Krivine rencontre des révolutionnaires en russie

Message par meichler » 26 Déc 2006, 14:52

Je crois que tu dis plusieurs choses fausses d'un point de vue marxiste :

1) «les grandes puissances comme la Russie et la Chine» : Cette expression confusionniste et qui cède aux affirmations des journaux et idéologues bourgeois, est fausse parce qu'elle laisse entendre que ces deux pays pourraient être mis sur le même plan que les "puissances" impérialistes bien réelles que sont USA, Allemagne, Japon, France, GB etc... Russie et Chine ont "un poids" (surtout économique) du à leur taille, mais ce ne sont pas des puissances dominantes du système impérialiste. Que les bourgeoisies compradores jouent "un rôle intermédiaire", ce n'est pas une découverte. Que Russie et Chine combinent les traits (déterminants) de pays dominés par l'impérialisme avec ceux de pays avancés est une évidence, mais la dialectique implique aussi de dégager les traits déterminants pour caractériser la nature et l'essence d'un phénomène, et pas seulement d'en préciser les contradictions.

2) «ce n'est pas l'économie qui fait la nature d'un Etat» : Là je crois que tu dérapes complètement du chemin du marxisme, cher Vérié. La nature de classe d'un Etat est l'expression du système économique qu'il est chargé de maintenir, de la classe sociale dont il assure la domination sur un système économique de production, donc un système de propriété sociale, un mode de production. Les critères que je cite : propriété étatique des moyens de production, monopole du commerce extérieur et planification, sont ceux de Trotsky et du marxisme, ce sont eux qui déterminent en dernière instance que le moteur de l'économie, du mode de production soit la satisfaction des besoins sociaux ou bien le profit, l'extorsion de la plus-value.

3) Je crois que tu mélanges un peu tout : les grèves en Russie au début des années 1990, certaines en tout cas, ont eu pour revendications le paiement des salaires, mais ce n'était pas leur seule revendication. Il y a eu des mouvements de masses gigantesques, et de secteurs-clés du prolétariat contre les privatisations, à la fin des années 80 et au début des années 90. La qualification de "luttes défensives" est ici inopérante. Le rôle des révolutionnaires devait être d'aider ces travailleurs à trouver la voie pour poser la question du pouvoir, de la révolution politique, pas de se lamenter sur les revendications "défensives". Toute révolution commence par un mouvement de "défense" des masses contre le sort insupportable que leur impose la classe dominante. Ex. la révolution russe de février 1917 a commencé par des manifestations de femmes et d'ouvriers pour se "défendre" contre les conséquences de la guerre sur les conditions de vie et de travail. La question des salaires en 95-96 en Russie était très intéressante. Ne pouvait-on expliquer alors aux ouvriers russes : «ils ne paient plus les salaires, pour mieux privatiser, pour encore plus vous exploiter ensuite. Ce sont des voleurs qui pillent la propriété du peuple. Ils ont vidé les caisses pour racheter à bas prix ce qui appartient au peuple. Qu'ils commencent par payer ce qu'ils doivent, et qu'ils rendent ce qu'ils ont volé. Les responsables sont à Moscou, au Kremlin. Aucune confiance à aucun des bureaucrates. Organisons nous entre nous, entre ouvriers, dans un parti à nous, qui défende la propriété d'Etat, et pour cela, dehors les Eltsine et Poutine. Etc...» Lorsque des centaines de miliers d'ouvriers sont en grève, les révolutionnaires n'ont pas à faire la fine bouche devant leurs revendications, mais à s'adapter à cette situation, pour les aider à trouver une issue vers le pouvoir politique.

4) La privatisation en Russie et en Chine (ainsi qu'à l'est de l'Europe) n'a pas consisté à re-parcourir tout le chemin de l'accumulation primitive que les capitalismes européens ont parcouru depuis le XVIIème siècle. C'est par le haut que la privatisation s'est effectuée. D'emblée ce sont les très grands groupes qui ont joué le rôle, déterminant. Et ce sont les bureaucraties en tant que telles qui ont constitué le creuset essentiel de constitution des "nouvelles bourgeoisies" compradores de l'impérialisme. N'oublions pas également le rôle déterminant des capitaux impérialistes extérieurs.

