par Louis » 16 Mai 2003, 20:11
je pense que caupo a péché (comme d'habitude) par manque de nuance et jugement a l'emporte pièce
Personnelement, je me suis intéressé aux conceptions artistiques, culturelles et politiques de Glissant Mais (en tant que non antillais, non américain) je voyais la chose tout a fait différemment : non pas un avenir rizhome pour le seul espace américain, mais un avenir créole et métis pour le pays-monde.
pour approfondir
CITATION A la fois poète, romancier et philosophe, le Martiniquais Edouard Glissant s'interroge sur le devenir de notre monde complexe. Chantre de la « créolisation » et du métissage culturel, il voit dans la rencontre, souvent violente, des peuples et des cultures aujourd'hui la condition d'une nouvelle manière d'être dans le monde, d'une identité à la fois enracinée dans un terroir et riche de tous les terroirs désormais mis en relation. Clef de voûte de sa pensée de la modernité, la « relation » est tout le contraire de la domination culturelle et politique de l'Autre ou d'un multiculturalisme réducteur de la diversité. Entretien.
Label France : Vous venez de publier un nouveau récit qui a pour titre Sartorius. Le roman des Batoutos. Qui sont les Batoutos ?
Edouard Glissant : Le roman des Batoutos est une fable moderne de la non-domination. Bien que j'aie pris soin de situer assez précisément ce peuple dans le temps (l'an 500 avant notre ère) et dans l'espace (dans une région de l'Afrique centrale), les Batoutos sont avant tout un peuple mythique. Mais c'est un mythe dont le monde a besoin car les Batoutos incarnent un peuple qui n'a pas la prétention de s'ériger en modèle et qui va dans le monde non pas pour le posséder mais pour vivre ensemble avec les autres. Nous avons besoin d'un peuple de ce genre qui ne veut pas être un peuple conquérant, ni un peuple impérialiste et qui, par conséquent, nous protège contre les tentations de nous rendre trop visibles en imposant à d'autres peuples nos valeurs, nos manières d'être. C'est un mythe nécessaire à l'imaginaire en expansion de cette fin de millénaire, où tant de cultures se rencontrent et se transforment. La littérature telle que je la conçois et la pratique a pour fonction d'exprimer ce métissage, avec toutes ses joies, mais aussi ses dérélictions, ses massacres, ses génocides, ses contradictions ou ses banalisations.
Vos romans sont animés d'une pensée du divers, que vous avez théorisée sous des appellations différentes : « relation », « créolisation », « Tout-Monde ». Ce sont des termes équivalents ?
Ce sont des concepts complémentaires. Le « Tout-Monde », c'est le monde actuel tel qu'il est dans sa diversité et dans son chaos. Pour moi, le chaos n'est pas seulement le désordre, mais c'est aussi l'impossibilité de prévoir et de régir le monde. La relation signifie un rapport de transversalité et non pas de causes à effets. Ainsi, les Batoutos tentent d'établir un rapport de fraternité avec le monde.
« Nous devons nous habituer
à l'idée que notre identité va changer
au contact de l'Autre »
Enfin, je suis tout à fait contre le terme « créolité » bien que les écrivains de la créolité se réclament de moi comme étant leur père spirituel. Je crois que l'idée de créolisation correspond mieux à la situation du monde. C'est l'idée d'un processus continu capable de produire de l'identique et du différent. Il me semble que la créolité érige le multilinguisme ou le multiethnisme en dogme ou en modèle. Comme je suis contre les modèles, je préfère le terme ouvert de créolisation à cet espèce d'essence ou d'état auquel renvoie le terme de « créolité ».
Vous utilisez le terme « chaos-monde », doté d'une valeur positive. Ne craignez-vous pas que le chaos conduise à l'incommunicabilité, à une sorte de tour de Babel ?
Quand je dis que notre monde est un chaos-monde, je ne suis pas en train de dire que c'est un monde apocalyptique, mais plutôt un monde que l'on ne peut plus prévoir ou planifier à l'avance. Les « emmêlements » à l'œuvre ont rendu le monde complexe. Nous devons nous habituer désormais à l'idée que nous pouvons vivre le monde sans avoir l'ambition de le prévoir ou de le régenter. Nous devons aussi nous accoutumer à l'idée que notre identité va changer profondément au contact de l'Autre comme la sienne à notre contact, sans que pour autant l'un et l'autre ne se dénaturent ni ne se diluent dans un magma multiculturel. Ce sont des notions difficiles à concevoir et encore plus difficiles à mettre en pratique. Cela donne la mesure de ce que j'appelle le chaos-monde.
Vous avez souvent écrit que les Caraïbes sont l'espace où s'élaborent les modes actuels de la relation. Les Caraïbes seraient-elles le lieu exemplaire du métissage ?
Il y a dans les Caraïbes une extraordinaire puissance de diversité et d'unité en même temps. Prenez l'exemple de la musique antillaise, où des rythmes nouveaux sont en train de naître du fait de l'interaction avec l'Afrique, les Etats-Unis. Des phénomènes similaires sont à l'œuvre dans le domaine de la littérature, des arts plastiques, du cinéma, du commerce, du sport.
Nous assistons à l'heure actuelle à l'« archipélisation » des Caraïbes, qui est exemplaire et qui va dans le sens de la créolisation. Mais le monde entier se créolise aujourd'hui. L'Europe s'archipélise à son tour et éclate en régions. La Floride est en train de changer du tout au tout sous la pression de ses populations cubaines et caribéennes. Il me semble que ces nouvelles dimensions de l'existence échappent aux données nationales qui tentent de résister aux forces de l'archipélisation.
La nouveauté viendra à mon avis des petits pays qui n'ont pas de passé colonial ni de traditions nationales et donc ont moins peur de se désagréger ou de perdre leur « statut ». Il faut que nous habituions notre imaginaire à ces nouvelles organisations du monde, où le rapport entre le centre et la périphérie va être complètement différent. Tout sera centre et tout sera périphérie. C'est ce que j'appelle la politique de la mondialité, qui a bien sûr son aspect négatif : la mondialisation. La mondialisation est la mondialité réalisée par le bas, par l'uniformisation, la standardisation. C'est le voile derrière lequel se cachent de nouvelles oppressions et dominations[/quote]