
La future loi fondamentale de l'Union européenne en débat
Dieu est-il constitutionnel ?
La Convention réunie à Bruxelles se penchait hier sur l'inclusion d'une référence religieuse dans le texte.
Par Jean QUATREMER
vendredi 28 février 2003
Bruxelles (UE) de notre correspondant
Dieu est certes partout, mais ses zélateurs souhaitent que Son nom soit inscrit en toutes lettres dans la future Constitution de l'Union élargie. On n'est jamais assez prudent. Les Eglises chrétiennes, qui militent bruyamment en faveur de cette invocatio Dei, espèrent bien parvenir à leurs fins en faisant jouer leurs relais au sein de la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d'Estaing. La chrétienté peut compter sur des soutiens nombreux et diversifiés, de l'Italie à la Pologne, en passant par la Slovaquie ou le Luxembourg, comme l'a montré le débat, hier, en séance plénière, consacré aux premiers articles du projet de Constitution. Même si les partisans de Dieu se recrutent essentiellement à droite, on y trouve aussi des socialistes, grâce à la Pologne qui, comme un seul homme, s'est rangée derrière le Saint-Siège.
«Source de la beauté». Le débat s'est cristallisé autour de l'article 2 consacré aux valeurs de l'Union. Plusieurs conventionnels ont proposé de l'amender afin d'y introduire une référence religieuse. Les plus radicaux, au nom du groupe du Parti populaire européen (PPE, démocrates-chrétiens et conservateurs), suggèrent une formulation calquée sur le préambule de la Constitution polonaise : «Les valeurs de l'Union comprennent les valeurs de ceux qui croient en Dieu comme source de la vérité, de la justice, du bien et de la beauté de même que celles de ceux qui ne partagent pas cette foi et cherchent ces valeurs universelles dans d'autres sources.» Une formulation qui plaît aussi à Jacques Santer, représentant du Luxembourg, à Erwin Teufel, député allemand démocrate-chrétien, à Frantisek Kroupa, député tchèque (droite chrétienne), à Ivan Korcok, représentant du gouvernement slovaque, au député socialiste polonais Jozef Oleksy ou encore au député danois Peter Skaarup.
Soucieux de ne pas heurter de front le camp laïc, d'autres conventionnels jouent plus en finesse, à l'image du vice-président du Conseil italien, Gianfranco Fini, qui propose une simple mention des «racines communes judéo-chrétiennes» de l'Europe. «L'identité européenne peut difficilement être séparée des traditions religieuses», a fait valoir hier le représentant du gouvernement italien. Le député Marco Follini suggère, lui, de mêler dans la même phrase «les principes découlant des grandes traditions religieuses et de la culture laïque des peuples européens». L'eurodéputée Cristiana Muscardini, également italienne, propose de ne pas s'arrêter en si bon chemin : pourquoi ne pas inclure les valeurs «de la tradition gréco-romaine, judéo-chrétienne, laïque et libérale» ?
«Impact juridique». Cette offensive des Eglises n'est pas seulement motivée par la beauté du geste. Comme l'explique Jonathan Faull, porte-parole de la Commission, toute mention du fait religieux au titre des «valeurs de l'Union» aura un «impact juridique». «Cela aura des conséquences importantes sur l'interprétation des textes européens. Il ne s'agit pas seulement d'un débat philosophique, explique Faull. Les pères de la Constitution américaine seraient sans doute surpris d'apprendre l'impact que la mention de Dieu a, deux siècles plus tard, sur la reconnaissance du droit à l'avortement»... La Commission, prudente, a d'ailleurs fait procéder à une étude sur la question. Elle souligne les dangers d'une telle référence.
C'est pour éviter tout mélange des genres que les défenseurs de la laïcité ont donné de la voix. «Il y a parmi nous des monarchies et des républiques, des Etats unitaires et des Etats fédéraux. Certains Etats sont laïcs, d'autres se réfèrent à un fondement religieux», a fait valoir l'eurodéputé français Alain Lamassoure. Giscard estime qu'il est «difficile de faire (de la religion, ndlr) un sujet de contentieux juridique et politique de l'Union». «La laïcité est la force motrice des progrès enregistrés depuis le siècle des lumières», a lancé le Turc Oguz Demiralp, représentant du gouvernement islamiste modéré, sans doute pas dupe de la volonté de certains de s'ériger en «club chrétien».
«L'Europe n'est ni monoreligieuse ni monoculturelle et son modèle est fondé sur l'Etat impartial», a clamé Louis Michel, le chef de la diplomatie belge. Son collègue Dominique de Villepin a appelé à ne pas rouvrir «les débats difficiles, déjà tranchés par la précédente Convention sur la Charte des droits fondamentaux». En 2000, lors de la discussion de ce texte, les Eglises s'étaient déjà mobilisées. La France, gauche et droite réunies, avait bataillé ferme pour éviter toute référence à la religion. Finalement, le préambule de la Charte se contente de rendre hommage au «patrimoine spirituel et moral» de l'Union. Du moins en français. Car la version allemande, elle, parle d'un héritage «spirituel-religieux «(«geistig-religiös»)...
Concessions. Contrairement à ce que croit Paris, le débat n'est donc pas tranché. Si la Charte sert de préambule à la future Constitution, il faudra se mettre d'accord sur la traduction, le texte devenant alors juridiquement contraignant.
Si les tenants de la laïcité sont suffisamment nombreux pour faire échouer toute tentative d'introduire le fait religieux comme source de droit, ils devront faire des concessions aux Eglises. Catholiques, protestants et orthodoxes devraient obtenir, en particulier, que la déclaration n° 11 du traité d'Amsterdam qui garantit le respect du statut des Eglises et des communautés religieuses soit reprise dans la Constitution. Un commissaire européen, laïc, quelque peu étonné par l'ampleur de ce débat, a proposé, mercredi, de citer Dieu : «Une fois la Constitution rédigée, on pourrait ajouter : "Que Dieu nous pardonne !"» .
Dieu est-il constitutionnel ?
La Convention réunie à Bruxelles se penchait hier sur l'inclusion d'une référence religieuse dans le texte.
Par Jean QUATREMER
vendredi 28 février 2003
Bruxelles (UE) de notre correspondant
Dieu est certes partout, mais ses zélateurs souhaitent que Son nom soit inscrit en toutes lettres dans la future Constitution de l'Union élargie. On n'est jamais assez prudent. Les Eglises chrétiennes, qui militent bruyamment en faveur de cette invocatio Dei, espèrent bien parvenir à leurs fins en faisant jouer leurs relais au sein de la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d'Estaing. La chrétienté peut compter sur des soutiens nombreux et diversifiés, de l'Italie à la Pologne, en passant par la Slovaquie ou le Luxembourg, comme l'a montré le débat, hier, en séance plénière, consacré aux premiers articles du projet de Constitution. Même si les partisans de Dieu se recrutent essentiellement à droite, on y trouve aussi des socialistes, grâce à la Pologne qui, comme un seul homme, s'est rangée derrière le Saint-Siège.
«Source de la beauté». Le débat s'est cristallisé autour de l'article 2 consacré aux valeurs de l'Union. Plusieurs conventionnels ont proposé de l'amender afin d'y introduire une référence religieuse. Les plus radicaux, au nom du groupe du Parti populaire européen (PPE, démocrates-chrétiens et conservateurs), suggèrent une formulation calquée sur le préambule de la Constitution polonaise : «Les valeurs de l'Union comprennent les valeurs de ceux qui croient en Dieu comme source de la vérité, de la justice, du bien et de la beauté de même que celles de ceux qui ne partagent pas cette foi et cherchent ces valeurs universelles dans d'autres sources.» Une formulation qui plaît aussi à Jacques Santer, représentant du Luxembourg, à Erwin Teufel, député allemand démocrate-chrétien, à Frantisek Kroupa, député tchèque (droite chrétienne), à Ivan Korcok, représentant du gouvernement slovaque, au député socialiste polonais Jozef Oleksy ou encore au député danois Peter Skaarup.
