Quand les fichiers permettent de licencier

Message par red » 11 Août 2004, 10:33

Quand les fichiers permettent de licencier
À la centrale nucléaire de Flamanville, quatre salariés d’une entreprise sous-traitante de gardiennage ont perdu leur emploi après consultation par la préfecture de leurs fiches de police. Une conséquence des lois sécuritaires.

Fichés par la police, donc licenciés par leur patron. Telle est l’injustice, conséquence de la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure, dont sont victimes quatre salariés de SPGO, une entreprise privée assurant le gardiennage de la centrale nucléaire EDF de Flamanville dans la Manche. Jean-Marie, quarante-huit ans, a été le premier touché. Ancien ouvrier du bâtiment reconverti pour raisons de santé dans le gardiennage, il travaille depuis 2000 pour Sécurité prévention du Grand Ouest, sous forme de CDD successifs qui couvrent environ neuf mois par an. En février dernier, alors qu’il avait devant lui 4 ou 5 mois de travail, la direction lui annonce brutalement qu’elle ne renouvellera pas son CDD. Elle explique que la préfecture a rendu un avis négatif pour son agrément. Fin mai, trois salariés en CDI sont à leur tour " recalés " par l’administration. SPGO les met à pied puis les licencie rapidement pour " refus d’agrément de la préfecture ".

Face à cette épidémie, les syndicats CGT de SPGO et de la centrale EDF sonnent l’alerte sur les incidences désastreuses de la loi Sarkozy du 18 mars 2003. Du fait de leur activité " sensible ", les entreprises privées de sécurité sont en effet soumises depuis 1983 à une réglementation particulière. L’employeur doit demander un agrément à la préfecture pour son entreprise, mais aussi pour chaque agent qu’il emploie. Pour un salarié, l’administration pouvait jusqu’alors opposer un refus au vu du bulletin n 2 de son casier judiciaire (ce bulletin comporte la plupart des condamnations pour crimes et délits, sauf celles prononcées contre des mineurs ou celles avec sursis considérées comme non avenues). Mais depuis la loi Sarkozy l’enquête est beaucoup plus poussée et prévoit la consultation des fichiers de police pour trancher sur la " moralité " de la personne. Or le fichier informatique de la police nationale, le Système de traitement des infractions constatées (STIC), rassemble sous la même catégorie floue de " mis en cause " tous les individus ayant eu affaire à la police, en tant qu’auteur, suspect, témoin et même victime, quelles que soient la gravité de l’affaire et ses suites judiciaires, pour des événements pouvant remonter à quarante ans (voir page suivante).

En allant contester cette décision à la préfecture, les quatre salariés de SPGO ont ainsi appris ce qui leur avait valu ce soudain refus d’agrément, après des années d’activité et malgré des casiers judiciaires vierges. Il y a quinze ans, Jean-Marie a été condamné à deux mois de prison avec sursis et 10 000 francs d’amende pour coups et blessures, après un règlement de comptes avec son frère qui lui avait volé sa paie. Même condamnation pour Michel (trente-cinq ans), après une bagarre avec les personnes qui avaient volé le scooter de son frère. Jean-Pierre (trente-sept ans) a été condamné à 2 000 francs d’amende pour insultes à un gendarme intervenu pour tapage nocturne, en 1999. Pour Fabien (vingt-cinq ans), l’affaire remonte à l’an dernier. Après son divorce, il est allé récupérer sa télévision à son ancien domicile, en l’absence de son ex-femme, qui a porté plainte pour vol. " Je me suis présenté chez les gendarmes avec la facture de l’appareil prouvant que c’était le mien, j’ai même eu droit à des excuses de leur part ! " raconte-t-il. Il est néanmoins fiché comme " connu des services de gendarmerie pour vol avec violence ".

" Il suffit d’une plainte déposée contre vous, même sans aucune preuve, quel que soit le délit, ou d’un retrait de permis ", déplore Patrick Le Pastourel, délégué syndical CGT de SPGO. Sur les 32 salariés en CDI dans l’entreprise, les trois refus concernaient une première fournée de onze salariés. Il restait donc 21 = agréments à vérifier. " C’était l’angoisse, se souvient le délégué. Tout le monde avait peur de ne pas passer, car tout le monde a fait quelque chose dans sa vie ! " Fin juin, la CGT organise pour protester " des ralentissements de site, des pétitions, des collectes pour ces quatre salariés, raconte Éric Hugelmann, secrétaire de la CGT d’EDF-Flamanville. Nous avons interpellé la préfecture, les élus et le ministre de l’Intérieur De Villepin sur cette mise en place de la loi Sarkozy ". Face à cette mobilisation, la préfecture recule rapidement. Le 8 juillet, elle revient sur trois des quatre décisions, le cas de l’insulte au gendarme étant toujours à l’étude. " Depuis, elle a dû analyser plus finement ce qu’elle trouve dans les fichiers, se félicite Patrick Le Pastourel. Elle n’a émis aucun refus pour les 21 autres salariés. " Une victoire qui laisse songeur sur le caractère arbitraire de ces décisions administratives.