5) Les rapports sociaux en Russie, à l'est de l'Europe et en Chine (de même que : Yougoslavie, Albanie, Corée du Nord, Vietnam, Cambodge, Cuba) étaient de même nature: Etats ouvriers (dégénéré dans le cas de l'URSS, bureaucratiques dès l'origine pour les autres). Le capitalisme est aujourd'hui rétabli dans tous ces pays sauf à Cuba (pour combien de temps encore ? Sans doute bien peu... Mais là encore c'est la lutte vivante qui tranchera, et ce sera sans doute une autre paire de manches pour le capital, que ce ne fut en Europe), et peut-être en Corée du Nord. Le fait que "l'Etat se revendique formellement du communisme" ne peut jamais être le critère déterminant. Des tas de potentats africains s'en sont réclamés dans les années 60 et 70, de même que Chavez de nos jours se réclame du socialisme. L'élément déterminant est quel est le moteur de l'économie, et donc quelle est la classe dominante, la propriété des moyens de production. C'est ainsi que l'on peut juger de la nature d'un Etat. La position de LO c'est : en Euroope de l'est et en Chine il ne peut y avoir d'Etat ouvrier parce qu'il n'y a pas eu de révolution prolétarienne victorieuse (donc dirigée par un parti révolutionnaire marxiste). Or c'est oublier que la révolution prolétarienne à compter de 1917 est un processus international intégré, et que de ce fait l'expropriation du capital à l'est de l'Europe procède (de même que les révolutions chinoises et yougoslaves) de la révolution d'octobre, ainsi que des "extensions organiques" de celle-ci, ou en tous cas des rapports sociaux qu'elle avait instauré en Russie. Le fait que cette extension ait été réalisée par des moyens, selon des voies, et sous la conduite de la buraucratie stalinienne et de ses satellites a donné à ces Etats des déformations bureaucratiques inhérentes dès leur origine.
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Message par Jacquemart » 26 Déc 2006, 15:34

Loin de moi l'idée d'empêcher Vérié et Meichler de discuter tranquillement entre eux.

Mais pour tous ceux qui veulent connaître les analyses les plus récentes de LO sur l'URSS autrement que par personne interposée (et de voir que les évidences ne sont pas toujours si évidentes qu'elles en ont l'air), le mieux est encore de consulter cet article de la Lutte de Classe de mars 2006.
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Message par meichler » 26 Déc 2006, 17:37

Je ne défends pas "le point de vue de la LCR", car cette conception est celle qui fut admise par la 4ème Internationale après la 2ème guerre mondiale, puis portée ensuite à partir de 1951-53 par le PCI-OCI, puis à partir de 1984 par Stéphane Just et le bulletin «Combattre pour le socialisme» ("CPS").

"Le point de vue de la LCR", on se demande bien quel il peut être aujourd'hui, et surtout il semble qu'il ne soit pas "un", mais "multiple", sur ces questions...

Sinon je trouve que tu dis des choses qui peuvent être justes dans le détail, mais qui doivent être précisées dans les lignes de force : Nature de ces Etats ? Aujourd'hui ? Avant ? Quand ont eu lieu les changements ? Dans quelles circonstances ? Quelles tâches pour les révolutionnaires ? Alors et aujourd'hui ? Etc... Bien sûr il peut y avoir un Etat ouvrier (dictature du prolétariat) et une économie pas encore étatisée, pour une brève période, etc... De même, d'ailleurs, à l'inverse, il peut y avoir un Etat bourgeois avec une économie où le capitalisme est en train d'être pleinement rétabli, etc... (Par exemple en Russie: c'est en 1991 que le drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau est abaissé défintivement du mât au Kremlin et que l'URSS cesse d'exister, mais ce n'est qu'en 1995-96 que le capitalisme est véritablement rétabli). Ces choses-là sont des processus vivants, dont l'issue est réglée dans et par la lutte des classes concrète, et non des schémas littéraires abstraits.

