a écrit :
MIXITÉ Domination des garçons, pressions familiales et religieuses : un rapport tire la sonnette d'alarme
De nombreuses filles des cités exclues des activités sportives
Cécilia Gabizon
[22 avril 2004]
«Le monde du sport ne peut assister sans réagir à la lente exclusion des filles dans certains quartiers», met en garde Brigitte Deydier, vice-présidente de la Fédération française de judo, dans un rapport sur la mixité dans le sport. Le document, qui révèle une véritable ségrégation, a été remis hier à Nicole Ameline, ministre de la Parité et de l'Égalité professionnelle et à Jean-François Lamour, ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative.
L'étude sur la pratique sportive des jeunes filles et des femmes dans les quartiers urbains sensibles repose sur les témoignages de maires, de dirigeants de club, de travailleurs sociaux, d'habitants des cités, et sur une enquête Inserm (*) de 1998. Bien que les situations varient d'un quartier à l'autre, les filles semblent pratiquement «exclues de la sphère publique et surtout de celle du sport». Cette désaffection s'explique par des «freins financiers et d'ordre religieux», auxquels s'ajoute l'inadaptation de l'offre sportive.
Sans généraliser, le rapport constate que «dans certaines communautés, l'éducation des filles et des garçons se fait de manière séparée. Ce phénomène s'est accentué il y a une dizaine d'années». Une analyse confirmée par le rapport Inserm : l'écart de pratique sportive entre filles et garçons est plus important parmi les jeunes d'origine étrangère.
Les garçons, touchés par le chômage et la précarité, exercent parfois une véritable «domination territoriale» dans la cité, «excluant les filles des rues». Ils s'approprient notamment les installations sportives de proximité. Les créneaux horaires font aussi l'objet de tensions : plusieurs communes interrogées ont signalé des «tentatives d'intimidation, voire de réelles menaces physiques» sur les filles qui voulaient disposer des installations municipales. Enfin, les nouvelles pratiques de rue (roller, skate, basket) sont essentiellement masculines et «ne vont pas toujours dans le sens de l'ouverture et du brassage social».
Hors de la cité, les filles font également l'objet d'une pression «familiale et culturelle spécifique». Elle expliquerait l'abus de dispenses médicales concernant les cours d'éducation physique et sportive et surtout de natation. Les tenues sportives, notamment les shorts, seraient boudées, certaines filles jouant même voilées lors de tournois de basket-ball et de handball. Chez les femmes plus âgées, de nouveaux comportements sont apparus. «Certaines refusent maintenant l'encadrement masculin et demandent des créneaux horaires séparés dans les piscines.»
Pour contrer cette ségrégation dans la pratique sportive, les auteurs du rapport proposent de réellement valoriser la mixité : les municipalités sont invitées à recruter des monitrices et à renoncer à la politique des animateurs «grands frères», parfois porteurs d'un discours machiste. Les demandes de créneaux horaires séparés doivent être systématiquement rejetées.
Enfin, les villes doivent penser leurs infrastructures pour éviter l'éviction des filles. Le rapport propose de conditionner certains financements publics, dont ceux du ministère, à des objectifs de parité. Les entreprises privées, qui parrainent des activités dans les quartiers, doivent également faire un effort particulier pour attirer des filles, suggère également Brigitte Deydier.
Le ministère des Sports envisage d'ailleurs de mener, en collaboration avec des acteurs locaux, une première opération expérimentale d'encouragement à la mixité dès 2005 sur une dizaine de sites.
Pour les pouvoirs publics, il y a urgence. Car le sport est un facteur puissant d'intégration, un lieu d'apprentissage des valeurs républicaines (respect des règles, de l'adversaire) et de brassage. C'est aussi, parfois, un formidable ascenseur social.
(*) Institut national de la recherche médicale.