a écrit :CHRONIQUE D'EVARISTE
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Carlyle contre Otor, un exemple de prédation économique d'un fonds
spéculatif américain
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Dans le coin gauche aux couleurs rouge et noir, nous avons un
industriel spécialiste du carton ondulé, 3000 salariés, numéro 2
européen : le groupe Otor. Dans le coin droit (et vraiment à droite),
nous avons un fonds spéculatif US proche de la Maison Blanche
républicaine, aux filiales off-shore, qui pèse 16 milliards de
dollars : le Carlyle Group. Mettez-les ensemble sur le ring et voyez
ce qui en sort, ou plutôt qui s'en sort.
Le Carlyle Group : sous le signe de la pieuvre
Le Carlyle Group est un fonds d'investissement américain qui était
dirigé jusqu'en janvier 2003 par Franck Carlucci, ancien Secrétaire
d'Etat à la Défense sous Ronald Reagan et ancien patron de la CIA.
Depuis, en raison des nombreuses pressions médiatiques, Louis
Gerstner, ancien patron d'IBM, l'a remplacé pour donner une image
plus policée, plus business.
Le Carlyle Group s'est fait une spécialité du recyclage des hommes
politiques et influents de la planète. Nous retrouvons ainsi dans ses
conseillers actuels ou passés des hommes tels que le président
Georges H. Bush, Otto Pohl (ancien président de la Bundesbank), John
Major (ancien premier ministre de Grande-Bretagne), Arthur Levitt
(ancien président de la Security Exchange Commission), James Baker
(ancien secrétaire d'état de Bush senior), Karl Fidel Ramos (ancien
président des Philippines).
Lors des attentats du 11 septembre 2001, le Carlyle Group tenait sa
réunion annuelle à New York avec ses principaux actionnaires, dont
Yeslam Ben Laden, un des frères de Ossama Ben Laden. Les relations du
groupe Carlyle avec l'Arabie saoudite proviennent des réseaux de Bush
père, réseaux très bien reconstitués dans les documentaires de
Michael Moore « Fahrenheit 911 » et de Wiliam Karel « Le monde selon
Bush ».
Onzième fournisseur d'armement du Pentagone, le Carlyle Group est
proche des secteurs de la défense européenne (Bofors Defence,
FiatAvio.). Libération (24 novembre 2004) publiait à cette occasion
un article « Le Pentagone embarqué dans Arianespace ? Voilà comment
on pourrait, avec un brin de provocation, résumer l'arrivée du fonds
d'investissement Carlyle, réputé proche des milieux de la défense
américains et de l'actuelle administration Bush, au tour de table du
lanceur européen. (.) Dans la foulée de l'arrivée de Carlyle, la
ministre de la Défense, Michèle Alliot-Marie, appelle "à la
vigilance" des intérêts français et européens et lance un groupe de
travail sur les moyens de protéger l'industrie française de
défense. » Le Carlyle Group a démenti ses volontés de contrôle du
secteur de la défense européenne. Jean-Pierre Millet, DG de Carlyle
Europe, avait à cette occasion déclaré au député Bernard Carayon
(auteur du rapport Intelligence économique, compétitivité et cohésion
sociale) qu'à l'avenir le groupe Carlyle ne s'intéresserait pas au
secteur de la défense en France. Pourtant, dès mars 2004, alors qu'un
décret est en cours de rédaction dans les ministères pour justement
contrôler les investissements des fonds dans les secteurs
stratégiques et sensibles, Jean-Pierre Millet au nom du Carlyle
Group, intervient au côté du Ministre de la Défense, Michèle Alliot-
Marie, dans une conférence sur. « L'Europe de la défense : des
prémices à la réalisation concrète ».
L'affaire Otor ou le grain de sable
En 2000, le groupe Otor, numéro 2 du carton en Europe, a des
difficultés de trésorerie et c'est ainsi que Clinvest, une filiale du
Crédit Lyonnais, introduit le Carlyle Group. Par à un système de LBO
(Leverage Buy-Out), le groupe Carlyle investit dans Otor et reçoit
des obligations convertibles en actions. Le fonds aura la possibilité
de convertir ses obligations si Otor ne remplit par des critères
stipulés dans un pacte d'actionnaire tenu secret. L'un de ces
critères est un certain niveau d'EBITDA (normes comptables non
reconnues) à atteindre par le groupe.