Par ailleurs je trouve, Vérié, que tu as souvent tendance à écrire un peu rapidement me semble-t-il (ça mériterait au moins quelques développements !) que «Trotsky s'est trompé» sur tel ou tel point. Pas de désinvolture dans la théorie ! Ce sont des affaires sérieuses car elles prennent chair et sang dans l'action militante !
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Message par meichler » 26 Déc 2006, 20:00

En effet, on retombe sur les polémiques avec les militants de Combat Communiste que j'ai connus dans ma lointaine jeunesse (1975-76), positions que tu défends encore aujourd'hui, Vérié.

Dommage, ça avait commencé de façon intéressante. Pour le reste du monde (sauf LO et sa "fraction" + Vérié), il semble cependant que l'abaissement définitif du drapeau rouge au Kremlin, et la privatisation quasi-générale de l'économie en 1995-96 aient un petit rapport avec le rétablissement du capitalisme au pays qui fut celui de la révolution d'octobre, l'espoir pour des millions de prolétaires d'en finir avec le capitalisme, et d'aller au socialisme.

Pour ceux que ça intéresse, je donne en entier l'article sur Unexim (paru dans Le Monde du 17/03/1996) :

a écrit :
Unexim, ou le « libéralisme » à la russe

Article paru dans l'édition du 17.03.96

Sous son air de réussite libérale, la banque Unexim est le prototype du « capitalisme » qui se développe en Russie : celui de clans au pouvoir mêlant intérêts d'Etat et intérêts privés


NOUS sommes à Moscou en avril 2010. Un dîner au Kremlin marque le 25e anniver- saire de la perestroïka. Anatoli Tchoubaïs, père de la privatisation russe, élu président en 2001, lève son verre au projet de rachat d'Exxon, le géant pétrolier américain. Son vis-à-vis, l'homme le plus riche à table, le maître de l'un des grands empires financiers et industriels du pays, est un certain Vladimir Potanine. Il est président d'Unexim, la banque russe qu'il a créée en avril 1993, à l'âge de trente-deux ans. Lorsque, en 1995, l'hebdomadaire anglais The Economist a imaginé ce conte de fées pour affirmer qu'en Russie « le marché » s'affranchit du pouvoir , Vladimir Potanine et sa banque étaient pratiquement inconnus en Russie. Ils furent vite sous les feux de la rampe... à cause de retentissants scandales.

Aujourd'hui, Unexim et son jeune président sont devenus les symboles du mélange opaque entre « privé » et propriété d'Etat en Russie. Des scandales ont mis en évidence le soutien occulte du pouvoir à des banques formellement privées. L'Etat leur a cédé, à des prix symboliques, les meilleures parts de l'industrie nationale. Ce qui a fini de discréditer les privatisations aux yeux de la population, contribuant au succès du Parti communiste aux législatives de décembre 1995, puis au renvoi d'Anatoli Tchoubaïs du gouvernement en janvier. Et peut-être, demain, au retour d'un communiste au Kremlin. Pour l'instant, Vladimir Potanine et sa banque s'activent en paix. Ils n'ont pas été affectés par le scandale. Il leur faut juste éconduire des médias devenus curieux de leur fulgurante ascension. Surgissant du néant, Unexim n'a eu besoin que de deux ans et demi pour coiffer au poteau toutes les autres banques russes, à l'exception de la Sberbank, la Caisse nationale d'épargne, une banque d'Etat hors catégorie née au XIXe siècle, qui a traversé tous les régimes. Première banque privée de Russie, Unexim est restée mystérieuse. Et, dit-on, dangereuse. « Si vous interrogez quelqu'un au sujet d'Unexim, ne le faites pas au téléphone ou dans une pièce où il peut y avoir des appareils d'écoute », prévient d'emblée un expert occidental. Cette psychose est largement partagée. Les personnes acceptant d'en parler le font sous réserve d'anonymat. Quant à Vladimir Potanine, il continue à fuir non seulement les médias, mais aussi les réunions des banquiers russes. Une des rares apparitions publiques de ce jeune homme qui, par son allure, semble sorti tout droit de la City de Londres, remonte à juin 1995. C'était à Genève, pour l'inauguration, rue du Rhône, d'Unexim Suisse S.A., la première et à ce jour unique banque suisse au capital entièrement russe. Tout s'est déroulé dans la plus pure tradition helvétique, sans tsiganes ni libations « à la russe ». Conformément à l'image acquise par Unexim à Moscou : celle d'une banque qui réunit les meilleurs professionnels de la place, respectueux des usages de discrétion en vigueur dans le métier. Vladimir Potanine, répondant avec aisance à la presse locale sans attendre les services de son interprète, y fit la seule déclaration publique qu'on lui connaît à ce jour. Ce fut une phrase mémorable : Unexim est « une banque commerciale, mais avec une mentalité de banque d'Etat ».