" Si la loi est appliquée à la lettre, 50 % des effectifs du gardiennage au niveau national peuvent être dégommés ", déplore Éric Hugelmann, qui souligne que les décisions prises pour les CDD et pour les embauches sont " invisibles " car certainement moins contestées que pour les personnels en place. Les cégétistes pointent la contradiction entre ces dispositions sécuritaires qui pèsent sur les salariés et la réduction par EDF, dangereuse mais non contrôlée, des moyens mis à la surveillance des sites. " EDF affirme tout miser sur la sécurité sûreté des sites, mais elle choisit toujours le moins cher des sous-traitants en gardiennage, et le pousse à réduire les coûts, notamment en personnel, explique Éric Hugelmann. Par exemple, SPGO a fait passer les rondes de nuit de trois à deux salariés. SPGO a aussi sanctionné deux salariés qui refusaient d’effectuer un travail délicat pour lequel ils n’avaient pas été formés. "

Cette loi risque en tout cas d’être utilisée par les employeurs du secteur pour se débarrasser de salariés, ou pour réduire leurs effectifs sans plan social coûteux. Ce pourrait être le cas de SPGO. Première bizarrerie, l’entreprise avait demandé des agréments " pour embauche " et non pour " renouvellement ", ce qui a poussé la préfecture à des enquêtes plus poussées. De plus, malgré le revirement de l’administration, l’entreprise refuse de réintégrer les trois salariés qui ont finalement reçu leur agrément. Ils ont été remplacés par des salariés en CDD. Jean-François James, directeur commercial, explique qu’il " verra à la rentrée s’il a besoin d’embaucher, auquel cas les trois seraient prioritaires ". Les trois licenciements pourraient donc servir d’adaptation à une baisse d’activité. Pour la CGT, ces licenciements coïncident (trop) parfaitement avec le projet de SPGO de se retirer du domaine nucléaire pour se concentrer sur la télésurveillance, beaucoup moins coûteuse et contraignante.

Les quatre salariés porteront en septembre l’affaire aux prud’hommes, où ils peuvent obtenir des dommages et intérêts pour licenciements sans cause réelle et sérieuse. " Mais cela ne leur rendra pas leur boulot ", constate Patrick Le Pastourel. Deux ont trouvé un CDD d’été dans une entreprise de gardiennage concurrente. Plus âgé, Jean-Marie doute de ses chances de retrouver un emploi. Jean Pierre ne peut plus postuler dans le secteur en attendant la décision finale de la préfecture. " Du jour au lendemain, j’ai été viré comme un chien de l’entreprise où je travaillais depuis 1989. Je n’ai plus de revenu en attendant les ASSEDIC que je toucherai le 8 septembre seulement. Maintenant j’ai peur des fins de mois. " Ils ont été licenciés sans prime et sans préavis.

Interpellée par la CGT, EDF a réagi en annonçant qu’en 2005 elle ne reconduirait pas son contrat avec SPGO, qui n’a pas respecté la " charte éthique " des sous-traitants. " Mais cela ne résoudra pas le problème puisque le nouveau sous-traitant ne sera obligé de reprendre que 80 % des salariés. Il y aura encore des licenciements dont EDF sera aussi responsable ", commente Éric Hugelmann.

Fanny Doumayrou
red
 
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Message par mael.monnier » 12 Août 2004, 16:31

a écrit :Une conséquence des lois sécuritaires.

C'est même pas de cela qu'il s'agit apparemment, mais plutôt d'une volonté de dégraissage des effectifs de surveillance de la part d'EDF au profit de la vidéo-surveillance :
a écrit :Pour la CGT, ces licenciements coïncident (trop) parfaitement avec le projet de SPGO de se retirer du domaine nucléaire pour se concentrer sur la télésurveillance, beaucoup moins coûteuse et contraignante.


Cet article de l'Huma n'est qu'un article démagogique prenant les gens pour des cons. Il est tout de même normal que dans un domaine comme la surveillance, des règles de sécurité soient appliquées et que le personnel soit soumis à des règles d'embauche. Ce qui n'est pas normal ensuite, c'est de recaler des gens auxquels on n'a rien à reprocher, et dans ce cas les règles appliquées n'ont rien de "sécuritaires". Surtout dans le cas d'EDF où la CGT pointe "la réduction [...], dangereuse mais non contrôlée, des moyens mis à la surveillance des sites"...
mael.monnier
 
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Message par boispikeur » 12 Août 2004, 16:38

Maël, ta fougue t'emporte!