Soucieux de ne pas heurter de front le camp laïc, d'autres conventionnels jouent plus en finesse, à l'image du vice-président du Conseil italien, Gianfranco Fini, qui propose une simple mention des «racines communes judéo-chrétiennes» de l'Europe. «L'identité européenne peut difficilement être séparée des traditions religieuses», a fait valoir hier le représentant du gouvernement italien. Le député Marco Follini suggère, lui, de mêler dans la même phrase «les principes découlant des grandes traditions religieuses et de la culture laïque des peuples européens». L'eurodéputée Cristiana Muscardini, également italienne, propose de ne pas s'arrêter en si bon chemin : pourquoi ne pas inclure les valeurs «de la tradition gréco-romaine, judéo-chrétienne, laïque et libérale» ?
«Impact juridique». Cette offensive des Eglises n'est pas seulement motivée par la beauté du geste. Comme l'explique Jonathan Faull, porte-parole de la Commission, toute mention du fait religieux au titre des «valeurs de l'Union» aura un «impact juridique». «Cela aura des conséquences importantes sur l'interprétation des textes européens. Il ne s'agit pas seulement d'un débat philosophique, explique Faull. Les pères de la Constitution américaine seraient sans doute surpris d'apprendre l'impact que la mention de Dieu a, deux siècles plus tard, sur la reconnaissance du droit à l'avortement»... La Commission, prudente, a d'ailleurs fait procéder à une étude sur la question. Elle souligne les dangers d'une telle référence.
C'est pour éviter tout mélange des genres que les défenseurs de la laïcité ont donné de la voix. «Il y a parmi nous des monarchies et des républiques, des Etats unitaires et des Etats fédéraux. Certains Etats sont laïcs, d'autres se réfèrent à un fondement religieux», a fait valoir l'eurodéputé français Alain Lamassoure. Giscard estime qu'il est «difficile de faire (de la religion, ndlr) un sujet de contentieux juridique et politique de l'Union». «La laïcité est la force motrice des progrès enregistrés depuis le siècle des lumières», a lancé le Turc Oguz Demiralp, représentant du gouvernement islamiste modéré, sans doute pas dupe de la volonté de certains de s'ériger en «club chrétien».
«L'Europe n'est ni monoreligieuse ni monoculturelle et son modèle est fondé sur l'Etat impartial», a clamé Louis Michel, le chef de la diplomatie belge. Son collègue Dominique de Villepin a appelé à ne pas rouvrir «les débats difficiles, déjà tranchés par la précédente Convention sur la Charte des droits fondamentaux». En 2000, lors de la discussion de ce texte, les Eglises s'étaient déjà mobilisées. La France, gauche et droite réunies, avait bataillé ferme pour éviter toute référence à la religion. Finalement, le préambule de la Charte se contente de rendre hommage au «patrimoine spirituel et moral» de l'Union. Du moins en français. Car la version allemande, elle, parle d'un héritage «spirituel-religieux «(«geistig-religiös»)...
Concessions. Contrairement à ce que croit Paris, le débat n'est donc pas tranché. Si la Charte sert de préambule à la future Constitution, il faudra se mettre d'accord sur la traduction, le texte devenant alors juridiquement contraignant.
Si les tenants de la laïcité sont suffisamment nombreux pour faire échouer toute tentative d'introduire le fait religieux comme source de droit, ils devront faire des concessions aux Eglises. Catholiques, protestants et orthodoxes devraient obtenir, en particulier, que la déclaration n° 11 du traité d'Amsterdam qui garantit le respect du statut des Eglises et des communautés religieuses soit reprise dans la Constitution. Un commissaire européen, laïc, quelque peu étonné par l'ampleur de ce débat, a proposé, mercredi, de citer Dieu : «Une fois la Constitution rédigée, on pourrait ajouter : "Que Dieu nous pardonne !"» .