Le Carlyle Group décide dès 2001 de convertir ses obligations en
actions prétextant que le niveau de l'EBITDA ne serait pas atteint,
ce qui donnerait à Carlyle le contrôle du groupe Otor. Les dirigeants
d'Otor contestent cette conversion et suivent la procédure prévue par
le pacte d'actionnaires en faisant appel au tribunal arbitral.
Le tribunal arbitral ne peut pas prendre sa décision car les
dirigeants d'Otor contestent la validité de la notion d'EBITDA.
Michèle Bouvier, une des dirigeantes d'Otor, déclara à ce sujet au
Monde (10 septembre 2004) « Carlyle a monté un « business model »
pour faire main basse sur des entreprises grâce à des règles non
normées fondées sur le seul Ebitda. » Le tribunal est contraint de
nommer des experts pour statuer sur cette notion d'EBITDA avant de
pouvoir rendre son avis. Le premier expert du cabinet
PriceWaterhouseCooper (PWC) est récusé après que les dirigeants
d'Otor aient découvert qu'il avait été conseil du Carlyle Group.
D'autres experts du cabinet Mazar sont ensuite nommés. Ces derniers
reprennent des pages entières issues du travail de PWC bien que
l'expert ait été récusé pour conflit d'intérêt. Une telle situation
ne semble pourtant pas gêner le tribunal arbitral qui ne récusera pas
le cabinet.
Dans cette affaire, les conflits d'intérêt vont se multiplier, jusque
dans l'enceinte même du tribunal arbitral. Les dirigeants d'Otor
demandent la récusation de deux de ses membres pour conflits
d'intérêt. Le président de ce tribunal, Gilbert Parléani, aurait
travaillé avec le notaire luxembourgeois Joseph Elvinger, du cabinet
Elvinger, Hoss & Prussen, qui a réalisé la plupart des actes de
Carlyle Luxembourg et notamment constitué les sociétés Carlyle
Holding 1 et Carlyle Holding 2, actionnaires de Otor Finance. L'autre
arbitre est Jacques Sales qui fait partie du cabinet britannique
Denton Wilde Sapte dont l'un des associés est Nicholas Keeling.
Depuis mai 2004, ce dernier est l'un des trois directeurs de Menatep
qui a investi 50 millions de dollars dans. le Carlyle Group.
La dénonciation d'un système
Parti d'un différent assez classique, cette affaire va mettre en
lumière le Carlyle Group encore méconnu en France, et surtout ses
pratiques de business.
« Cette affaire est devenue, pour certains, emblématique de la
défense des intérêts économiques français face aux Américains. (.)
Des personnalités telles que le conseiller pour l'intelligence
économique de Jean-Pierre Raffarin, Alain Juillet, ou Bernard
Carayon, député (UMP) du Tarn, auteur d'un rapport sur ce sujet,
remis en juin 2003 à M. Raffarin, ne cachent pas leur soutien à cette
cause. »
Suite à ces prises de position, la riposte du Carlyle Group est
immédiate. Dans un article paru dans Le Monde (18 septembre 2004), le
député Carayon est aussitôt impliqué dans une affaire de rémunération
pour des « activités de lobbying anti-Carlyle » au profit d'Otor.
Bien qu'aucune preuve n'ait été apportée et que Bernard Carayon ait
immédiatement démenti, de telles accusations dans un quotidien
national tel que Le Monde sont révélatrices de l'influence et de la
force de frappe médiatique du Carlyle Group.
Le Carlyle Group a énormément souffert des retombées de l'affaire
Otor, et notamment à cause de la mise en lumière de ses montages
financiers (disponibles sur le site Stop Carlyle). Le fonds utilise
des cascades de holdings domiciliées dans des paradis fiscaux pour
échapper aux impôts et dissimuler les propriétaires et bénéficiaires
finaux. Le magazine Challenges (décembre 2004) publiait un article
sur ces structures : « Le patron de Carlyle Europe n'est guère plus
troublé lorsque nous lui montrons le schéma de la trentaine de
structures qui ont servi à l'investissement Otor, un écheveau
ésotérique de holdings et de filiales domiciliées au Luxembourg, à
Guernesey ou aux îles Caïmans. » C'est vrai que ces pays sont réputés
pour leur transparence financière.