Unexim, c'est officiel, est une banque commerciale. Elle a été la première banque entièrement russe à être soutenue par l'IFC, une filiale de la Banque mondiale qui n'accorde de crédits qu'aux seules institutions ayant au moins 51 % de capital privé. L'IFC atteste qu'Unexim est une banque « remarquablement gérée », que son capital est réparti entre sa maison mère, la MFK (Compagnie internationale de finances), « un groupe financier russe privé » qui détient 24 % des actions et « trente-trois autres grosses organisations russes opérant dans le commerce extérieur », du type « Machino-import », « Soyouzprom-export », « Sov-bunker », « Energia », « Soyouz-transit » et autres « Slav-invest ». Mais aussi un organisme d'Etat, Rosvooroujenie, spécialiste des ventes d'armes à l'étranger. Certaines de ces « centrales du commerce extérieur », héritées de l'URSS, restent entièrement gouvernementales.

Elles forment elles-mêmes l'actionnariat de la MFK... Cette compagnie financière a créé une banque du même nom en 1994, après avoir créé Unexim en 1993. Le tout forme aujourd'hui un même groupe financier. Mais le seul journal russe à avoir publié une liste de ses actionnaires a respecté la volonté d'Unexim de ne pas en dévoiler les participations respectives.

A qui s'étonne en Russie de ces difficultés à obtenir la structure du capital des entreprises, une banquière répond : « Mais à quoi cela peut-il servir ? De toute façon, les indications ne signifient rien, elles peuvent être des prête-noms. » Si, en Russie, on n'hésite pas à affirmer que le premier ministre, Viktor Tchernomyrdine, détient des actions de Gazprom, le géant du gaz russe, personne ne s'est encore risqué à citer un détenteur de parts d'Unexim. Mais personne ne doute de ses bonnes relations avec le Kremlin.

LE problème est de savoir qui précisément la patronne. Etant donné ses performances, la logique voudrait que ce soit l'homme le plus influent de l'entourage de Boris Eltsine. A Moscou, on murmure qu'Unexim est la banque d'Oleg Soskovets, le premier vice-premier ministre, représentant de divers clans industriels et militaires. Comme d'autres proches du président, M. Soskovets a été accusé, avant de devenir clairement « l'homme qui monte » au Kremlin, de corruption et de liens avec le « milieu », sans que rien ne soit jamais prouvé. Mais M. Soskovets est aussi, selon la presse, un protégé du général Alexandre Korjakov, l'inséparable garde du corps du président, devenu le maître de ses services secrets. De là à dire qu'Unexim est « la banque de Korjakov », il n'y a qu'un pas, que certains analystes, publiés notamment par l'institut du financier George Soros, ont déjà franchi. En Russie, on s'en garde prudemment.

