• LE MONDE | 17.01.03 | 14h19
Faut-il réviser la loi de séparation des Eglises et de l'Etat ?
Pierre Bédier, secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, et Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement, estiment qu'il faut sans doute "réformer la loi de 1905" sur la séparation des Eglises et de l'Etat. Ils s'inquiètent, notamment, du financement des mosquées par des capitaux provenant d'Arabie saoudite.
Un tabou est en train de tomber. Plusieurs membres du gouvernement n'hésitent plus à se prononcer, publiquement, en faveur d'une révision de la loi de 1905 portant séparation des Eglises et de l'Etat, au risque de paraître vouloir remettre en cause la laïcité et rallumer "la guerre des deux France".
Le ministre de l'intérieur, chargé des cultes, ne s'est pas encore exprimé sur ce thème sensible. Nicolas Sarkozy n'entend pas aborder le sujet pour l'instant, attendant que le Conseil français du culte musulman ait vu le jour.
Car c'est bien l'islam, deuxième religion de France, qui est concerné. Le gouvernement souhaite résoudre l'épineux problème du financement des mosquées et des salles de prière. Le sentiment dominant est que les conditions dans lesquelles les musulmans prient ne sont pas décentes et que la loi de 1905, qui autorise le financement public de l'entretien des bâtiments construits avant cette date (principalement des églises), pénalise l'islam. A cela s'ajoute une autre préoccupation : de nombreux maires craignent que le financement des mosquées par les pétro-dollars du Golfe n'entraîne la mainmise d'un islam fondamentaliste sur les lieux de culte de leur commune.
Parmi les membres du gouvernement Raffarin, le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice, Pierre Bédier, est le plus catégorique : "La laïcité est incontournable, mais ses modes de fonctionnement doivent évoluer." L'ancien maire de Mantes-la-Jolie (Yvelines), ville où la population musulmane est importante, pointe du doigt le détournement de la loi de 1901 sur les associations : "On nous interdit de subventionner les lieux de culte, mais certains élus le font à travers des associations culturelles de type loi de 1901. Il faut sortir de l'hypocrisie !, s'insurge-t-il. Je trouve plus sain que les mosquées soient financées par des fonds publics que par des Etats. En ce sens, il faut réformer la loi de 1905."
CONTEXTE ANTICLÉRICAL
M. Bédier n'hésite pas à établir une comparaison avec le contexte anticlérical du début du XXe siècle : "En 1905, le gouvernement pensait que les catholiques étaient antirépublicains et constituaient une menace. Aujourd'hui, c'est l'islam qui pose question. Ce serait manquer de réalisme que de ne pas répondre à cette inquiétude."
Porte-parole du gouvernement et ancien maire de Meaux (Seine-et-Marne), Jean-François Copé juge "logique d'ouvrir une réflexion sur ce sujet", ajoutant qu'"on ne peut pas à la fois être opposé au financement étranger des lieux de culte et ne rien faire".
Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille et vice-président de l'UMP, est plus réservé. "Tout cela part d'un bon sentiment, dit-il d'un ton sceptique. Mais c'est ouvrir la voie à des dépenses extraordinaires. Dans ma ville, j'ai 72 églises construites avant 1905, devenues ispo facto propriétés de la commune. Leur entretien a coûté à la collectivité 10,5 millions d'euros pendant mon premier mandat. Il y a une injustice, parce que je n'ai pas le droit de passer un coup de badigeon sur le temple protestant. Mais que va-t-il se passer demain si je dois financer les temples, les synagogues, les mosquées, les pagodes ?"
Le maire (PS) de Montpellier, Georges Frêche, se félicite de l'évolution des esprits : "Je suis heureux que M. Bédier se range sur mes positions !" "Dans ma ville, poursuit-il, j'ai aidé à mettre en place deux synagogues, trois mosquées et une dizaine d'églises." Le député et maire d'Evry (Essonne), Manuel Valls, est, au sein du PS, un des plus chauds partisans de la "révision de la loi de 1905", qu'elle soit "législative ou réglementaire". "En tant que maire, je suis confronté à ce problème d'une manière permanente, que ce soit avec les musulmans ou qu'il s'agisse de la construction d'une grande pagode", confie M. Valls. Le cadre de la loi lui paraît trop étroit pour répondre à la demande actuelle. L'ancien directeur de la communication de Lionel Jospin à Matignon se refuse cependant à tout retour à un système de type concordataire, dans lequel l'Etat accorde une reconnaissance juridique à un certain nombre de cultes. Le modèle à suivre est, selon lui, celui du rapport du philosophe Régis Debray sur l'enseignement du fait religieux à l'école. Peut-on ignorer que la religion n'est plus cantonnée à la sphère privée, mais qu'elle est redevenue un fait social ?, s'interroge M. Valls. Une telle ignorance risque de "produire de l'intégrisme ou de la bêtise".
"Ça ne se passera pas bien avec ceux qui, au PS, proposent ce genre de choses", réplique Christian Bataille, député (PS) du Nord, proche d'Henri Emmanuelli. Initiateur d'un comité parlementaire créé en décembre pour commémorer la loi de 1905, celui-ci ne voit aucune raison de "s'engouffrer dans le problème posé par l'islam"pour régler une affaire de "locaux"qui, selon lui, doit l'être par les collectivités territoriales – et surtout pas par une révision à laquelle il est opposé. En outre, il reproche à M. Sarkozy de s'être comporté, dans ses consultations pour la constitution d'un islam de France, "en partisan du concordat napoléonien".
En revanche, Jean-Marie Bockel, maire (PS) de Mulhouse, ville implantée en terre concordataire où vit une importante communauté musulmane, estime qu'"il faut bouger". "Comment reconnaître le fait religieux ? Le concordat d'Alsace-Moselle montre que c'est possible", répond-t-il. Toutefois, il préconise que l'on prenne le temps de choisir de bons interlocuteurs. "N'ayons pas l'intégrisme de ne pas vouloir parler d'une adaptation de la loi. S'il n'est pas tout a fait mûr, le débat n'est plus tabou", confirme l'animateur du club Gauche moderne.
Xavier Ternisien et Nicolas Weill
--------------------------------------------------------------------------------
Des mosquées financées par l'étranger
Laïcité. La loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat interdit de subventionner les cultes. Les associations cultuelles peuvent recevoir des dons et bénéficient de mesures fiscales spécifiques.
Mosquées. Il existe en France 1 600 mosquées et salles de prière, la plupart de moins de 30 m2 et installées dans des locaux de fortune. Seules quelques mosquées, comme celle de Lyon, qui a coûté 4,6 millions d'euros, financés à 90 % par un don saoudien, ont été spécialement conçues pour un usage religieux.
Aides publiques. Les municipalités ont plusieurs possibilités pour aider à la construction de mosquées : mettre à disposition des terrains communaux par bail emphytéotique (à très long terme et pour une somme symbolique) ; accorder par contrat de location des locaux communaux. Certains maires contournent la loi en finançant des associations paravents placées sous le régime de la loi de 1901.