Autre détail intéressant : le groupe Carlyle n'est pas coté en
bourse. De ce fait, le Carlyle Group n'est pas obligé de divulguer le
nom de ses associés ni de ses actionnaires à la Security Exchange
Commission (la COB française).
Pour restaurer son image de marques auprès de ses actionnaires et
banquiers (Carlyle cherche à restaurer une image détériorée par
l'affaire Otor, Les Echos, 22 septembre 2004), le Carlyle Group a
fait appel à un impressionnant attirail de cabinets de relations
publiques et d'influence. Le premier d'entre eux est DGM Conseil,
spécialiste des notes confidentielles à des hauts fonctionnaires et
des politiques. Son patron, Michel Calzaroni, est un ancien du
service de presse du CNPF (devenu depuis le Medef), l'un des
meilleurs communicants de la place. Selon Le Figaro du 30 avril
2004, « Ca n'est pas un filtre, c'est un bouchon. Sans son accord
vous n'avez pas l'information, ironise un journaliste économique au
sujet de ce conseiller en communication. (.) L'homme est capable de
transformer un ouragan médiatique en tempête dans un verre d'eau. Il
fait des miracles, grâce à son carnet d'adresse et à son réseau
d'influence, visible et invisible. » C'est DGM Conseil qui serait à
l'origine de la diffusion aussi rapide à l'AFP de la nouvelle de la
mise en examen des dirigeants d'Otor « juste à temps pour que le juge
de New York qui devait statuer le même jour sur la plainte déposée
par les dirigeants d'Otor contre Carlyle puisse en prendre
connaissance. » (Intelligence On Line, n° 490).
Dans sa tâche d'influence, DGM est épaulé par le cabinet Boury &
Associés qui a déjà utilisé dans le passé ses réseaux de lobbying
politique au profit du Carlyle Group. Quand le groupe Carlyle prit le
contrôle de KPI (équipementier automobile) en 2001, et qu'il «
dégraissa » en licenciant les salariés, les syndicats de KPI avaient
alerté les pouvoirs publics. Ils provoquèrent la réponse de la
secrétaire d'Etat au Budget, Florence Parly : « Vos préoccupations
sont pleinement partagées par le Gouvernement, et en particulier par
Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie. » C'est ce même
Christian Pierret qui, en 1987, avait été à l'initiative de
l'association « Douze pour l'Europe » du cabinet. Boury & Associés.
Réseaux d'un jour, réseaux de toujours.
Au plus fort de la médiatisation de l'affaire, Didier Cornadeau,
président de l'APPAC (Association des petits porteurs actifs), fait
son entrée. Il porte plainte contre X et s'en prend directement aux
dirigeants d'Otor lors de la présentation des résultats du groupe. Or
le 12 octobre, lors de cette présentation, l'APPAC ne possédait pas
encore une seule action d'Otor. Le bordereau d'achat des 100 actions
acquises par l'association indique la date du 18 octobre. Didier
Cornadeau connaît les dirigeants d'Otor depuis l'époque où il avait
participé en tant que banquier au mariage entre la direction et le
fonds. Il semblerait que ses rancoeurs personnelles contre les
dirigeants datent de cette époque. Décrédibilisé pour ses positions
radicales sur d'autres dossiers (Veolia.), Didier Cornadeau est
maintenant clairement identifié comme un acteur « déstabilisateur ».
Courant 2004, les dirigeants d'Otor ont porté plainte contre le
Carlyle Group et le Crédit Lyonnais devant la cour fédérale de New
York. Les deux établissements se seraient rendus coupables de conflit
d'intérêt leur permettant de faire main basse sur le groupe
industriel. Fin 2003, le Crédit lyonnais était lié à Carlyle tout en
étant conseil d'Otor, ce qui est illégal aux Etats-Unis. C'est Gary
Fontana, l'un des plus redoutables ténors du barreau américain, qui
défend Otor sur ce dossier. C'est lui qui était déjà en charge de la
plainte contre le Crédit Lyonnais dans l'affaire Executive Life. «
Dans le dossier Otor, il demande 200 millions de dollars de dommages
et intérêts. Mais, pour Carlyle, la menace va bien au-delà. Car, si
le juge décide de passer à la phase 2 de la procédure, dite de «
discovery », ce seront toutes les structures « offshore » de Carlyle
Europe qui feront l'objet d'une enquête fédérale. » (Challenges, n°
236).