Unexim est une des rares banques russes que personne n'accuse d'avoir des origines mafieuses ou d'être passées sous l'emprise de structures criminelles. Ce qui prouverait aussi que son patronage est à chercher plus haut, au Kremlin. Mais il y a aussi une raison chronologique. Ce sont surtout les banques créées avant 1992 qui, à la faveur du chaos post-soviétique, ont amassé leurs capitaux de façon sauvage, avec des « protecteurs » venus soit du vieux monde criminel organisé, soit du Parti (avec sa filière des Jeunesses communistes, ou Komsomol, encouragées à créer des structures commerciales), soit des deux à la fois.

Au sommet de l'Etat, le besoin s'était fait sentir d'avoir une banque sûre mais souple et de bonne réputation pour servir les « centrales du commerce extérieur ». Elles relevaient, avant, de la Vnechekonombank, la banque soviétique qui fit faillite en même temps que l'URSS, fin 1991. Son héritière russe directe, la Vnechtorgbank, conservait les « défauts » d'une banque d'Etat. Mais une autre banque soviétique s'occupait de commerce extérieur : celle de l'ex-Comecon, la Banque internationale de coopération économique, la MBES. C'est en son sein, selon la plupart des sources, qu'est née l'idée simple de séparer ce dinosaure entre une banque d'Etat, chargée d'en gérer les dettes, et une banque privée, récupérant ses clients solvables... C'est ainsi que fut créée en 1992, dans les locaux mêmes de la MBES, la Compagnie financière internationale, la MFK, laquelle créait à son tour l'Unexim-Bank ou « Banque unie d'export-import ». Non sans le soutien du ministre des finances de l'époque, le libéral Boris Fiodorov, qui invoquait la nécessité de mettre de l'ordre dans les flux de devises du pays. La MFK a fourni à Unexim, outre ses premiers capitaux et clients, la plupart de ses cadres, y compris son président, Potanine. Tout le personnel du groupe est d'ailleurs issu de ce secteur du commerce extérieur, qui travaillait du temps de l'URSS sous la haute surveillance du KGB et qui reste, aujourd'hui encore, fermé à toute structure « extérieure à son domaine d'activité », souligne le quotidien Kommersant.

Les avantages d'un tel dédoublement entre MFK et Unexim sont faciles à imaginer. Il y a la possibilité de se développer dans la discrétion ou de gonfler, au besoin, certains bilans par des opérations croisées. Le résultat est en tout cas impressionnant : agent de l'Etat pour ses actions commerciales extérieures centralisées, Unexim assure le même rôle auprès de l'administration de Moscou et d'autres régions. Elle a obtenu, de même que MFK, toutes les licences d'activités qu'accorde la Banque centrale. Le groupe détient désormais, en totalité ou partiellement, plusieurs banques régionales, deux fonds d'investissements, un fonds de retraite, une société de leasing industriel et le principal holding russe, Interros, actif dans les mines, la métallurgie, la construction automobile, les transports, l'agroalimentaire et, par le canal du groupe Energia, dans l'énergie et le militaro-industriel. Interros est lui-même lié à Microdin, grand distributeur de biens de consommations. Le groupe s'est aussi fortement implanté au Kazakhstan (où Oleg Soskovets a été vice-premier ministre en 1992). On apprend finalement sans surprise qu'Unexim, qui finance un hebdomadaire économique de qualité (Expert) et une agence de presse travaillant avec la Banque centrale, prévoit de construire, non loin du centre de Moscou, un nouveau siège social de quarante étages, sur un terrain boisé, et donc théoriquement protégé.

Sous son air de réussite libérale, Unexim est ainsi le prototype du « capitalisme » qui se développe en Russie : celui de clans qui se trouvent être au pouvoir et mêlent intérêts d'Etat et intérêts privés et politiques. La caricature de « politique industrielle » qu'ils mènent a fait crier au scandale en avril 1995. Vladimir Potanine prit alors l'initiative, comme le dit la légende, de proposer, au nom d'un consortium de banques, des « prêts » au gouvernement pour combler des trous dans le budget en échange du contrôle de parts de l'Etat dans certaines grandes entreprises.

