Témoignage de Stéphan Hessel, retour d'Israël.

Message par Louis » 20 Fév 2003, 19:59

Autour de Christiane et Stéphane Hessel, un groupe d'intellectuels français s'est dernièrement rendu en Israël pour, en situation, pouvoir s'informer du conflit israélo-palestinien. Le choc éprouvé devant les réalités de l'occupation israélienne est le dénominateur commun de leurs témoignages.

Rencontre avec cet ambassadeur de France, ancien de la France libre, déporté à Buchenwald, qui fut il y a quelques années médiateur dans le conflit des sans-papiers.

Vous êtes de retour après une visite de six jours en Israël. Qu'avez-vous perçu des conséquences du conflit armé sur la société civile en Israël et dans les territoires occupés ?

Stéphane Hessel. Précisons d'abord que ce voyage était celui d'un ami de longue date de l'Etat d'Israël. J'ai suivi, depuis 1948, à l'ONU même, attentivement, la création puis l'évolution de l'Etat d'Israël : ses difficultés à trouver sa place, ses réussites aussi. Mais force est d'avouer que j'ai été choqué durant ma visite. De visu, la situation des Palestiniens sous occupation israélienne est catastrophique. Leur condition d'existence est inhumaine. Non seulement on néglige les droits fondamentaux de ces hommes et de ces femmes mais on fait barrage à toute évolution économique et sociale. On détruit leurs maisons, leurs écoles, les lieux de réunions sociales. On s'ingénie à leur compliquer la vie de toutes les manières possibles. C'est d'autant plus frappant que du côté des Israéliens, l'indifférence affichée pour le sort des Arabes - de tout ce qui n'est pas israélien en fait - s'accompagne d'un étalage de bien-être. Et évidemment cette absence d'intérêt des Israéliens pour les Arabes se transforme en peur et en haine sous l'effet des attentats terroristes. La violence est d'autant moins compréhensible que l'on a refusé d'ouvrir les yeux sur les conditions de son surgissement. Ce double écart entre d'une part les niveaux de vie des Arabes et des Israéliens, et d'autre part entre l'indifférence et les pics d'émotion immédiate des Israéliens, est tangible et néfaste. C'est d'ailleurs en grande partie contre cette indifférence meurtrière que se battent aujourd'hui un certain nombre d'Israéliens - qui nous ont reçus, ceux de Gush Shalom, de Tay'aouch, du mouvement des Refuzniks.

Nous avons longuement parlé avec eux. Ils sont vraiment courageux, leur combat est rendu très difficile : ils sont considérés comme des traîtres par la population israélienne à cause de leur fréquentation des Palestiniens, alors qu'elle devrait être encouragée dans un esprit de paix à construire. C'est leur action que je voulais soutenir ici, en témoignant.

Vous vous êtes rendu au quartier général de Yasser Arafat. Quelle vision avez-vous des moyens dont dispose l'Autorité palestinienne pour continuer à se faire entendre dans les négociations politiques ?

Stéphane Hessel. D'abord, j'ai constaté bien sûr, comme tous ceux qui ont été au quartier général d'Arafat, qu'il ne restait plus à l'Autorité palestinienne qu'un misérable bâtiment. Comment voulez-vous que celle-ci contrecarre en conséquence les factions terroristes ? La position d'Arafat est de ce point de vue bien affaiblie. Mais elle l'est aussi du fait que le chef, aujourd'hui, est un vieil homme. Un vieil homme qui s'efforce, quand on discute avec lui, de parler de la paix, de tenir un langage aussi ouvert que possible à la négociation. Mais un vieil homme dont les forces sont déclinantes et qui est isolé. On peut lui porter beaucoup d'estime, cependant il faut concéder qu'il n'est peut-être plus maintenant l'interlocuteur idéal. Beaucoup de Palestiniens pensent d'ailleurs qu'il a perdu la partie. Peut-être est-il temps que quelqu'un prenne la relève de son Autorité.

Ariel Sharon a accusé publiquement l'Autorité palestinienne de coordonner ses activités avec l'Irak. Déclarations qui renforcent l'image d'un Arafat terroriste d'Etat et qui avalisent la politique américaine au Proche-Orient. Pourquoi, à votre avis, Sharon joue-t-il ce jeu extrêmement dangereux de l'amalgame ?