Je mets ci-dessous un article du monde sur les fichiers. Tu verras (jespère!) que ces fichiers (Qui est placé dessus, qui les utilise et pourquoi) sont des vrais dangers

a écrit :Si les Français ont parfois la mémoire courte, la police, elle, a bien souvent la mémoire longue. Quatre employés d'une entreprise de gardiennage assurant la sécurité de la centrale nucléaire de Flamanville viennent d'en faire l'amère expérience : la sous-préfecture leur a refusé - à tort, reconnaît-elle depuis, pour au moins trois d'entre eux - l'agrément nécessaire pour travailler sur un site sensible, et ils ont perdu leur emploi. 

La cause : leurs noms figuraient dans un fichier de police, alors même que leurs casiers judiciaires sont vierges. Dans le domaine social, cette mésaventure illustre une dérive sécuritaire marquée par une utilisation abusive des fichiers de police, notamment ce fameux STIC (système de traitement des infractions constatées) dans lequel sont répertoriées plus de quatre millions de personnes impliquées dans des délits, parfois très anciens, qu'elles aient été suspects, témoins ou victimes. Ainsi l'un des gardiens licencié avait été fiché simplement parce qu'il était allé récupérer son poste de télévision chez son ex-femme !

Les différentes lois sécuritaires promulguées depuis les attentats du 11 septembre 2001 ont durci le climat répressif en France et dans nombre d'autres pays démocratiques. Certes, il est indispensable que les forces de police aient les moyens de lutter contre une criminalité qui traumatise la population. Mais ce durcissement, quand il est justifié, doit toujours s'accompagner de garanties accrues. Or, avec la loi sur la sécurité intérieure votée par l'actuelle majorité, le nombre de délits recensés dans le STIC a explosé, tout comme le nombre de personnes habilitées à consulter ce fichier. Ce qui a fait dire au Syndicat de la magistrature que le STIC "bafoue les principes fondamentaux du droit".

Cette mémoire longue policière est encore plus abusive quand elle ne sait pas être sélective en gommant les vétilles, et qu'elle peine à réparer ses erreurs, fichant par exemple un témoin comme suspect. Mais aussi quand elle se montre incapable non seulement d'accepter l'oubli, mais aussi de contextualiser un événement qui s'est déroulé dans des circonstances aujourd'hui révolues. Bref, de faire le tri entre erreur de jeunesse et entêtement dans la récidive.

Les gens changent, d'anciens délinquants, passés au travers des mailles du filet, se sont refait une vie ordinaire, sans histoire. Et puis, un jour, comme pour Hélène Castel, jeune autonome condamnée par contumace en 1984 pour un braquage de banque et qui avait refait sa vie au Mexique, la justice se rappelle à eux juste avant la fin du délai de prescription. Elle est arrêtée, extradée et incarcérée. Représente-t-elle encore un danger pour la société ? Non, à l'évidence.

La tâche des responsables de l'ordre - policiers, magistrats et, surtout, politiques - est de s'assurer que les mesures de sécurité s'appliquent exclusivement à lutter contre la délinquance. Quand ces mesures sont utilisées à l'embauche ou pour motiver un licenciement, quand elles servent à des fins discriminatoires, ethniques ou religieuses, quand elles alimentent un climat de menace et de peur hors de tout contexte réel, alors, c'est l'Etat de droit qui se trouve menacé. C'est-à-dire ce que la police est censée défendre.
boispikeur
 
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Message par mael.monnier » 12 Août 2004, 22:16

(boispikeur @ jeudi 12 août 2004 à 17:38 a écrit : Maël, ta fougue t'emporte!

Je mets ci-dessous un article du monde sur les fichiers. Tu verras (jespère!) que ces fichiers (Qui est placé dessus, qui les utilise et pourquoi) sont des vrais dangers.
Je suis entièrement d'accord avec l'article du Monde, mais pas avec le torchon pondu par l'Humanité. Voilà ce que je disais et que je maitiens :
a écrit :Il est tout de même normal que dans un domaine comme la surveillance, des règles de sécurité soient appliquées et que le personnel soit soumis à des règles d'embauche. Ce qui n'est pas normal ensuite, c'est de recaler des gens auxquels on n'a rien à reprocher, et dans ce cas les règles appliquées n'ont rien de "sécuritaires".


Le problème n'est pas la consultation des fichiers de police, mais le fait que la police puisse garder trace de vieilles infractions pour toute notre vie dans ses fichiers, et surtout qu'il puisse y avoir des informations erronnées dans ses fichiers. Le problème n'est donc aucunement lié ici au sécuritaire, mais au fait que les lois sont mal conçues. Après le reste des lois en question, c'est un autre problème.
mael.monnier
 
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