Informations ouvrières N° 804 - Semaine du 26 juillet au 1er août 2007
“Prévention des conflits”
Le projet de loi sur « le service minimum », adopté le 19 juillet en première lecture au Sénat, a été caractérisé à juste titre par de très nombreux militants ouvriers
comme remettant en cause le droit de grève. L’analyse que nous en faisons dans ce journal (lire page 6) confirme totalement cette appréciation.
Nous jugeons cependant nécessaire d’y ajouter ce qui donne sa véritable portée destructrice à cette loi, qui va bien au-delà du droit de grève.
La reconnaissance du droit de grève a été imposée dans notre pays par les travailleurs et la lutte de classe en 1864. Elle est indissolublement liée à la reconnaissance du droit pour les travailleurs de s’organiser librement dans des syndicats dont ils étaient les seuls maîtres, sans aucun « encadrement » de la part des représentants de l’ordre social existant, le système de la propriété privée des moyens de production et de l’exploitation capitaliste.
Cela a été, de fait, la reconnaissance par l’Etat bourgeois de l’existence d’une classe aux intérêts contradictoires à ceux de la classe capitaliste.
La préservation de cette conquête politique fondamentale, à la base de la démocratie sociale, a été, depuis son origine, l’enjeu d’une lutte incessante de la part de la classe ouvrière.
Sous prétexte d’assurer aujourd’hui la continuité du service dans les transports terrestres, le gouvernement repart à la charge. Il veut expérimenter, avant de la généraliser, cette loi-cadre qui remet en cause en réalité tous les fondements juridiques de l’existence indépendante du mouvement ouvrier organisé dans la société bourgeoise.
Qu’on en juge.
L’article 2 de ce projet de loi stipule que « l’employeur et les organisations syndicales représentatives engagent des négociations en vue de la signature (…) d’un accord-cadre organisant une procédure de prévention des conflits et tendant à développer le dialogue social ». En clair, le gouvernement veut associer coûte que coûte les organisations syndicales à la « prévention des conflits ».
Nous sommes au cœur des problèmes qui ont provoqué, il y a un siècle et demi, la célèbre réplique faite par l’ouvrier ciseleur Tolain (correspondant de la Première Internationale) à Napoléon III, qui cherchait à se subordonner les organisations ouvrières naissantes. S’opposant aux prétentions de Napoléon III, Tolain revendiquait simplement des lois qui donnent aux organisations ouvrières « la liberté de faire leurs affaires elles-mêmes sans aucune ingérence extérieure ».
Imposer aux organisations syndicales, par accord signé avec les employeurs, le devoir de « prévention des conflits », représente l’ingérence la plus directe remettant en cause la liberté pour les syndicats de formuler librement les revendications de leurs mandants.
Il s’agit d’un viol pur et simple de la convention n° 98 de l’OIT sur le droit d’organisation et de négociation collectives, qui établit dans son article 2.1 : « Les organisations de travailleurs et d’employeurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence des unes à l’égard des autres. »
Il s’agit d’une remise en cause du droit de grève qui tombe à pic, au moment où le gouvernement veut s’attaquer aux retraites des postiers, des cheminots et des employés de la RATP. Mais il s’agit aussi du premier pas franchi dans la voie d’une tout autre société, de tout autres relations de travail. Celles qui sont prônées par les institutions de l’Union européenne et la Confédération européenne des syndicats (CES), et qui, parées du titre de « dialogue social », seraient une étape vers l’instauration d’un système corporatiste (1).
Faut-il poser ces questions ou faut-il les taire ? Ne s’imposent-elles pas — quel que soit le courant du mouvement ouvrier dont on est issu — comme des questions centrales sur lesquelles les bouleversements politiques en cours nous font obligation de revenir ? Ce débat, avec toutes les conséquences pratiques qu’il appelle sur le terrain direct du combat pour le front unique dans la résistance pied à pied contre l’exploitation, est au cœur de la préparation de la convention nationale pour la construction d’un authentique parti ouvrier qui se tiendra, les 24 et 25 novembre, à Paris.
Marc Gauquelin
(1) Nom venant du mot corporation, rassemblant ensemble patrons et ouvriers et désignant le régime politique qui, au nom d’un prétendu intérêt général niant les oppositions entre classes sociales, réalise l’association capital-travail par l’intégration des organisations syndicales à l’Etat.