que génère sans doute un point de vue qu'on peut qualifier de lointain, superficiel et léger.
Depestre émet donc des opinions, des avis sur ce qui s'est passé en Haïti, sur ce qu'il faudrait faire, etc. Parfois, surtout en ce qui concerne l'analyse du passé et des raisons de l'échec des régimes qui se sont succédé depuis ; il a en partie raison en analysant les causes internes, le type de régime, etc. mais il « oublie » la responsabilité des grands pays capitalistes puis de l'impérialisme qui ont tenu ce pays en échec, en tutelle, durant tout le l9ème et 20ème siècle.
C'est symptomatique du raisonnement de Depestre. Il dit avoir été marxiste pendant des années, (plus stalinien que marxiste en fait) et aujourd'hui il ne lui en reste pas grande chose. Il n'a pas changé que ses idées d'ailleurs ; il a changé également l'orthographe de son nom pour lui donner une connotation nobiliaire sur les conseils d'un historien belge qui s'est payé un billet d'avion pour venir le rencontrer à Cuba et lui apprendre qu'il avait un comte belge du nom de Depestre dans sa famille.
Ses analyses sont d'un conformisme déprimant ; il parle de « mondialisation » (à la française, comme si c'était mieux, pour les Africains par exemple !!) de l'aide des pays riches, qui auraient été prêts à donner des sommes importantes au retour d'Aristide et que ce sont les Haïtiens qui n'ont pas su saisir l'opportunité, etc.
En fin de compte, il ne dit pas autrement que le Premier ministre actuel, Gérard Latortue, il faut tendre sa sébile et on y versera quelque chose. Malgré sa grande culture, René Depestre ne peut comprendre que ce sont les classes dominantes, les riches, qui bloquent toute évolution en Haïti, par égoïsme de classe, par rapacité, soif de profits, etc. Ce ne sont pas « les Haïtiens » en général qui en sont responsables, mais bien ces gens-là de la classe dominante, qui ne peuvent accepter un régime qui leur imposerait des salaires décents dans les parcs industriels, et dans les autres entreprises, qu'on les oblige à payer des taxes et impôts pour permettre l'existence de services publics, qu'on les oblige à réinvestir une part de leurs bénéfices sur place dans des activités utiles à la population du pays, etc. que leurs mouvements de fonds soient contrôlés par un Etat haïtien au service de la population. C'est cela le fond du problème et donc la voie vers la solution passe par cette compréhension car elle permet de déterminer contre quoi et contre qui agir pour changer les choses dans ce pays.
René Depestre se lance dans des grandes phrases poético-dramatiques, citant Césaire, voire Régis Debray en appelant au fond qu'aux seuls intellectuels et notables, comme ceux qui l'écoutaient lors de sa conférence. Il leur dit de trouver une voie haïtienne pour mobiliser les talents, l'énergie, la créativité de ce peuple pour que les choses changent. Mais il n'a rien à dire au peuple lui-même, par exemple pour lui demander de prendre en mains lui-même ses problèmes, son destin, etc. en s'appuyant sur ses propres luttes.
René Depestre a dit, il y a quelques années, « adieu à la négritude », après l'adieu au marxisme ; il se réfère tant et plus à la culture universelle, ce en quoi nous sommes d'accord, mais ce n'est pas la petite minorité ayant accès à une telle culture qui changera les choses. Ce sont les grandes masses en mouvement, en action jusqu'à renverser l'ordre établi des profiteurs égoïstes. Oh ! certes, les intellectuels, les gens qui sont instruits, tous ceux- là pourraient jouer un rôle important dans une telle lutte en facilitant l'accès des travailleurs, des masses pauvres à ce qu'il leur manque de culture pour mieux se libérer de l'oppression et de l'exploitation. Mais il faudrait être capable de s'engager dans cette voie-là comme l'a fait René Depestre quand il était jeune, au temps du magasine « La Ruche », au temps où il a servi le stalinisme croyant servir le communisme ! On a le droit de se tromper ou d'avoir été trompé, dans ce cas-là on corrige ses erreurs et on continue dans le même camp. Mais apparemment, agir ainsi est trop difficile pour certains intellectuels à qui le monde bourgeois offre toutes sortes de possibilités, de facilités, morales et matérielles (pas négligeable cet aspect, quoi qu'ils en disent), des honneurs, une reconnaissance d'homme qui compte et qui peut prononcer des oracles.
Le jeune René Depestre était dans la bonne voie, le René Depestre d'aujourd'hui malheureusement n'est plus qu'un artiste venu faire ses adieux à Haïti, à Jacmel. C'est dommage ! Il nous restera d'avoir aimé et fait aimer certains de ses livres dont « le Mât de cocagne ».
Nous avons porté une critique sur l'homme qui «parlait politique, du communisme, etc », nous ne pouvions nous permettre de juger l'artiste. Seul l'avenir dira ce qu'il deviendra et la place que les générations futures lui laisseront. En attendant, aujourd'hui, pour le combat qu'il y a à mener, c'est bien avec le marxisme et le communisme, non trahi, non déformé par le stalinisme, que les jeunes générations pourront se libérer et libérer les opprimés ; c'est bien par la révolution qu'ils y parviendront et non par l'adaptation au monde bourgeois et à ses thèses éculées sur la mondialisation et autres fadaises que nous a servies René Depestre sur une prétendue « société moderne démocratique ».
C'est une société vieillissante, dirigée par une classe parasitaire, qui se survit en pillant les quatre coins du monde, en semant la famine, l'oppression et les guerres partout sur cette planète depuis cent ans !