Les conséquences sociales.
Le tribunal arbitral devrait prendre sa décision courant janvier
2005. S'il rend un avis favorable au Carlyle Group, le fonds prendra
aussitôt le contrôle du groupe industriel, renverra dans la foulée
les dirigeants et installera ses propres administrateurs au conseil
d'administration. Il est très vraisemblable que le Carlyle Group «
optimisera » ensuite le groupe (comprendre « licencier »), et dans ce
domaine, le Carlyle Group est déjà bien rodé. La presse si chère au
Carlyle Group (le fonds avait tenté d'acheter Le Figaro en 1999) a
été l'une des grandes victimes ; le groupe Tests par exemple a subi
quelques 117 licenciements. La région Charentaise, dans laquelle le
Carlyle Group a pris le contrôle de plusieurs entreprises, paie un
lourd tribut sur l'autel du fonds ; pour l'équipementier automobile
KPI, l' « investissement Carlyle » a jusqu'à présent provoqué 142
licenciements boursiers, et ce n'est toujours pas fini ! D'autres
entreprises ont tout simplement été mises en liquidation par le
Carlyle Group. C'est le cas de Digiplex, de Reef, d'OptoSpeed...
La vraie question pour les quelques 3000 salariés d'Otor ne serait-
elle pas : combien de licenciements faudra-t-il pour que Carlyle
atteigne son fameux retour sur investissement de 30% ? Combien vaut
un licenciement pour le Carlyle Group ? On le saura malheureusement
bien assez tôt.
IB
Collectif Stop Carlyle
http://stopcarlyle.isuisse.comQuelques références bibliographiques :
François Missen, Le réseau Carlyle, Flammarion, octobre 2004.
Fabrizio Calvi et Frédéric Laurent, France - Etats-Unis : 50 ans de
coups tordus, Albin Michel, mars 2004.
William Karel, Le monde selon Bush, juin 2004.
Michael Moore, Fahrenheit 911, juillet 2004.
Bernard Nicolas et Romain Icard, 90 minutes : Carlyle s'attaque à la
France, octobre 2004.
France 2, JT de 20 heures, Affaire Otor - Carlyle, 27 octobre 2004.
Carlyle Exposed :
http://www.informationclearinghouse.info/article3995.htm Intelligence On Line, Etroites relations entre Carlyle et le Crédit
Lyonnais, n° 483, septembre 2004
(
http://www.intelligenceonline.fr/NETWOR ... 83/483.asp?)
Revue de presse :
Politis, Carlyle la pieuvre, octobre 2002.
Le Point, Carlyle. Un fonds très spécial, mai 2003, n°1600.
Les Echos, Le fonds Carlyle sur la sellette, mai 2003.
Le Canard Enchaîné, L'appétit féroce de l'américain Carlyle", mai
2003, n°4308.
Le Monde, L'offensive américaine dans la défense inquiète les
Européens, décembre 2003.
La Petite Semaine de Cognac, Carlyle : la World Company en
charentaises, janvier 2004.
Entreprendre, Comment des financiers peuvent déstabiliser une
entreprise !, n°183, avril 2004
Le Monde, L'Empire Carlyle, avril 2004
Intelligence OnLine, Le dispositif d'influence du Carlyle Group, n°
476, mai 2004.
Challenges, Chapelle Darblay tourne de plus en plus mal, Bertrand
Fraysse, mai 2004, n° 225.
Le Monde, Carlyle et le Crédit lyonnais sont mis en accusation par
les dirigeants du cartonnier Otor, septembre 2004.
Nouvel Observateur, Qui a peur de Carlyle ?, septembre 2004, n°2082.
Challenges, Cent jours dans...la bataille Otor-Carlyle, décembre
2004, n° 236
Réagissez sur [url=mailto:evariste@gaucherepublicaine.org]evariste@gaucherepublicaine.org[/url]