Stéphane Hessel. Il est évident que Sharon, pour justifier sa stratégie de " transfert " - transfert, c'est le mot qu'on utilise - du plus grand nombre de Palestiniens vers les territoires contigus, limitrophes, a besoin de diaboliser le peuple de Palestine. C'est nécessaire pour persuader son propre peuple de la légitimité de sa politique. Sharon estime que pour sécuriser vraiment, et à long terme, Israël, il faut supprimer tout ce qui limite le pouvoir des juifs. Il se sent fort du soutien militaire, économique inconditionnel des Etats-Unis. Bien sûr, il s'appuie sur des éléments réels de terrorisme. Eléments dont la dangerosité n'est pas à sous-estimer. Quant à dire qu'ils sont liés à des formations irakiennes, il n'y a guère de relation entre les Palestiniens et l'Irak de Saddam Hussein, qui n'est pas non plus l'interlocuteur du Djihad et du Hamas. Ce sont d'autres sources de terrorismes. Ce dont je suis sûr, c'est de l'effort manifeste que Sharon déploie pour persuader son peuple qu'il n'y a pas moyen de faire la paix avec les Palestiniens. Et à cela, tout est bon, y compris, et peut-être surtout, la manipulation de son opinion publique. Il entretient la peur à un tel point et sa propagande est tellement efficace qu'aujourd'hui la majorité des Israéliens déclarent qu'il est le seul à avoir oeuvré correctement à la sécurité du pays alors que celle-ci n'a jamais été aussi mal assurée. C'est dramatique. Il faudrait que le peuple d'Israël prenne conscience de ces abus, du mal qu'il se fait en faisant inutilement du mal aux Palestiniens. Témoigner de la misère et des conditions de vie atroces qui sont faites aux Palestiniens, c'est en définitive travailler pour Israël, lui dégager un avenir digne de ce nom.

Quelles peuvent être selon vous les répercussions directes d'une attaque américaine contre l'Irak sur le conflit israélo-palestinien ?

Stéphane Hessel. Difficile question. L'Irak n'était pas à l'ordre du jour de notre visite, même si la potentialité d'une guerre était présente à tous les esprits. Je ne connais pas le détail des intentions américaines, ni celles d'Israël en cas de conflit aigu. Ce qui est évident, c'est qu'une attaque américaine aurait des conséquences un peu partout dans la région. Comment réagirait Israël ? Il doit se considérer comme un allié fidèle du gouvernement américain et sait qu'il ne survivrait pas sans l'appui économique et militaire des Etats-Unis. Ainsi, comme allié, il pourrait se sentir visé par une contre-attaque possible, voudra se mettre sur la défensive. Il est donc vraisemblable que les Palestiniens auront encore à en souffrir. D'autant que les pays avoisinants que sont la Jordanie ou l'Egypte tiennent avant tout à conserver la stabilité de leurs relations économiques avec Israël.

Comment les opinions publiques peuvent-elles se saisir des enjeux de ces différentes crises au Moyen-Orient apparues plus crûment depuis le 11 septembre 2001 ?

Stéphane Hessel. Elles doivent conserver en mémoire que l'Amérique n'est pas seule visée par la menace terroriste. Il y a réellement une menace de ce côté-là dont tout le monde doit prendre conscience. Cependant comment répondre à cette menace, désarmer la réaction terroriste ? Il me semble qu'il n'y a qu'un moyen réellement efficace : sortir du caractère conjoncturel de ces manifestations, en attaquer les causes, les raisons réelles. Or, parmi celles-ci, on trouve notamment l'abandon à elles-mêmes, à leur misère physique et psychologique, de parties entières de la population du Moyen-Orient. Abandon auquel ces dernières ne peuvent réagir que par l'exaspération. Abandon qui entretient la haine. Non parce que l'Occident serait un ennemi en soi mais parce que tellement plus puissant, tellement plus florissant sur le plan économique qu'il en devient une antithèse - celle de la domination injuste - devant laquelle on ne peut que se mettre en rage. L'injustice est au fondement de toutes les colères. C'est là que l'opinion publique européenne a tout son rôle à jouer. Il faut absolument qu'elle fasse pression pour que se mette en place une meilleure régulation des richesses, une répartition qui permettrait un accès vers plus de justice sur la terre.

Pensez-vous que l'opposition de la France, de l'Allemagne, de la Russie et de la Chine à une solution armée du conflit irakien puisse ouvrir le chemin à de telles démarches d'opinion ?

Stéphane Hessel. Théoriquement oui car prendre le problème du côté militaire, c'est évidemment manquer la possibilité de sa résolution économique et sociale. Seule résolution véritablement viable, je le répète. Je suis donc très favorable à cette opposition déclarée des puissances à laquelle appellent la France, l'Allemagne, la Russie et la Chine à la solution armée que préconisent les Etats-Unis.

Entretien réalisé par Jérôme-Alexandre Nielsberg
Louis
 
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