CES banques, seules entités à prospérer avec ostentation en Russie, furent accusées de vouloir parachever le « pillage de l'épave-Russie ». Tout en perpétuant le régime qui les a fait naître. D'autant plus que plusieurs d'entre elles (comme le groupe Microdin lié à Unexim) venaient d'entrer dans le capital de la première chaîne publique de télévision en avouant leur but : aider le pouvoir à passer le cap des élections de 1995 et de 1996.

L'affaire s'est amplifiée quand l'opération « prêts contre actions » en dépit d'enchères théoriquement ouvertes à tous a permis à deux groupes bancaires seulement d'emporter la meilleure part du gâteau. L'un d'eux fut, sans surprise, Unexim, l'autre Menatep une banque d'origine « komsomol » qui partage, notamment avec Unexim, le privilège d'abriter les comptes des ministères russes (la Russie n'a toujours pas de Trésor distinct digne de ce nom). Sans même se soucier de sauver les apparences, le Comité d'Etat russe aux privatisations a laissé Unexim et Menatep organiser les « enchères » des entreprises qui les intéressaient. Unexim et sa soeur MFK ont ainsi acquis les parts qu'elles convoitaient de Norilsk, le plus grand producteur mondial de nickel et de platine, de Sidanko, l'une des « majors » du pétrole russe, de la Société de navigation du Nord-Ouest ou du combinat métallurgique de Novolipetsk. Le tout à des prix dérisoires, souvent égaux à ceux de départ ou malgré des offres supérieures faites par d'autres banques.

Le scandale a éclaté. L'alerte est d'abord venue des banques écartées des enchères. Elles s'en sont prises à Menatep, l'accusant d'utiliser des fonds du ministère des finances, voire de groupes étrangers, pour acquérir la majorité des parts de la société pétrolière Ioukos. Menatep a gagné un procès en diffamation. Puis des sociétés « rachetées » se sont rebellées. Une bataille juridique est en cours. Et de tels procès en « renationalisation » risquent de se multiplier à l'approche de l'élection présidentielle de juin pour laquelle les communistes partent en tête. Ces derniers ont déjà formé une commission parlementaire pour dénoncer la mainmise d'Unexim sur Norilsk. Ils se plaisent à souligner que les privatisations en Russie ont été menées en vertu d'oukases présidentiels. Et qu'un nouveau président pourrait aussi bien annuler ce qui lui plaît...

Il sera sans doute difficile de rendre transparentes les « affaires » d'Unexim et de son empire. Le lobby du commerce extérieur a toujours y compris du temps de l'URSS représenté un « Etat dans l'Etat », protégé des aléas politiques, voué à se reconstituer. Ceux de ses experts qui ont été chassés après 1991 n'en ont pas pour autant quitté la « cause commune ». Beaucoup travailleraient à créer des institutions financières servant les capitaux russes à l'étranger. Le système serait-il insubmersible ? Les communistes, dit-on, auraient eux aussi des fils ou des petits-cousins dans la « communauté du commerce extérieur ». Pourtant, il se pourrait bien que de nouveaux maîtres du Kremlin choisissent de privilégier d'autres groupes, aux dépens de M. Potanine, de ses amis et de ses protecteurs. Le trop beau conte de fées d'Unexim peut encore mal tourner.


SOPHIE SHIHAB


À plus, Vérié :wavey: , on ne se convaincra pas mutuellement. J'espère que quelques visiteurs de ce fil y trouveront des choses qui pourront leur être utiles.
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Message par Puig Antich » 26 Déc 2006, 22:48

a écrit :Les rapports sociaux en Russie, à l'est de l'Europe et en Chine (de même que : Yougoslavie, Albanie, Corée du Nord, Vietnam, Cambodge, Cuba) étaient de même nature: Etats ouvriers (dégénéré dans le cas de l'URSS, bureaucratiques dès l'origine pour les autres).


