Je fais remonter ce fil sur l'utilité des notes chiffrées à l'occasion du baccalauréat et d'articles dans la presse sur la notation des copies, et en particulier ce bon article du
Figaro.
A vrai dire, c'est plus visible pendant le bac, car c'est un examen plus massif. Mais c'est tout le temps qu'on fabrique des notes, pour de toutes autres raisons que pour évaluer pédagogiquement une progression.
a écrit :Comment se «fabriquent» les notes du baccalauréat
Par Marie-Estelle Pech
17/06/201 | Mise à jour : 09:12 Réagir
L'harmonisation reste nécessaire : une étude a montré que, sans elle, les notes d'une dissertation pouvaient varier jusqu'à 11 points d'un correcteur à l'autre.
Les commissions qui garantissent l'harmonie entre les différents correcteurs proposent exclusivement des rectifications à la hausse.
D'ici à début juillet, le ministère de l'Éducation nationale se réjouira de l'excellent taux de réussite des élèves au bac. Dans les familles, on débouchera le champagne. Le taux de réussite au bac est passé de 73,5 % en 1960 à 85,8 % en 2010 et les mauvaises langues enseignantes ne manquent pas de critiquer les consignes systématiques de correction à la hausse émanant des inspecteurs de l'Éducation nationale. Certains n'hésitent pas à parler de «tripatouillage des notes».
De fait, les professeurs de philosophie «de corvée de bac», qui vont aujourd'hui récupérer leur paquet de cent vingt à cent cinquante copies à corriger avant le 30 juin, sont fortement encadrés. Leurs corrections sont précédées et suivies de deux à trois réunions destinées à «harmoniser» la notation.
On y donne des consignes, écrites et surtout orales, qui éveillent l'intérêt, car elles restent confidentielles. «À tort ou à raison, elles sont soupçonnées de contribuer à augmenter de manière artificielle les taux de réussite et d'affaiblir ainsi la valeur du bac», relevait en 2008 le sénateur Jacques Legendre dans un rapport. Les barèmes de notation sont «trop souvent formulés dans des termes purement positifs», écrivait-il.
«Valorisez !»
Il s'agit rarement de sanctionner telle erreur ou méconnaissance, jugée rédhibitoire, mais de fonder une appréciation «large». Jean-François, professeur d'histoire à Nice, en témoigne : «On nous demande systématiquement de donner un coup de pouce pour éviter que trop de candidats aillent au rattrapage». «J'entends déjà le contenu de la grand-messe des inspecteurs, la semaine prochaine : valorisez !», soupire cette professeure de lettres pour qui le bac sert surtout à «gérer les flux d'entrée et de sortie des lycées et des universités».
Discipline par discipline, académie par académie, des «commissions d'entente» rassembleront la semaine prochaine un inspecteur et certains correcteurs chargés lors d'une deuxième réunion de diffuser les consignes auprès de l'ensemble des correcteurs. La «commission d'harmonisation» qui se tient fin juin permet de prendre la mesure des divergences de notation. Le tout se passe dans des lycées devant des gâteaux secs et des jus de fruits mais avec une harmonie relative. Philippe, professeur de philosophie dans l'académie de Bordeaux, a assisté à quelques accrochages salés entre des «collègues qui ont une très haute idée de leur discipline», souvent les plus jeunes et les plus âgés, et les autres, accusés de laxisme par les premiers. «Les pressions sont surtout feutrées», explique une enseignante de philosophie, «une année, l'inspecteur nous a reproché d'avoir l'une des pires moyennes de France et nous a demandé d'être plus indulgents pour ne pas faire fuir les élèves désireux de s'inscrire en filière littéraire». En mathématiques, dit en ricanant cet autre enseignant, si la moyenne est jugée trop faible, le barème est modifié pour relever les notes. Mais si la moyenne est jugée forte, aucune modification de barème n'est adoptée…
Reste qu'une «harmonisation» des notes est essentielle pour éviter les injustices. Sans cela, certains professeurs n'hésiteraient pas à aligner des notes très faibles voire des zéros, sans se préoccuper de ce que font leurs collègues… Sans contrôle, l'aléa de la correction est considérable, comme l'ont montré dans le passé des études de «docimologie» (science de l'évaluation en pédagogie). En 2007, le chercheur Bruno Suchaud a ainsi soumis trois copies d'élèves passant l'épreuve de sciences économiques et sociales à la correction d'une trentaine de professeurs. Il existait, pour chaque dissertation, des variations très fortes d'un correcteur à l'autre pouvant aller jusqu'à onze points même si la variation est plus proche de deux ou trois points en moyenne.
Enfin, les correcteurs ne sont pas «constants» dans leur pratique de notation. Ils peuvent noter très sévèrement une copie, puis généreusement les deux autres ou inversement ! Les premières copies corrigées étant souvent les plus durement traitées… L'idéal pour arriver à une notation juste, c'est la double correction, inenvisagée par le ministère, car trop coûteuse. «La notation est pour une part un exercice subjectif, qui suppose un cadre minimum pour s'exercer de manière coordonnée. Il convient donc de ne pas la fragiliser en l'entourant d'un secret inutile», estime toutefois Jacques Legendre dans son rapport, pointant du doigt l'opacité des commissions.
Malgré un ton parfois un peu sensationnaliste, cet article me semble juste, voire en dessous de la vérité. Car il s'agit en même temps de valoriser les bons mais aussi de saquer vraiment les nuls, ce que recouvre la formule "utiliser toute l'échelle des notes", ( ce qui revient à écraser la courbe de Gauss de répartition des notes autour de la moyenne : moins la courbe est pointue au milieu, mieux c'est pour les inspecteurs et le ministère.)
Dans ces périodes d'examens nationaux, du moins au plus prestigieux d'entre eux, le pouvoir politique utilise une armée de profs mobilisés pour exclure une fraction des candidats, évidemment les plus pauvres culturellement et les plus inadaptés du niveau où on ne veut plus d'eux. En même temps, on leur demande de restreindre cette fraction, pour vider par le haut les lycées, ne pas faire d'investissement en locaux ni recruter de personnel, et acheter à bas prix la paix dans les classes en faisant comprendre aux élèves qu'ils passeront presque tous, quel que soit au final leur niveau ... Mais beaucoup se demandent également si la massification de l'échec vaut mieux, vu qu'elle touche de toutes façons massivement les enfants des couches pauvres ou en voie de le devenir ?
Presque toujours tout cela fait débat parmi les correcteurs, et des AG précèdent souvent les réunions officielles. Il y a beaucoup de discussions sur la "valorisation" des notes qu'on leur recommande plus ou moins amicalement, et ce qu'il faut en penser et comment il faut réagir, plus ou moins collectivement.
Protester, noter "sévèrement" par rapport aux consignes et donc chercher à faire redescendre le taux de réussite au bac, ou ne rien dire ni faire, ce qui revient à appliquer mollement les recommandations, à défaut d'abonder dans leur sens et de prévenir leur désir ?
En général, les discussions finissent en eau de boudin, et c'est le statu-quo "pour ne pas se laisser faire" qui l'emporte, ce qui ne veut rien dire bien sûr. Pourrait-il seulement en être autrement, empêtrés que sont les correcteurs dans les contradictions d'un système qui les dépasse ?
Et en plus, beaucoup de profs n'aiment pas qu'on leur rappelle qu'ils sont utilisés pour tout autre chose que ce qu'ils ont décidé d'être et de faire alors ... :nono2:
C'est un peu comme si on disait à un type qui croirait fabriquer des remèdes qu'il était en train de concocter des poisons. :secret: