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Message Publié : 18 Fév 2005, 14:32
par faupatronim
(Le Monde @ vendredi 18 février 2005 a écrit :Que faire des profits-records de l'or noir  ?



Avec 85 milliards de dollars de bénéfices nets cumulés pour les cinq majors mondiales, l'industrie pétrolière dispose d'une force de frappe sans précédent. Une puissance financière sous-utilisée, faute de gisements où investir. Une nouvelle phase de concentration s'annonce.


Près de 85 milliards de dollars, soit près de 65 milliards d'euros. C'est le montant total des profits engrangés par les cinq premiers groupes pétroliers privés mondiaux en 2004.

Après ExxonMobil (25,33 milliards de dollars), Shell (18,5 milliards), BP (16,2 milliards) et ChevronTexaco (13,3 milliards), Total a rejoint le club des groupes qui dégagent des profits à deux chiffres (en milliards de dollars) : 11,2 milliards en 2004 (9 milliards d'euros). "Et le meilleur est encore à venir", a lâché le directeur général de BP, John Browne, avec gourmandise lors de la présentation des comptes, le 6 février.

En 2005, le prix du pétrole brut, premier facteur de croissance des bénéfices, devrait rester élevé en raison à la fois de la poursuite des croissances chinoise et indienne, de l'incertitude en Irak et de l'affaire Ioukos en Russie.

"Des profits obscènes, alors que le prix de l'essence à la pompe, du gaz et de l'électricité domestiques ne fait qu'augmenter", s'est indigné Tony Woodley, le chef du syndicat britannique T & G, qui propose d'instaurer une taxe exceptionnelle (windfall tax) sur les bénéfices excessifs des géants des hydrocarbures, avec le soutien de nombreux députés travaillistes. Une proposition vite écartée par le gouvernement Blair, à quelques semaines d'élections législatives outre-Manche.

COURSE AUX RÉSERVES

Mais le débat est relancé sur l'usage que font les compagnies de leurs mégaprofits. Selon une étude de Lehman Brothers, les investissements du secteur dans l'exploration devraient s'élever à 177 milliards de dollars en 2005, soit une hausse de 5,7 % par rapport à 2004. En 2004, selon l'Institut français du pétrole (IFP), les investissements engagés, dans l'ensemble du monde (hors Chine et Russie), pour l'extraction et la production de pétrole avaient progressé de 10 %.

On est loin des taux de croissance des bénéfices réalisés par les majors : + 26,1 % pour BP, + 48 % pour Shell, + 17,7 % chez ExxonMobil, + 23 % pour Total (le résultat le plus fort jamais réalisé en France), + 85 % pour ChevronTexaco (son meilleur résultat depuis sa création, il y a cent vingt-cinq ans).

La décorrélation des profits et des investissements n'est certes pas nouvelle. "Le poids des capitaux investis dans la seule activité d'exploration continue de décroître et ce depuis déjà une dizaine d'années", relevait récemment une étude de l'Institut français du pétrole (Le Monde du 20 octobre).

Les compagnies pétrolières privées ont pourtant toutes annoncé de fortes hausses de leurs investissements pour cette année. Shell compte passer d'un rythme annuel de 13,4 milliards de dollars en 2004 à 15 milliards en 2005 et 2006. Total va porter les siens à 12 milliards en 2005 (contre 9 milliards de dollars en 2003), "dont 70 % pour l'exploration-production", précise son PDG Thierry Desmarest.

Une véritable course aux réserves est engagée, entre les compagnies privées elles-mêmes et avec les sociétés d'Etat des pays producteurs. "C'est classique, souligne M. Desmarest. Quand les prix du pétrole sont bas, les gouvernements des pays producteurs poussent leurs sociétés nationales à s'ouvrir aux investissements étrangers. Quand les prix remontent, elles se referment..."

Depuis plusieurs années, les compagnies extraient davantage de pétrole et de gaz qu'elles n'en découvrent. Or, selon le consultant Sanford Bernstein, pour accroître sa production de 3 % l'an, une compagnie devrait atteindre 137 % de taux de renouvellement annuel de ses réserves. On est loin du compte...

Shell a dû réduire d'un tiers les "réserves prouvées" inscrites à son bilan, à la suite du scandale sur la surestimation de ses avoirs. Le "taux de remplacement" du groupe anglo-néerlandais serait tombé entre 45 % et 55 % en 2004.

ExxonMobil est tout juste parvenu à maintenir le niveau de ses réserves. Quant à BP, s'il affiche un taux de remplacement de 106 % (sans compter sa joint-venture russe TNK-BP), ce taux tombe à 78 % si l'on applique les critères plus sévères de la SEC, l'autorité de surveillance des marchés américains.

Pour Total, ce taux ressort à 120 % pour les filiales consolidées et à 106 % pour l'ensemble des filiales. Cela correspond à une durée de vie de 11,8 années de ses réserves "prouvées".

Les découvertes de super-gisements sont de plus en plus rares. Accéder aux immenses réserves du Proche-Orient, fermées aux investissements étrangers, est quasi impossible, sauf dans le gaz. Quant à la conquête de nouveaux eldorados pétroliers plus difficiles d'accès, elle gonfle les coûts de production (location de plates-formes, affrètement de navires et d'hélicoptères, recours aux technologies les plus sophistiquées...).

Les majors doivent faire face à une nouvelle concurrence, celle des sociétés publiques chinoises d'hydrocarbures, omniprésentes dans les pays producteurs, où Pékin les pousse à augmenter leurs capacités de production pour rendre ses approvisionnements moins dépendants du pétrole et du gaz russes.

SHELL CONVOITÉ

Le géant gazier russe Gazprom, précisément, a augmenté de 11,9 % le volume de ses exportations en 2004. Le Venezuela, quant à lui, a décidé de court-circuiter les majors en établissant des partenariats directs avec le Qatar, l'Iran, la Chine et la Russie.

Quant aux éventuelles diversifications, elles se heurtent à l'opposition des marchés, qui exigent un recentrage sur le métier de base. Ce qui explique la tendance à se délester de la chimie ou des matières premières non pétrolières, comme va le faire Total, qui doit se séparer de sa nouvelle filiale chimique Arkema en 2006.

Tout semble donc réuni pour relancer le mouvement de fusions-acquisitions au sein du secteur. Les banques d'affaires font des offres de services aux majors en mal de taille critique, pour détecter la proie à avaler, le poids mort à liquider, le partenariat à construire. Shell s'intéresserait à des firmes moyennes, type Unocal ou BG Group.

Mais, pour nombre d'analystes, le groupe anglo-néerlandais, après ses déboires, pourrait bien être la prochaine grande proie.

Pascal Galinier et Marc Roche (à Londres)