Un autre regard sur les islams

Message par Proudhon » 04 Mars 2005, 13:00

Un article diffusé par le réseau SELS et publié dans Les Inrockuptibles cette semaine, de Philippe Corcuff, qui tente de sortir des affrontements manichéens et des essentialismes réciproques autour de la question de l'islam (la réduction de ce phénomène socio-historique complexe à une essence unique, soit négative, soit positive), pour envisager la variété des pratiques sociales qui le travaillent. Bref, ni Valière, ni islamo-gauchisme !


a écrit :
Le 02-03-2005

Ci-joint, pour information, un texte demandé par Les Inrockuptibles en solidarité avec Florence Aubenas et Hussein Hanoun à Philippe Corcuff, qui traite de la question de l'islam, souvent traité de manière essentialiste et manichéenne.

SELS provisoire

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Les médias et la guerre > En signe de solidarité avec Florence Aubenas, journaliste de Libération, et Hussein Hanoun al-Saadi, son interprète, Les Inrocks invitent chercheurs et journalistes à réfléchir sur leur disparition et les questions qu’elle suscite.


Le regard du sociologue
En solidarité avec Florence Aubenas et Hussein Hanoun
Par Philippe Corcuff*

“De la postmodernité des années quatre-vingt, restera ce point de réel : nous sommes ceux qui ont à tenir compte de la complexité des choses”

Florence Aubenas et Miguel Benasayag, Résister, c’est créer, La Découverte, 2002.



Un grand reporter comme Florence Aubenas, dans le travail en Irak avec un guide-interprète comme Hussein Hanoun, est quotidiennement confronté à la complication des affaires humaines. Le danger, le climat d’incertitude, les bouillonnements du réel, avivent d’autant plus le sens des nuances, véritable boussole éthique. Quand sa vie est menacée par le moindre faux-pas, par une minuscule erreur d’appréciation, les pensées-bulldozers qui aplanissent par avance le terrain de l’enquête sont de peu de secours. Seuls les porte-micros d’idées reçues peuvent s’en contenter, calfeutrés dans leurs hôtels internationaux, biberonnant les “ informations officielles ” servies par les puissants du moment. Cet imbroglio humain sur le sol irakien renvoie notamment aux complications de l’islam qui suscitent tant de fantasmes simplificateurs.

Ici donc, à la suite de l’ignoble crime du 11 septembre, les esprits se sont mis à essentialiser et à diaboliser. “ L’islam ” est peu à peu devenu un terme porteur d’une essence maléfique, synonyme de “ menace ”. L’amalgame s’est transformé en mode de pensée : “ islam ”, “ islamisme ”, “ intégrisme ” et “ terrorisme ” ont été couramment associés, assimilés. L’essentialisme - en tant que réduction d’une réalité sociale complexe à une “ essence ” exclusive, négative ou positive - a régné comme une nouvelle “ pensée unique ”, à droite, à gauche et ailleurs. Un essentialisme portant au manichéisme, car face à un islam essentialisé en “ barbare ”, se profile un Occident (pour les plus bushiens) ou une Europe (pour la version “ gauche ”) “ civilisés ”. Editorialistes y voyant une occasion de gonfler leurs vocalises rhétoriques du sens de leur propre importance, intellectuels médiatiques assénant une fois de plus les versets de leur ignorance, essayistes dénicheurs du dernier “ complot ” commercialement juteux, etc. : de nouveaux Croisés ont amplifié dans l’espace public les peurs de secteurs de la population. Claude Lévi-Strauss rappelait, dans son célèbre texte pour l’UNESCO de 1952 intitulé Race et histoire, que cette attitude, somme toute assez ancienne dans les sociétés humaines, avait pour caractéristique de refuser “ d’admettre le fait même de la diversité culturelle ”.  “ On préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit ”.

Cet essentialisme diabolisant a quelque chose à voir, dans sa vision du monde, avec l’essentialisme des fondamentalismes musulmans. Et certains tenants du Jihad contre l’Occident mettent leur rhétorique réductrice au service d’entreprises meurtrières. Leur haine assassine tente alors de trouver des justifications dans les rapports historiques de domination entre le Nord et le Sud. Quelques Occidentaux marginaux leur emboîtent le pas, toujours à la recherche d’une figure mythique et purificatrice de “ l’Opprimé ”, afin de calmer leurs petites culpabilités et leurs angoisses existentielles. “ Les Juifs ” incarnent, une fois de plus, la figure “ idéale ” du bouc émissaire, cristallisant les ressentiments contre l’Occident, les rivalités religieuses, les effets de l’abcès du conflit israélo-palestinien et des stigmatisations plus ancestrales. Judéophobie et islamophobie se présentent comme les deux faces antagonistes, mais liées, de l’essentialisme contemporain, dans un contexte où des Huntington à la petite semaine célèbrent “ le choc des civilisations ”.

Les sciences sociales se sont efforcées depuis longtemps d’échapper à de tels essentialismes. Elles ont tenté de porter un regard tout à la fois compréhensif et critique sur les complexités humaines. Compréhensif, pour essayer de comprendre les raisons humaines, avant de juger, pour condamner ou pour louer. Comprendre tout particulièrement les raisons de ceux qui parlent avec d’autres mots, d’autres silences, d’autres référents culturels, d’autres expériences sociales. Comprendre la variété des raisons, la diversité des comportements, leurs contradictions. Critiques, pour ne pas se contenter des paroles prononcées, mais démasquer les formes d’oppression, les rapports de forces, les intérêts politiques et économiques, le non-dit des violences sociales. La pente compréhensive du regard sociologique prend au sérieux la pluralité humaine chère à Claude Lévi-Strauss. Sa pente critique appuie ses jugements sur nos fragiles étalons de valeur, c’est-à-dire sur ce dont nous faisons la pari de l’universalisable dans nos traditions morales et politiques (les valeurs d’égalité des droits, contre les discriminations sociales, sexistes, racistes ou homophobes, de pluralisme et de démocratie, de séparation des églises et des pouvoirs publics, etc.). Un regard compréhensif et critique, ne prenant appui ni sur un universalisme arrogant et définitif, ni sur un relativisme dissolvant. Ce type de regard sociologique a permis, par exemple, de comprendre qu’il y avait des usages sociaux du “ foulard islamique ” en France. Que certains usages traduisaient une demande de différenciation personnelle, que d’autres relevaient de l’imposition d’un pouvoir patriarcal, que d’autres exprimaient une revendication politico-religieuse, que d’autres encore, etc. Cette posture apparaît analogue à celle des grands reporters qui, en Irak et ailleurs, s’imprègnent des différences tout en traquant les rapports de pouvoir. Ils sont si rares et précieux dans le brouhaha médiatique.


* Philippe Corcuff est maître de conférences de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon.


Paru dans Les Inrockuptibles

N° 483, du mercredi 2 au mardi 8 mars 2005
Proudhon
 
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Message par Valiere » 04 Mars 2005, 17:11

Une position intermédiaire... Oh non! confuse mais bien écrite oui... Je préfère le positionnement de LO qui sans prendre appui sur la laïcité est beaucoup moins confus.
Valiere
 
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