Oui enfin moi je me sens plus en accord avec les capitalistes d'Etat, mais même de ce point de vue il me semble que ce qui s'est passé au Cambodge est fondamentalement réactionnaire sur tous les points ; le capitalisme ne s'est pas développé, les prolétaires ne se sont pas accumulés, au contraire le régime s'est appuyé sur les formes réactionnaires, "mythiques" de propriété et de production.... pour soi-disant écraser la propriété privée, en fait pour écraser toute la société... Alors déjà j'ai des doutes pour dire qu'il s'agissait d'un capitalisme d'état, mais alors un état ouvrier.....

Pour le reste, il me semble qu'en dehors des contenus économiques et de classes je pense capitalistes de leur politique, il y a une différence fondamentale entre ce qui s'est passé en Russie et ailleurs : l'intervention indépendante de la classe ouvrière. Au Vietnam, les courants d'indépendance de classe ont été écrasé ; en Chine ils ne sont pas intervenus comme facteurs dirigeants au moment de l'instauration de la Rép Pop et ont été écrasé par la suite, y compris dans la "révolution culturelle", etc. etc.
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Message par artza » 27 Déc 2006, 09:19

(Vérié @ mardi 26 décembre 2006 à 19:24 a écrit :

Sans développer à nouveau. Un des points essentiels : Trotsky considérait que l'étatisation complète de l'économie est un critère de classe et ne peut être réalisée que par la classe ouvrière. Sur cette base, l'immense majorité des Trotskystes ont considéré que de nouveaux Etats ouvriers "déformés, mal formés etc" avaient pu voir le jour sans l'intervention de la classe ouvrière : Yougoslavie, Chine, Cuba etc.  LO est toujours restée à cheval entre la position trotskyste et la position capitaliste d'Etat. De ce fait, cette tendance a toujours été un peu gênée aux entournures pour justifier ses positions et trouver des différences entre des Etats qui se ressemblaient comme des frères jumeaux, fonctionnaient de la même façon en dépit de leurs histoires différentes. Au fil des ans, LO a employé toutes sortes d'arguments à géométrie variable et se trouve fort embarrassée aujourd'hui : sa nouvelle appellation "Etat ouvrier en voie de dégnérescence avancée" (ou quelque chose d'approchant) et la découverte soudaine dans les textes du dernier congrès de l'existence de bourgeois en URSS dès l'époque de Brejnev témoigne de cet embarras. Il lui aurait été beaucoup plus simple, dans sa propre logique de considérer - comme toi et la plupart des Trotskystes - que l'URSS avant changé de nature entre 1991 et 1995.

On ne peut pas recommencer à chaque fois à tout propos une discussion.

Pour revenir au point de départ j'aurais apprécié d'en savoir un peu plus sur le point de vue du groupe Vperiod sur l'URSS? La révolution russe et la Russie d'aujourd'hui.

Plutôt que de devoir me contenter d'une anecdote relevant leur étonnement à propos de la position de LO qui leur aurait été explicité par Krivine :w00t:

Pour le reste Vérié prête à Trotsky des positions raccourcies par Vérié lui-même.

Trotsky n'a jamais prétendu que la seule étatisation des moyens de production faisait de tout Etat en tout temps, en tout lieu et à toute époque automatiquement un Etat ouvrier.

Pour LO je ne sais si la position qu'elle défend sur l'URSS, la Chine etc...la gêne, franchement je n'en ai pas l'impression et pour ma part partageant ces positions je n'y sent bien à l'aise et ne me sent pas mis en contradiction avec le déroulement de l'histoire.

Par contre Vérié me fait sourire lui qui ne cesse de répêter que l'URSS est "capitaliste d'état" depuis 1925 (?) pourquoi pas 1920 ou 1918 ?
Sans se préoccuper de ce qui a bien pu s'y passer depuis.

Et oui que dit-il d'autre à ceux qui posent la question qu'est-ce qui changé en URSS? Où ça va et où en est la Russie? c'est le capitalisme (d'Etat) depuis 80 ans.

L'année prochaine promis il faut nous cotiser pour lui offrir un "moulin capitaliste d'état" sur le modèle des moulins à prière thibétains.
artza
 
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